Avec pas moins d’une vingtaine d’ouvrages en quinze ans, Nicolas Courjal est un familier du public de l’Opéra de Marseille où sa basse profonde impressionne toujours. Luisa Miller, Boris Godounov, les Troyens… autant de rôles marquants. Mais on se souvient de son Philippe II dans Don Carlos et de son inoubliable duo avec Marc Barrard dans Don Quichotte de Massenet la saison dernière. Après les versions concerts de Lucie de Lammermoor en français et Zoroastre avec Raphaël Pichon, il incarne aujourd’hui le père borderline dans la production de Louise de Gustave Charpentier au Festival d’Aix. Entretien.
La Marseillaise : Travailler pour un festival comme Aix est-il différent que pour une maison d’Opéra ?
Nicolas Courjal : Un lieu ouvert comme l’archevêché demande des adaptations. L’acoustique extérieure est différente. On a la chance d’avoir beaucoup de temps en amont pour travailler en profondeur. C’était le cas à Venelles dans la réplique du décor, ce qui nous a permis de travailler comme à l’archevêché. La seule vraie différence pour nous est que nous jouons tard le soir. Je chante mon dernier duo à minuit et demi. La fatigue se fait sentir. L’organisation du travail doit être revue. Il faut s’adapter au temps et quelquefois aux éléments. Calisto s’est joué dans le Mistral. Et je ne vous parle pas d’Orange. C’est terrible pour la voix.
Comment avez-vous abordé le rôle du père dans Louise ?
N.C. : J’ai eu la chance de rencontrer dès avril Christophe Loy qui m’a expliqué son parti pris. C’était passionnant car tout correspondait parfaitement avec le texte que j’avais à chanter. J’ai voulu trouver une honnêteté dans la folie incestueuse du personnage. Je voulais le juger le plus honnêtement possible. C’est un homme amoureux fou de sa fille. Christophe a créé un lien de confiance avec Elsa (Dreisig). On était d’accord pour aller chercher des choses en nous au fil des répétitions. Il y a le plaisir de montrer des personnages et surtout à l’opéra de sortir des cases habituelles : diable, méchant, père noble… Je lis beaucoup, je me nourris de l’actualité, j’observe la société, les faits divers. De ce fonds j’essaie de trouver une vérité. On ne peut pas prendre le livret de Louise au premier degré. Il y a une platitude prosaïque que seul un festival comme Aix peut dépasser. Christophe a trouvé des niveaux de lecture qui devenaient évidents. Le concept était si bien au point que chaque phrase que je disais fonctionnait.
Que représente pour vous Louise d’un point de vue purement vocal ?
N.C. : La musique est très belle. La difficulté est de la rendre naturelle. Les harmonies hésitent entre Debussy – Pelléas a été composé trois ans après – et aussi Wagner. Le duo final est introduit par un monologue qui rappelle celui de Golaud. C’est beaucoup de travail pour animer le côté conversation de l’opéra. Mais pour moi c’est un rôle hybride à la française, pas vraiment écrit pour une basse. Ce n’est pas exactement mon registre de voix. Gabriel Bacquier et José Van Dam, deux barytons, l’ont chanté. Comme quoi il faut toujours écouter un directeur de casting, il connaît bien vos potentiels.
Comment s’est fait le travail avec le chef Giacomo Sagripanti ?
N.C. : J’avais déjà travaillé avec lui dans Nabucco à Toulouse. C’est un jeune chef qui monte. Il vient du Metropolitan de New York où il remplaçait Rustioni. Quand il est arrivé, il a découvert le travail théâtral déjà bien avancé et s’est attaché à souligner le naturel de la partition. Il nous a fait confiance. En somme, pour nous tous, Louise était pareil à un travail de découverte et de création.