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Alexandra Segond

Publié le

13 avr. 2025 à 19h44

« Un parcours de soins chaotique de huit ans. Et encore, j’ai été diagnostiquée sur un coup de chance, par le père d’un ami qui est radiologue ! » Émilie ne mâche pas ses mots pour évoquer le syndrome de congestion pelvienne, la maladie dont elle souffre depuis des années.

« Pas un mot au cours de mes études, le sujet souvent méconnu quand j’en parle à mes co-internes ou à mes chefs à l’hôpital, quasiment rien sur Internet et dans les médias… Imaginez : je suis interne en médecine et je n’ai pas de réponse », souffle la jeune femme auprès d’actu.fr.

Pour remédier à ce manque d’informations, elle a fondé en 2021 l’association ASCP France. L’objectif est de sensibiliser et de soutenir les femmes souffrant de cette maladie gynécologique « encore méconnue et largement sous-diagnostiquée ». Elle touche pourtant près « d’une femme sur 20 en âge de procréer ».

Le SCP, une insuffisance veineuse au niveau du pelvis

Le « syndrome de congestion pelvienne » (SCP) est une pathologie chronique chez la femme, caractérisée par des douleurs de plus ou moins intenses dans le bas du ventre.

Dessin de la région pelvienne d'une femme montrant les trompes de Fallope, les ovaires, l'utérus, le col de l'utérus et le vagin.
Dessin de la région pelvienne d’une femme montrant les trompes de Fallope, les ovaires, l’utérus, le col de l’utérus et le vagin. (© National Cancer Institute / WikimediaCommons)Vidéos : en ce moment sur Actu

Le SCP résulte d’une insuffisance veineuse au niveau du pelvis, « une importante zone de croisements vasculaires, entre les vaisseaux de l’abdomen et les vaisseaux des membres inférieurs », explique à actu.fr le Dr Élisabeth Chéreau, chirurgienne gynécologique à l’Institut de la chirurgie de la femme de Marseille.

D’autant plus chez la femme puisque l’utérus, qui se trouve au centre du pelvis, est un canalisateur veineux important. L’apport veineux au pelvis est d’ailleurs très dépendant des hormones, ceux-ci stimulant directement l’utérus.

Dr Élisabeth Chéreau
Chirurgienne gynécologique à l’Institut de la chirurgie de la femme de Marseille

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De (très) multiples symptômes

Les symptômes associés au SCP sont nombreux et très variables en fonction des femmes. Raison pour laquelle la maladie reste très difficile à diagnostiquer.

La douleur « y occupe une place centrale, à condition qu’elle évolue depuis plus de six mois (qu’elle soit chronique, donc), qu’elle soit plus vive en fin de journée et qu’elle irradie dans le dos, les cuisses, parfois la vulve », reprend Emilie Schmitt, la présidente de l’ASCP France.

Les autres symptômes associés au SCP et relevés par son association sont :

  • Urologiques : envie pressante et fréquente d’uriner ;
  • Digestifs : gonflement abdominal, alternance entre constipation et diarrhées, hémorroïdes ;
  • Dans les membres inférieurs : jambes lourdes, sensation de pesanteur, syndrome des « jambes sans repos » (impatiences).

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« Des douleurs lombaires peuvent aussi survenir, ainsi que des douleurs pendant ou après les rapports sexuels », souligne Émilie Schmitt. La présence de varices récidivantes sur les jambes, « surtout pour les femmes d’âge mûr », peut également rentrer dans le SCP.

Une « pathologie nouvelle », dans le sillage de la démocratisation de l’endométriose

Le SCP compte aujourd’hui parmi les maladies gynécologiques les plus répandues. Il touche une femme sur 20 « est impliqué dans 30 % des douleurs chroniques pelviennes de la femme. Ce n’est donc pas rien ! », chiffre le Dr Chéreau.

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Bien qu’elle ne soit pas rare, la maladie reste peu diagnostiquée, car encore méconnue, tant des patients que des soignants. « C’est une pathologie nouvelle, apparue notamment avec la sensibilisation croissante sur l’endométriose. Ce doit faire trois ou quatre ans à tout casser que l’on parle du SCP », justifie la chirurgienne gynécologique.

Beaucoup de femmes ayant des douleurs sont venues consulter. Lorsque l’on ne trouvait pas d’endométriose mais que les symptômes persistaient, on s’est mis à chercher ailleurs – ce qui était facilité par les avancées technologiques de l’imagerie médicale.

Dr Élisabeth Chéreau
Chirurgienne gynécologique à l’Institut de la chirurgie de la femme de Marseille

Nausée omniprésente, diarrhées, sueurs froides…

Et vivre avec le SCP, ça donne quoi ? Comme Émilie, Johanna souffre de cette pathologie. Et comme Émilie, elle a souffert d’une grande errance médicale.

« 14 ans pendant laquelle on pensait que c’était dans ma tête, 14 ans de crises d’angoisse et de détresse psychologique », résume-t-elle à actu.fr, la voix tremblante.

Tout commence avant sa première grossesse. Johanna est confrontée à de très gros problèmes gastriques. « Dès que je mangeais ou dès que j’étais contrariée, il fallait que je coure aux toilettes. C’était des diarrhées constantes », commence-t-elle.

À 5h du matin, mon mari entendant des gargouillements dans mon ventre, comme si tout mon appareil gastrique se débouchait. Je me réveillais en sursaut et en sueur pour aller me vider, littéralement. J’avais la nausée tout le temps, des sueurs froides, des bourdonnements dans les oreilles… Une intolérance épidermique aussi : lors de mes crises, mon mari ne pouvait pas m’approcher ni me toucher.

Johanna

« On m’a dit que c’était le stress »

Rendez-vous avec un gastro-entérologue, endoscopie, coloscopie… Rien n’explique la perte de poids de Johanna, couplée à d’abondantes règles très douloureuses, ainsi que des douleurs au pelvis.

Pour les professionnels de santé, les examens ne mettent rien de physiquement en évidence. « On m’a dit que c’était le stress, que je suis quelqu’un d’anxieuse. Concernant mes règles, j’étais allée voir un gynécologue qui m’avait affirmé que c’était normal d’avoir mal pendant ses règles. Donc, j’ai toujours fait avec », énumère Johanna.

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Et pourtant, « non, ce n’est jamais normal d’avoir mal pendant ses règles », confirme à actu.fr le Dr Chéreau. Avant de nuancer : « Les règles résultent de la contraction de l’utérus. Plus il serre fort, plus la sensation de douleur s’accentue ».

Une femme qui a des règles abondantes et des douleurs ? C’est normal, à condition que ça passe avec la prise de paracétamol ou d’un médicament antalgique. Si ce n’est pas le cas, alors on considère que les douleurs sont anormales.

Dr Élisabeth Chéreau
Chirurgienne gynécologique à l’Institut de la chirurgie de la femme de Marseille

« J’ai fini par croire que je devenais folle »

À la souffrance physique chronique, l’errance médicale n’est pas sans affecter aussi la santé mentale des patientes. « Après avoir vu quantité de médecins qui disaient tous qu’il n’y avait rien, j’ai fini par croire que je devenais folle. Je ne savais plus ce qui m’appartenait et ce qui ne m’appartenait plus », opine Johanna.

Sa vie de famille a directement souffert de sa maladie chronique non reconnue : « Certains jours, je ne pouvais pas physiquement m’occuper de mes enfants, ni jouer avec eux. Comment profiter avec ses enfants quand on ne peut plus courir, à peine marcher… »

Son couple aussi. « La libido, par exemple, en prend un sacré coup », souffle Johanna, admettant avoir été « plusieurs fois proche du divorce ».

Même mon mari, qui m’a toujours crue et soutenue, a fini par douter. Je me souviens d’un jour où, pendant une consultation, un médecin s’est tourné vers mon mari et lui a demandé : « mais elle n’est pas un peu folle votre épouse ? ». Humiliant.

Johanna

« Une souffrance psychologique jusqu’à avoir envie de partir et d’en finir »

Malgré sa souffrance et sa « détresse psychologique », Johanna a donc appris à se taire au quotidien. « J’appelais ça le syndrome de Hulk : je prenais, je prenais, je prenais, et un jour, je n’y arrivais plus, alors j’explosais… et je me sentais encore plus coupable », confie-t-elle.

Une charge mentale telle que Johanna a déjà eu envie de « partir et d’en finir pour arrêter d’être un poids ». Un cas loin d’être isolé malheureusement, nous explique Emilie Schmitt.

On a constaté que souffrir de maladies chroniques (en particulier des douleurs chroniques) entraîne une dégradation de la qualité de vie professionnelle et personnelle. Sur les quelques études dont on dispose, on relève des troubles dépressifs et anxieux causés par le SCP.

Emilie Schmitt
Présidente de l’association ASCP France

Quels traitements ?

Heureusement, « on peut tout à fait guérir du SCP », affirme le Dr Chéreau. Première étape : poser le diagnostic en prenant rendez-vous chez un gynécologue ou une sage-femme pour relever précisément les symptômes.

Un examen clinique (palpation du ventre) pourra être réalisé en complément. La patiente est ensuite adressée à un service de radiologie pour réaliser un bilan d’imagerie (échographie, doppler, IRM pelvienne) et/ou une phlébographie.

« Ces imageries permettent de voir les veines tortueuses et dilatées. Une fois identifiées, on peut confirmer le diagnostic et orienter le traitement », complète Émilie Schmitt. Différentes pistes sont possibles.

« Il s’agit d’abord d’agir sur les facteurs de risques, comme adopter une hygiène de vie plus saine, éviter de rester debout tout le temps ou encore porter des bas de contention », illustre Elisabeth Chéreau. Des médicaments peuvent aussi être prescrits, à savoir des veinotoniques et/ou des antalgiques.

« Je suis sortie du bloc, le sourire jusqu’aux oreilles »

Lorsque c’est nécessaire, il faudra passer par une embolisation. Il s’agit d’une opération (sous anesthésie locale ou générale) visant à boucher les veines pathologiques pour que celles-ci se nécrosent et que le réseau veineux « sain » prenne le relais.

C’est ce qu’a subi deux fois Johanna, en 2019-2020 puis en 2023. « Après ma première embolisation, la nausée a disparu immédiatement. Je suis sortie du bloc, j’avais un sourire jusqu’aux oreilles et je n’arrêtais pas de répéter : je suis sauvée, je suis sauvée », se remémore-t-elle.

Devenue depuis le traitement de référence du SCP, l’embolisation de la veine ovarienne est à faible risque de complications et possède en moyenne 75% de succès clinique.

Association du syndrome de congestion pelvienne (ASCP France)

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« Tout se discute au cas par cas »

Il existe toutefois des risques de récidive(s) de varices pelviennes après embolisation, en particulier après une grossesse. « La maladie est tellement complexe et différente d’une femme à l’autre, tout se discute au cas par cas », tranche Emilie Schmitt.

Il y a une nouvelle génération de médecins qui s’interrogent et les soignants sont de plus en plus sensibilisés. Je parlais récemment à un radiologue qui embolise des centaines de femmes par an. Le message à passer c’est : « on vous croit, on entend votre douleur vous n’êtes pas seules ».

Emilie Schmitt
Présidente de l’association ASCP France

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Pour toute question ou demande d’information sur le syndrome de congestion pelvienne, n’hésitez pas à contacter l’ASCP France.

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