En 1995, les Vieilles Charrues posent leurs valises à Carhaix, marquant le tournant décisif vers le format « festival ». Cette année-là, 10 000 spectateurs se pressent sur la place du Champ-de-foire. L’année suivante, ils sont 20 000, puis 40 000 en 1997 : une croissance fulgurante qui pousse les organisateurs à déménager l’événement à Kerampuilh dès 1998. Une époque révolue, que les moins de vingt ans n’ont pas connue, mais que les nostalgiques évoquent encore avec émotion.

« On est devenus parents ; on a vieilli »

Pierre et Hélène sont de ceux-là. En 1995, ils venaient de terminer leurs études universitaires. Ces premières Charrues à Carhaix ont coïncidé, pour le couple, avec une sorte de dernier été de l’insouciance. Hélène se souvient « comme si c’était hier » du concert des Silencers. « J’habitais Brest à l’époque. Je serais venue à pied pour voir Jim Kerr, mon idole de l’époque. Aucun concert des Vieilles Charrues par la suite ne m’a procuré une telle émotion, pas même celui de Springsteen que j’adore pourtant ».

Son mari garde plutôt en mémoire le passage de James Brown, en 1997. « Un artiste hors norme. J’avais emmené mon père qui n’en revenait pas de voir Mr Dynamite à Carhaix ! C’est la seule fois de sa vie qu’il est venu aux Vieilles Charrues. » Pendant dix ans, le couple n’imaginait pas faire l’impasse sur le festival. « Et puis les années ont passé… On est devenus parents. On a vieilli. On est toujours contents d’y aller de temps en temps mais si ce n’est pas le cas, ce n’est pas très grave. »

« C’est surtout de ma jeunesse dont je suis nostalgique ! »

Sylvie, 66 ans, explique parfois regretter « le côté familial des premières éditions carhaisiennes ». « Surtout quand il y a des embouteillages. Je me dis alors que c’était plus facile de se garer il y a trente ans », sourit l’ancienne aide-soignante. Elle a pourtant vécu sa plus belle émotion à Kerampuilh. « Pour le concert de Johnny. Mon mari était un fan absolu. C’était notre dernière sortie en couple. Il est mort quelques semaines plus tard. »

Les odeurs d’urine les lendemains des concerts sur la place du Champ-de-Foire, j’en fais encore des cauchemars !

Lionel, lui, n’a pas connu les Charrues au centre-ville. « Mais j’étais là en 1998 pour la première à Kerampuilh. J’avais 25 ans. Pendant dix ans, les Charrues, plus que les concerts, c’étaient les retrouvailles avec mes potes de lycée. Puis nous sommes devenus parents et la petite bande s’est dispersée. J’ai toujours le même plaisir à aller au festival mais quatre jours de fête non-stop, je ne peux plus. Rien à avoir avec la nostalgie. » Luc, qui vient de souffler ses 60 bougies est sur la même longueur d’onde. « C’est surtout de ma jeunesse dont je suis nostalgique ! », confie le commercial.

« Le « c’était mieux avant », ça me gonfle ! »

Si certains souvenirs restent vivaces, le festival, lui, n’est pas resté figé. Il a grandi, évolué, s’est professionnalisé — sans jamais perdre cette énergie collective qui le rend unique. Pour Alain, 51 ans, « les Charrues c’est mille fois mieux aujourd’hui ». « Dans les années 90, j’habitais non loin de la place du Champ-de-Foire. Les odeurs d’urine les lendemains des concerts, j’en fais encore des cauchemars », rigole le technicien informatique

« Le « c’était mieux avant », ça me gonfle ! Pour les Charrues comme pour le reste, abonde Yves, pourtant loin d’être un accro. Mon truc c’est le jazz. Cela ne m’empêche pas aller de temps en temps aux Charrues avec des copains. Je trouve l’organisation parfaite. Probablement que dans trente ans, les festivaliers seront nostalgiques des Charrues actuelles. »