Un conflit d’intérêts éclabousse-t-il la CCI Alsace Eurométropole ? La question divise, au sein même des instances de la chambre consulaire, depuis que des membres du bureau ont relevé une potentielle irrégularité dans la stratégie et les arbitrages présidant à l’avenir du campus CCI.
Composé d’élus, un groupe de travail dédié aux investissements de la chambre et notamment à l’étude de différents scénarios pour le futur campus, s’est prononcé en mars dernier en faveur d’une relocalisation des activités de formation dans un immeuble de Schiltigheim construit par KS : le « Lignum », dont l’acquisition effective restait à être votée en assemblée générale. Une opération estimée à près de 26 millions d’euros. Mais le 22 avril dernier, alors que ce point était à l’ordre du bureau du 29, des élus ont noté la présence de l’annonce de la vente de ce bien sur le site de la société Cushman & Wakefield, spécialisée dans l’immobilier d’entreprise. Société dirigée par Vincent Triponel, élu de la CCI, membre du bureau et dudit groupe de travail.
Une « erreur matérielle », selon l’intéressé
Selon l’intéressé que nous avons contacté, il s’agit d’une simple « erreur matérielle », le mandat de commercialisation conclu entre KS et Cushman & Wakefield pour ce bien ayant été résilié le 13 septembre 2024, comme en attestent des documents transmis anonymement à notre rédaction qui ont porté les faits à notre connaissance. « J’estime ne rien avoir à me reprocher », indique Vincent Triponel, qui a depuis démissionné du groupe de travail et pris ses distances avec les instances de la CCI, le temps que cette « affaire » soit tirée au clair.
Car l’hypothèse d’un conflit d’intérêts a été d’emblée prise au sérieux, conformément au règlement de la chambre. « Nous avons immédiatement réagi – dès ce signalement – en sollicitant l’avis de nos instances internes compétentes, de nos avocats ainsi que du cabinet Finegan – expert de la conformité », retrace la CCI Alsace Eurométropole dans une réponse écrite. « Toutes les décisions évoquées ont été prises dans un cadre institutionnel rigoureux, avec un processus de contrôle pleinement respecté, et des vérifications externes menées par des experts indépendants », indique encore la CCI qui « prend acte de transmissions anonymes de documents confidentiels à la presse ».
Dans une note du 7 mai dernier – qui figure parmi les documents que nous avons pu consulter -, le cabinet d’avocats Soler-Couteaux écarte pour ce cas précis le risque de prise illégale d’intérêt du fait de la résiliation du mandat de commercialisation : « L’opération dont il avait la surveillance et l’administration […] s’est déroulée à un moment où l’élu n’était plus susceptible d’y prendre un intérêt personnel direct ou indirect. » Ces conclusions et l’avis du déontologue de la CCI à l’appui, le cabinet de conseil en conformité Finegan a estimé à son tour, dans un pré-rapport transmis le 2 juillet à la CCI et communiqué par celle-ci, que « les qualifications de conflit d’intérêts ou de prise illégale d’intérêts ne sont pas constituées ».
Tensions au sein du bureau de la CCI
Pour autant, la question n’est manifestement pas évacuée. Le projet d’acquisition du Lignum, qui semblait avancé, est suspendu. L’assemblée générale de la CCI, réunie par voie électronique début juillet, s’est bornée à voter « la poursuite du projet de rénovation ou de relocalisation de CCI Campus Strasbourg », maintenant toutes les hypothèses sur la table. « Les réflexions sur ce projet reprendront à la rentrée », indique la chambre qui voit dans ce vote un témoignage de « la confiance des élus et de la sérénité de notre gouvernance ».
Mais cette sérénité apparaît bien précaire. En marge de la saisine par le directeur général de la CCI, en avril, de la commission de prévention des conflits d’intérêts, des élus ont demandé le 26 mai qu’une enquête interne soit diligentée « au-delà de l’opération [du Lignum] ». « La potentielle situation de conflits d’intérêts […] paraît susceptible d’avoir impacté bien d’autres opérations », estiment-ils. A la fin de non-recevoir qui leur a été opposée le 3 juin, au motif d’une précédente saisine, ils ont répondu le 6, par l’intermédiaire de leur conseil, qu’ils saisiraient le préfet de Région à défaut de réponse.
Loin de la sérénité vantée, le fait que des documents internes aient été rendus publics malgré un appel au respect d’une « totale confidentialité » sème le trouble parmi les élus et membres de la CCI. « C’est devenu une histoire de personnes qui se parlent par avocats interposés », résume un connaisseur du dossier qui décrit une atmosphère conflictuelle et un bureau divisé à un peu plus d’un an de prochaines élections qui pourraient bien aiguiser des appétits. Selon nos informations, le nom d’un certain Vincent Triponel a circulé parmi les potentiels successeurs de Jean-Luc Heimburger , l’actuel président.