L’Association pour des études sur la résistance intérieure des Alsaciens propose cet été plusieurs randonnées historiques autour du camp du Struthof, accessibles depuis Strasbourg. Une plongée dans l’enfer concentrationnaire et dans une page sombre de l’histoire de notre région.

Le rendez-vous est donné à 9h, devant la gare de Rothau. « C’est ici que sont arrivés les milliers de déportés à partir de mai 1941 », explique Jean-Louis Biersohn, membre de l’Association pour des études sur la résistance intérieure des Alsaciens (AERIA).

François Le Normand, lui aussi membre de l’AERIA, poursuit : « Il y a trois raisons à la création de ce camp de concentration [du Struthof, ndlr]. Pour les Allemands, l’Alsace est un espace à contrôler, il y a une carrière à exploiter et une gare pour acheminer la main-d’œuvre esclave. » L’arrivée des déporté(e)s à Rothau était marquée par une extrême violence. Dès la descente du train, les coups pleuvent. François Le Normand reprend : « La violence avait pour but de sidérer les détenus pour mieux les contrôler après. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire La gare de Rothau où sont arrivé(e)s des milliers de déporté(e)s. © Adrien Labit / Pokaa

Quatre-vingts ans plus tard, nous rejoignons le point de départ de la randonnée après un rapide trajet en voiture depuis la gare. La route serpente à flanc de colline au milieu des arbres, la pente est raide. « La gare est à une altitude de 350 mètres, le camp à environ 800, explique Jean-Louis Biersohn. La majorité des détenus devaient rejoindre le camp à pied, c’était une marche très difficile pour des personnes déjà affaiblies. »

En Allemagne, les premiers camps de concentration ouvrent dès l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, ils permettent d’enfermer arbitrairement les opposant(e)s au régime. À partir de 1937, ces camps se transforment en camps de travail et prennent une dimension économique. Au Struthof, c’est la présence d’une carrière de marbre qui décide les nazis à ouvrir ce nouveau camp au printemps 1941.


Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire L’entrée du site de la carrière. © Adrien Labit / Pokaa

Travaux forcés et expérimentations médicales

Nous arrivons devant l’auberge du Struthof. « C’est là que sont arrivés les premiers gardiens et les premiers déportés en mai 1941, explique François Le Normand. Il faut avoir conscience qu’à l’époque, il n’y avait pas d’arbres ici, c’était un espace ouvert et donc facile à surveiller. »

Entre l’été 1941 et mars 1942, ce sont les premières personnes déportées qui vont construire le camp situé un peu plus haut. « Ils montaient tous les matins sur le chantier à pied en emmenant à la force des bras tout ce qui était nécessaire aux travaux », précise Jean-Louis Biersohn en désignant un petit chemin escarpé qui se perd dans la forêt. « Les gardiens prenaient un malin plaisir à leur compliquer la tâche. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire L’auberge du Struthof. © Adrien Labit / Pokaa

Avant de poursuivre vers le camp, les deux guides nous emmènent près d’une bâtisse. Sur le mur, un panneau indique sa fonction : « chambre à gaz ». « Elle a servi à assassiner des personnes pour réaliser des ‘expériences médicales’ », explique Jean-Louis Biersohn.

François Le Normand complète : « Les médecins nazis de l’université de Strasbourg se servaient des déportés comme cobayes. Ils ont testé des gaz, fait des recherches sur la maladie du typhus, etc. Il y en a un qui a fait gazer 86 personnes juives ici pour constituer une collection anatomique. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire

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© Adrien Labit / Pokaa

Konzentrationslager Natzweiler

Nous remontons vers le camp par un petit sentier escarpé. Près du sommet, la vue se dégage. On aperçoit, en contrebas, le site dans son ensemble, les miradors, les barbelés et la porte d’entrée sur laquelle est inscrit : « Konzentrationslager Natzweiler – Struthof ».

Jean-Louis Biersohn nous désigne une petite lanterne qui brille en contrebas : « C’est la lanterne des morts. » Destinée à rendre hommage aux personnes qui ont péri au camp, elle est installée là où étaient situés les jardins des SS. « Elle a été installée ici parce que les gardiens utilisaient les cendres des déportés morts pour fertiliser leur jardin. »

Natzweiler était un des camps les plus meurtriers d’Allemagne, les historien(ne)s estiment que près d’un(e) déporté(e) sur deux n’a pas survécu.

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire Le site du camp de Natzweiler. Au premier plan, la lenterne des morts. © Adrien Labit / Pokaa

Jean-Louis Biersohn poursuit, expliquant l’arrivée des personnes détenues dans le camp. « On leur prenait toutes leurs affaires, ils étaient rasés, lavés puis désinfectés. Ensuite, on leur donnait leur tenue et le matricule qu’ils devaient coudre dessus. C’était la première étape de la déshumanisation. »

Au camp, les détenu(e)s étaient constamment affamé(e)s, dans les premières semaines, ils et elles perdaient le quart de leur poids. La moitié au bout de quelques mois. « Marcel Masson, un Alsacien interné à Natzweiler, ne pesait plus que 25 kg à sa libération. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire

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Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire

© Adrien Labit / Pokaa

La vie au camp était rythmée par les appels. Matin et soir, les détenu(e)s devaient se rassembler en rang et rester au garde-à-vous le temps que les gardiens les comptent. Le processus pouvait durer des heures, peu importe qu’il pleuve ou qu’il neige.

« En décembre 1941, un vol est signalé, raconte François Le Normand. Lors de l’appel, le commandant décide que tant que personne ne se sera dénoncé, les détenus resteront dehors. Il faisait -10°C et ils sont restés debout de 6h à 11h. Il y a eu 35 morts. »

Nacht und Nebel

Nous reprenons la marche, longeons le camp. En surplomb, le monument du Mémorial de la déportation et la nécropole nationale. Ici reposent les dépouilles de 1119 personnes françaises déportées et mortes dans le système concentrationnaire nazi. En juillet 1943, arrive à Natzweiler une nouvelle catégorie de personnes déportées, les Nacht und Nebel (nuit et brouillard).

Il s’agit de résistant(e)s des pays occupés par l’Allemagne. Plutôt que d’en faire des martyrs en les fusillant, les nazis décident de les faire disparaître dans les camps, condamné(e)s à l’oubli et à une mort lente. « Ils avaient un traitement encore plus sévère que les autres, explique Jean-Louis Biersohn. Ils étaient affectés aux tâches les plus dures et au début, ils n’avaient même pas le droit d’aller à l’infirmerie. Il y a eu environ 2500 détenus Nacht und Nebel à Natzweiler. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire Le Mémorial de la déportation et la nécropole nationale. © Adrien Labit / Pokaa

Nous remontons la pente de la nécropole, passant au milieu des tombes. Au sommet, une zone est visible entre les arbres et la route, c’est la sablière. « Natzweiler n’était pas qu’un lieu de détention, c’était aussi un lieu d’exécution, explique François Le Normand. C’était facile de faire disparaitre les corps et en plus c’était discret. »

Environ 400 personnes auraient été exécutées dans cette petite clairière. Parmi elles, 14 jeunes Alsaciens de Ballersdorf qui avaient essayé de fuir l’incorporation de force, assassinés le 17 février 1943. Jusqu’à la veille de l’évacuation du camp, la machine de mort nazie fonctionne. En une nuit, le 1er septembre 1944, 141 résistants et résistantes français(es) sont tué(e)s.

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire Le site de la sablière où ont été assassiné(e)s environ 400 personnes. © Adrien Labit / Pokaa

« Les locaux savaient qu’il se passait des choses terribles »

Nous quittons ensuite le site du camp pour nous diriger vers la carrière. Après une petite marche en forêt, nous arrivons sur une plateforme à flanc de colline. « Il y avait un filon de granite rose qui semblait intéressant, c’est pour l’exploiter qu’ils ont construit le camp, explique François Le Normand. Finalement, le granite s’est révélé être de piètre qualité. »

À partir de 1943, le site est reconverti pour servir à l’économie de guerre. « Les déportés y démontent des moteurs d’avions pour le compte de l’entreprise Junkers qui avait une usine à Strasbourg. Ils risquaient moins d’être bombardés ici. »

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire

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Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire

© Adrien Labit / Pokaa

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire © Adrien Labit / Pokaa

La carrière était le seul endroit où les personnes déportées pouvaient croiser des ouvriers civils venus des villages alentours. « Les locaux savaient qu’il se passait des choses terribles dans le camp, certains ont pu aider les déportés en laissant de la nourriture dans la carrière. Il y a même des amitiés qui sont nées ici, entre déportés et ouvriers. »

François Le Normand sort alors une carte de l’ouest de l’Allemagne, constellée de petits points. « Natzweiler était le camp principal, mais il avait 53 camps satellites dans toute l’Alsace, la Moselle et le Bade-Wurtemberg. » En tout, 52 000 personnes ont été détenues à Natzweiler et dans ses camps annexes. Plus de 20 000 n’en sont jamais revenues.

Struthof Natzweiler Camps de concentration déportation mémoire histoire Images de la carrière lors de son exploitation. © Adrien Labit / Pokaa

Randonnée historique autour du camp du Struthof

Quoi ?

Itinéraire historique avec guide

Quand ?

Dimanche 13, jeudi 17 juillet et mercredi 30 juillet

où ?

Rothau et camp du Struthof

Plus d’infos ?

  • Rendez-vous à 9h à la gare de Rothau (retour vers 13h30), puis trajet en voiture de la gare à l’auberge du Struthof. La suite de la randonnée se fait ensuite à pied dès 9h40.
  • Gratuit, prévoir de bonnes chaussures de marche et de quoi boire.
  • Distance 5 km, dénivelé 130 mètres.
  • Attention : il est préférable de venir en voiture afin de faire le trajet gare-auberge + la rando ne comporte pas la visite du camps, qui est payante !

Plus d’informations sur le site de l’Office de tourisme de la vallée de la Bruche