C’est une vieille dame qui a ses habitudes. Lire au moins deux livres par semaine. Jadis, elle se rendait elle-même à la Librairie du Boulevard rue de Carouge à Genève, non loin de chez elle. Une sortie qui faisait du bien. Dénicher un ouvrage, converser avec un vendeur, parler de littérature mais aussi de choses ordinaires. La vieille dame ne se déplace plus beaucoup. Alors Carlos Fernandez, l’un des libraires, lui dépose ses commandes dans la boîte aux lettres. Ce jour-là, c’était le livre Léon XIV. La paix soit avec vous tous. De quoi surprendre Carlos car la fidèle cliente, qui a derrière elle une longue carrière d’institutrice, n’a jamais caché un engagement anticlérical. Ainsi va la vie au Boulevard, douce le plus souvent en dépit des tracas, du temps de lecture qui globalement a chuté, des ventes qui évidemment s’en ressentent.

Au-dehors, la rue est un chantier. Pelleteuses et marteaux-piqueurs assurent un fond sonore élevé. On piétonnise, ce qui réjouit les libraires «car c’est bon pour le commerce en général.» Bientôt ne passeront plus que les trams, les bicyclettes et des gens à pied. Cette affiche qui date un peu dans la librairie: «Fêtons! Samedi 23 mars dès 18h le Boulevard a 50 ans». Le Boulevard célèbre cette année son demi-siècle d’existence. «Et 50 ans d’autogestion!» insiste Damien Malfait, le plus ancien des six libraires. Voilà le marque-page du lieu: une société coopérative dont les employés ont le même statut, le même salaire et les mêmes responsabilités. Et cette réunion incontournable du lundi matin où le collectif débat aussi bien des nouveaux titres que des comptes.