Effondrées sur le trottoir, une poignée de personnes souffrant de toxicomanie s’administrent leur dose sous les yeux blasés des passants. Un d’eux lance, narquois: « Bienvenue rue Tiranty. C’est la salle de shoot à ciel ouvert. » Mais peut-être plus pour très longtemps, dixit Christian Estrosi. Vendredi 11 juillet 2025, le maire de Nice a annoncé à la presse, la fermeture de cet axe du Carré-d’Or, entre l’avenue Jean-Médecin et la rue Lamartine: « Nous recevons depuis des années des signalements sur la consommation de drogues en pleine rue, avec risques sanitaires élevés à cause de la présence de seringues. Mardi, je prendrai un arrêté pour motif de salubrité et trouble à l’ordre public en limitant les accès. La rue ne sera désormais accessible qu’aux ayants droit et aux personnes se rendant dans les commerces ou les cabinets médicaux. Cette régulation sera applicable de 8 à 20 heures. » Et qui s’occupera de filtrer les passages? « Je demande à mon directeur de police municipale d’assurer sa mise en œuvre. » Y aura-t-il donc en poste des policiers municipaux? Seront-ils relevés par des agents de sécurité privée? Pas de détails pour l’instant.
Dès mardi prochain, nous prenons un arrêté de restriction d’accès à la rue Tiranty :
➜ Accès réservé aux ayants droit (riverains, clients…)
➜ Régulation entre 8h et 20h
➜ Présence contrôle de sécurité
Le tout mis en œuvre par la @PMdeNice. pic.twitter.com/zsHk3Uvb8J— Anthony Borré (@anthony_borre) July 11, 2025
Des commerçants soulagés
Mais la nouvelle suffit à ravir les quelques commerçants croisés en fin de journée, suite aux déclarations. « Personne ne nous a prévenus de cette mesure, mais si ça se fait vraiment (je parle au conditionnel parce qu’il y a eu beaucoup de promesses non tenues), ça sera un sacré soulagement », applaudit une deux, qui souhaite, comme ses voisins, rester anonyme. Un autre abonde: « C’est une très bonne mesure. Tous les jours, à n’importe quelle heure, il y a des comportements inacceptables. En plus de se piquer et de laisser traîner leurs seringues, ces gens défèquent dans la rue, vident les poubelles. Et quand on leur dit de partir, ils deviennent agressifs. » Au même moment, sur le trottoir d’en face, un couple s’enfonce dans une errance chaloupée. « C’est triste à voir. Malgré les nuisances, ce sont des humains », murmure le commerçant, navré.
Des usagers de drogue indifférents
Le couple titubant s’est échoué sur un bout de trottoir, entraîné par l’addiction lancinante, l’appel de la dose. La femme se pique. Puis c’est au tour de l’homme. Même seringue. Juste à côté, Ahmed grimace et prévient: « Vous laissez rien traîner! » Le trentenaire rend visite aux anciens copains de rue et de défonce. Lui, assure s’en être récemment sorti. Par son regard intense et sa voix grave, il balaye les déclarations du maire: « Ça va faire plaisir aux riverains. Mais ça déplace le problème. Ils ont besoin d’aide, pas d’être chassés. Là, ils vont juste faire 200m et aller dans une autre rue. » Profond silence. « Les gens ne savent pas. C’est très difficile de sortir de cette situation. Ça n’excuse pas de se piquer devant des enfants. Mais on n’a trop peu d’endroits pour se shooter dans un environnement sécurisé. »
Mise en place d’un camion de sanitaire
Quid de la prise en charge de ces personnes? Christian Estrosi rétorque qu’il « travaille avec l’ARS, le CHU et les associations compétentes pour mettre en œuvre un équipement mobile destiné à accueillir les personnes vivant à la rue et sous l’emprise de produits nécessitant des injections. » Concrètement, un bus sanitaire sillonnera la ville avec, à son bord, une infirmière, un coordinateur de soin et un travailleur social. « Ça sera un Caarud [Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues] mobile », avance la Ville. Sans préciser les secteurs visés, ni la date de déploiement du dispositif, prévu « peut-être en septembre. L’ARS devra lancer un appel d’offres puis retenir une association. »
Une mesure illégale?
Peut-on légalement interdire l’accès d’une rue à une personne au motif qu’elle est sous l’emprise de drogues? Nice-Matin a posé la question à un juriste niçois préférant gardant l’anonymat: « En droit, trois questions permettent un triple filtre. La décision est-elle nécessaire, adaptée et proportionnelle à l’objectif poursuivi? A priori, ça n’est pas le cas. S’il y a un recours au tribunal administratif, et il y en aura certainement un, la mesure risque d’être cassée. Certes, le maire est responsable de la tranquillité publique dans sa ville. Mais il est ici question d’ordre public, ce qui est à la charge du préfet. » Quid alors des prérogatives de la police municipale? « Dans ce cas de figure, elles me semblent trop limitées. Et puis, sur quels critères vont-ils interdire l’accès à la rue? Au faciès? Ça n’a pas de base légale. »