Commençons par un état des lieux. Des jeux PlayStation sortis ailleurs que sur PlayStation, on en trouve des tas. Il y a bien sûr la grande ouverture au PC, qui a réellement commencé avec Horizon Zero Dawn en août 2020, même si techniquement les portages du premier Helldivers et d’Everybody’s Gone to the Rapture ont précédé le jeu de Guerrilla. Il y a aussi les cas de MLB The Show et Death Stranding qui ont fait jaser en sortant sur Xbox Series — et Switch dans le cas du jeu de baseball — mais sans que ces portages soient publiés par Sony. Dans les deux cas, ces sorties s’expliquent par des facteurs externes.
Le déploiement multiplateforme de MLB The Show depuis 2021 est une conséquence contractuelle de l’extension du partenariat entre Sony et la ligue majeure de baseball en décembre 2019. Par sa popularité aux États-Unis, MLB The Show est une rentrée d’argent facile chaque année pour Sony. La perte de l’exclusivité (qui durait depuis 2006) était une maigre concession pour continuer à développer la simulation de baseball de référence. Quant à Death Stranding, Sony avait laissé 505 Games s’occuper de la sortie PC (et iOS) du jeu de Kojima Productions, sans doute parce que le constructeur n’avait pas encore mis en place sa stratégie PC au moment de sa mémorable signature avec Hideo Kojima, en décembre 2015. Sa sortie sur Xbox Series et Amazon Luna, pile le jour du 5e anniversaire du jeu, avait de quoi surprendre, mais elle allait de pair avec l’acquisition de la franchise par Kojima Productions.
Les choses se compliquent un peu avec LEGO Horizon Adventures, qui est sorti sur PS5 et PC mais aussi Switch en novembre 2024, ce qui en fait le tout premier jeu publié par Sony sur une console autre que PlayStation. Si certains ont voulu rationaliser la chose en notant qu’il s’agissait d’un spin-off familial, la question demeure : qu’est donc venu faire un jeu Horizon sur Switch ? Cette version faisait-elle partie du deal avec LEGO ? Allez, admettons. Mais regardez, la liste continue : depuis cette année, on peut ajouter Freedom Wars Remastered, Patapon 1+2 Replay et bientôt Everybody’s Golf : Hot Shots, trois franchises appartenant toujours à Sony mais dont les sorties sur PS5, Switch et PC sont à mettre au crédit de Bandai Namco, qui a même annoncé Patapon et Hot Shots durant un Nintendo Direct. PlayStation et Bandai Namco ne se sont pas exprimés sur les coulisses de cet étonnant partenariat, mais il n’y a aucune raison de le voir d’un mauvais œil étant donné qu’il s’agit de jeux dont Sony ne fait clairement plus rien. Si des titres comme Gravity Rush et Soul Sacrifice peuvent éviter de sombrer dans l’oubli grâce à Bandai Namco, on prend.
Il n’empêche que ça commence à faire un paquet d’exemples de jeux PlayStation first-party exfiltrés sur d’autres plateformes. Et encore, on aurait pu mentionner Heavy Rain, Beyond : Two Souls et Detroit : Become Human, qui ont aussi obtenu leur bon de sortie sur PC sous l’édition de Quantic Dream. Dans ce contexte, la sortie d’Helldivers 2 sur Xbox Series peut facilement passer pour un simple exemple de plus, mais elle est pourtant loin d’être anodine. Contrairement à MLB The Show et Death Stranding, on parle ici d’un jeu qui va bien être publié directement et délibérément sur Xbox Series par Sony, plus précisément par « PlayStation Publishing LLC », la branche éditoriale déjà utilisée pour les portages PC, qui se nommait d’ailleurs précédemment « PlayStation PC LLC ». Qui plus est, ce portage Xbox Series a sollicité la participation de Nixxes, un studio PlayStation spécialisé dans les portages PC. Il ne faut donc pas s’y tromper, l’annonce d’Helldivers 2 sur Xbox Series constitue une vraie première, une nouvelle fissure qui préfigure peut-être un changement plus large dans le schéma de pensée de Sony.
Helldivers 2 n’a évidemment pas été choisi au hasard. C’est un jeu multijoueur couronné de succès qui a tout à gagner à sortir sur une plateforme supplémentaire, surtout avec le cross-play. En plus d’avoir signé le meilleur démarrage de l’histoire des jeux PlayStation Studios avec 12 millions d’exemplaires vendus en 12 semaines, Helldivers 2 est un jeu qui a prouvé sa valeur sur la durée et que l’on voit rebondir fièrement à chaque mise à jour d’envergure. Fin mai, lors de l’attaque de la Super-Terre par les Illuministes, le jeu avait réalisé une semaine à 3,4 millions de joueurs. Hermen Hulst, responsable des studios PlayStation, a révélé que plus de 50 % des revenus du jeu proviennent des achats intégrés, autrement dit de la vente d’équipements spéciaux nommés obligations de guerre (warbonds). Les joueurs Xbox qui achèteront Helldivers 2 trouveront dans la boutique une douzaine de ces ensembles, dont la valeur totale dépasse déjà largement la centaine d’euros. De quoi ajouter du beurre dans les épinards, surtout ceux de Sony.
On peut débattre la pertinence de sortir un jeu sur une plateforme moribonde comme la Xbox Series, dont les utilisateurs sont conditionnés à attendre que tout leur tombe tout cuit dans le bec via le Game Pass. C’est un argument recevable. Quiconque possède une visibilité sur les coulisses de l’industrie vous le dira : Microsoft n’arrive plus à vendre de jeux sur ses consoles. Aux États-Unis, à fin décembre 2024, les ventes de Xbox Series étaient en retard de 18 % sur celles de la Xbox One, selon Circana. Tout cela est vrai, mais n’oublions pas que la communauté Xbox est historiquement très présente sur le segment des shooters et qu’Helldivers 2 jouit d’un grand pouvoir d’attraction. Même publié par Sony, ce jeu faisait tout simplement l’objet d’une demande insistante de la part de la communauté Xbox et je n’ai pas de doute sur le fait que les ventes de ce portage seront satisfaisantes. Poussons le bouchon un peu plus loin : ce n’est pas prendre un gros risque de dire que la sortie d’Helldivers 2 sur Xbox va faire autrement plus de bruit (et d’argent) que celle de Gears of War Reloaded sur PlayStation 5, le même jour. Ça paraît évident aujourd’hui, mais personne n’aurait osé prétendre un truc pareil il y a encore 18 mois.
Sony a aussi pour objectif de comptabiliser toujours plus d’utilisateurs actifs. Et si les joueurs Steam ont fait de la résistance quand on leur a demandé de relier leur compte au PlayStation Network, les joueurs Xbox se plieraient sans doute sans mal à cet exercice. Cependant, rien n’indique pour le moment qu’une liaison avec un compte PSN sera nécessaire pour propager la démocratie sur Xbox, de même que personne n’a fait mention d’une progression croisée entre les plateformes.
Avant de tenter de comprendre ce que signifie la sortie d’Helldivers 2 sur Xbox Series, il est intéressant d’observer comment l’annonce s’est déroulée d’un point de vue communication. Quelques jours avant la nouvelle, quelque chose se tramait du côté d’Arrowhead, qui avait convié sa communauté à une diffusion en direct. C’était une première pour le studio, qui n’avait encore jamais organisé un tel rendez-vous. Notez bien que la diffusion a eu lieu sur la chaîne YouTube du jeu, récemment créée et gérée par Arrowhead, et non sur un canal de PlayStation, qui n’avait d’ailleurs pas mentionné ce livestream. Ce dernier n’a duré en fait que quelques minutes, le temps pour le directeur créatif Johan Pilestedt de mobiliser les joueurs Xbox avec une bande-annonce et un bref discours. Dans la foulée, une annonce a été publiée sur Xbox Wire et relayée par les réseaux Xbox.
Mais rien du côté de PlayStation, dont le compte X s’est contenté d’un simple retweet. Pour sa part, le communiqué de Microsoft évite soigneusement de mentionner Sony ou PlayStation, même lorsqu’il évoque le cross-play, tandis que la bande-annonce mise en ligne sur la chaîne Xbox se contente du strict minimum légal pour créditer Sony. C’est tout juste si on peut apercevoir un discret logo PlayStation Studios à la fin de la vidéo. Tout cela traduit une volonté évidente de ne pas causer trop de convulsions dans le cercle des joueurs les plus protectionnistes. Une forme de damage control, donc, même si on est bien loin de l’annonce d’Horizon Zero Dawn sur PC en mars 2020, quand Hermen Hulst avait dû se plier à une série de questions-réponses pour rassurer le peuple bleu et lui expliquer que la console resterait prioritaire.
Aussi notable soit l’annonce d’Helldivers 2 sur Xbox Series, force est de constater qu’elle n’a pas provoqué le tremblement de terre médiatique qu’on aurait pu imaginer (il faut dire que Microsoft monopolisait déjà l’actualité pour d’autres raisons). Sony semble faire confiance à ses fans pour raison garder. Sa discrétion sur le sujet contraste en tout cas avec la façon dont Microsoft s’était engagé sur le chemin délicat de l’édition tierce. Début 2024, quand Xbox avait confirmé la sortie de quatre jeux sur des consoles concurrentes, Phil Spencer, Matt Booty et Sarah Bond avaient pris soin d’enregistrer un podcast de 22 minutes pour contextualiser longuement cette évolution stratégique, rassurer la communauté en expliquant qu’il ne s’agissait que de quatre jeux, que cela ne voulait pas dire que tous les gros titres Xbox allaient arriver sur PlayStation et tutti quanti. « Nous avons donc pris la décision de porter quatre jeux sur les autres consoles — seulement quatre jeux, ce qui ne constitue pas un changement fondamental de notre stratégie d’exclusivité », disait l’oncle Phil. C’était évidemment du baratin destiné à colmater les discours catastrophistes des éditorialistes et des Youtubeurs.
En parlant d’éléments de langage, voici ce qu’un porte-parole de PlayStation France a répondu à Julien Chièze au sujet de cette annonce : « La stratégie actuelle de Sony Interactive Entertainment est d’évaluer les jeux service qui permettent d’élargir le public et de proposer du cross-play. Nous examinerons attentivement chacun de nos titres live au cas par cas. » Le fameux « au cas par cas » ne manquera sans doute pas de rappeler celui de Phil Spencer à l’époque de l’acquisition de Bethesda, quand on se demandait comment Microsoft allait évaluer le degré d’exclusivité de jeux comme Indiana Jones, Oblivion Remastered et DOOM : The Dark Ages. On sait maintenant ce qu’il en est.
‘O solo mio
Ceci dit, vous aurez saisi la nuance : Sony ne mentionne que les jeux en ligne. La position actuelle du constructeur consiste donc à maintenir une séparation arbitraire entre les grosses productions solo et les jeux multijoueur. Les uns sont destinés à sortir en premier sur console PlayStation mais peuvent prendre la direction du PC dans l’année qui suit. Les autres, en revanche, comptent bien profiter de la popularité de Steam pour mettre toutes les chances de leur côté et décoller immédiatement. Ce que certains ont su faire (Helldivers 2) et d’autres non (Concord).
L’annonce de la semaine dernière prouve que les jeux multijoueur de PlayStation sont susceptibles de s’étendre, non plus seulement au PC, mais bien à d’autres consoles que la PlayStation. Les productions solo, elles, ne seraient pas concernées, comme le disait encore Hermen Hulst le mois dernier, dans le cadre de la présentation stratégique annuelle des différentes divisions de Sony : « Il est important de comprendre que nous réfléchissons vraiment à la manière de proposer nos franchises en dehors des consoles pour toucher de nouveaux publics et que nous adoptons une approche très mesurée, très réfléchie. Surtout pour nos jeux solo phares, qui constituent un élément de différenciation. Nous réfléchissons soigneusement à la manière, et au moment, de porter ces jeux sur d’autres plateformes. »
Il y a juste un petit problème : même si Sony prévoit de porter tous ses jeux multijoueur sur les autres consoles, la liste va être vraiment courte compte tenu de la tronche de l’opération live service du constructeur. À supposer qu’il intéresse le public un jour, Marathon est déjà multiplateforme car publié par Bungie qui reste une entité distincte de PlayStation. À part le récemment annoncé Marvel Tokon : Fighting Souls, il nous reste donc un Fairgames auquel personne ne semble croire, pas même Jade Raymond qui avait pourtant constitué le studio autour d’elle, le jeu multijoueur Horizon, s’il daigne se montrer un jour, ainsi que le jeu encore non annoncé de teamLFG, nouvelle recrue des PlayStation Studios.
Alors évidemment, il serait absurde de dire que Sony a fait sauter tous les verrous et qu’il se trouve dans la même situation que Microsoft. Ce ne sera pas le cas tant qu’on ne verra pas un blockbuster maison (The Last of Us, God of War, Ghost, Horizon, Uncharted) débarquer sur une console non PlayStation. Mais la sortie d’Helldivers 2 sur Xbox Series ouvre quand même une brèche dans les certitudes : au train où vont les choses, il faudrait être audacieux pour parier qu’on ne verra jamais les séries emblématiques de PlayStation sortir sur Xbox ou Switch. Ne tombons pas dans le même piège que ceux qui ont gobé les paroles en l’air de la direction d’Xbox sur le soi-disant non changement de leur stratégie d’exclusivité.
Pour la plupart des joueurs, ceux qui sont sains d’esprit, tout ce blabla n’a aucune espèce d’importance. La seule chose qu’ils ont retenue, c’est qu’ils vont pouvoir jouer à Helldivers 2 avec leurs potes sur Xbox, et ils ont bien raison. Le drama n’existe que pour les défenseurs de l’idée, historique et légitime, que l’identité et l’attrait d’une console se définissent principalement par la force de ses exclusivités. Pour eux, l’annonce d’Helldivers 2 sur Xbox Series a un goût amer. Ils estiment qu’elle représente une nouvelle étape dans le processus de dévalorisation de la plateforme PlayStation. Dites-vous que certains ne digèrent toujours pas le fait de voir des jeux PlayStation Studios sortir sur PC.
La direction de Sony est accusée de vouloir maximiser à tout prix les profits à court terme, sans réfléchir aux implications à long terme que sa stratégie peut causer. Certains estiment que Sony aura même du mal à trouver des arguments de vente pour sa future PlayStation 6. Je suis loin d’être d’accord avec ce dernier point, mais je comprends leur raisonnement sur ce qui apparaît comme une stratégie à double tranchant. Le constructeur a-t-il vraiment calculé les risques à long terme qu’il prend en éparpillant toujours plus d’exclusivités sur toujours plus de plateformes ? Dit autrement, l’augmentation des bénéfices à court terme vaut-elle la peine de porter atteinte à la vitrine de son écosystème console ? Répondons honnêtement à ces questions : on n’en sait foutre rien. Qui peut vraiment déterminer combien de clients et de clients potentiels Sony a perdu en commençant à partager ses plus belles productions sur PC et combien il en perdra en commençant à étendre ses jeux aux autres consoles ? Le constructeur japonais lui-même serait mal avisé de nourrir trop de certitudes sur ces sujets.
Pour l’heure, l’écosystème PlayStation revendique plus de joueurs actifs que jamais, à savoir 124 millions, dont une portion encore très conséquente joue toujours sur PS4. Il s’agirait donc de ne pas dissuader ces retardataires de continuer leur chemin sur PS5, quand l’heure sera venue de choisir leur prochaine machine de jeu. À court terme, la sortie du seul Helldivers 2 sur Xbox Series n’est évidemment pas en mesure de nuire à la situation de la PS5. Et si celle-ci se vend un peu moins vite que la PS4, c’est certainement plus une question de prix (la PS5 coûte presque deux fois plus chère qu’une PS4 au même stade) que les conséquences de pouvoir jouer à Spider-Man et God of War sur Steam. Cela étant, on ne peut pas dire que les ventes de consoles Xbox soient flatteuses depuis que Microsoft a décidé de sortir tous ses jeux sur PC.
PlayStation a-t-il vraiment besoin des autres ?
Cinq ans après le début de l’ouverture au PC, que représente vraiment cette plateforme dans les comptes de Sony Interactive Entertainment ? Prenons le dernier bilan annuel du groupe, clos le 31 mars 2025. Toutes les ventes de jeux et microtransactions first-party réalisées sur d’autres plateformes que la PlayStation sont indiquées à la page 15 de ce document, dans la catégorie Other Software. Sur les 14,7 milliards d’euros générés par les ventes de jeux et microtransactions pendant l’année fiscale, les ventes hors PlayStation représentent donc 565 millions d’euros, autrement dit un peu moins de 5 % du chiffre d’affaires software total. Alors, ce ne sont pas des clopinettes, mais on voit bien que cette source de revenus reste marginale. Mon propos ici, c’est que Sony ne serait certainement pas dans une plus mauvaise posture s’il était resté fidèle à ses consoles. Au pire des cas, sans la communauté PC, Helldivers 2 n’aurait été qu’un gros succès au lieu d’un gigantesque succès. Et il va sans dire que le PC n’est pas la solution miracle à toutes les causes perdues : les joueurs Steam n’ont été d’aucun secours pour Concord, c’est le moins que l’on puisse dire. Bref, sur le plan économique, l’ouverture au PC ne me semble pas avoir été transformative en quoi que ce soit pour le groupe japonais.
Et je vois une autre bonne raison de questionner la pertinence de la stratégie d’ouverture de Sony : son écosystème n’est fondamentalement pas conçu pour maximiser le multiplateforme. Je m’explique. Sony est un constructeur confortablement installé dans le paysage vidéoludique, qui a le loisir d’observer comment se déroulent les choses pour ses deux rivaux, lesquels ont emprunté des chemins diamétralement opposés : d’un côté l’ouverture totale au multiplateforme de Microsoft et de l’autre la préservation d’une politique traditionnelle chez Nintendo, qui n’a pas manqué de laisser tomber ses efforts naissants sur mobile dès que la Switch a commencé à cartonner. Aujourd’hui, il est de plus en plus clair que Sony préfère la voie de Microsoft. Et il est vrai que, pour des tas de raisons, Sony n’est pas Nintendo. Mais voilà, Sony n’est pas Microsoft non plus.
Ce qui fonctionne pour Microsoft ne fonctionnera pas nécessairement pour Sony. Certains peuvent regretter autant qu’ils veulent le bon vieux temps de la Xbox 360, celui des Halo et des Gears qui terrassaient les Uncharted et les Killzone dans les classements américains, mais au moins le basculement de Microsoft en éditeur tiers se fait sur des bases cohérentes, en particulier le programme Xbox Play Anywhere qui fait office de liant selon que l’on joue sur Xbox Series, Xbox PC ou sur une autre machine estampillée Xbox, comme la future ROG Xbox Ally. Chez Sony, un client PC n’est pas un client console, c’est l’un ou l’autre. Vous avez accumulé un millier de jeux PlayStation dans votre bibliothèque numérique ? Fort bien, mais aucun de ces jeux ne vous attend sur PC, il faut tout racheter, quand bien même Sony n’est pas étranger au concept du cross-buy (il l’a même inventé en 2012, au temps de la PS Vita).
Le Xbox Play Anywhere brise la séparation entre jeu Xbox et jeu PC depuis déjà des années. À condition de s’en tenir au Microsoft Store.
Il en va de même pour le PlayStation Plus. Sony extrait beaucoup d’argent de son abonnement, mais son existence ne se justifie que sur console, au contraire du Game Pass qui est accessible sur PC et plus accessoirement sur smartphones, tablettes, téléviseurs connectés et casques Meta Quest, par le cloud. De ce point de vue, Sony a le cul entre deux chaises et doit donc réfléchir aux implications chaque fois qu’une exclusivité lui échappe. Le constructeur a beau inciter les joueurs PC à se créer des comptes PSN en échange de quelques bonus, sa plateforme, celle sur laquelle repose toute son économie, c’est la console PlayStation, et rien d’autre.
Bien sûr, les alarmistes vont souvent trop loin dans leur raisonnement. Voyant la notion d’exclusivité se brouiller de plus en plus, ils s’imaginent déjà que la PlayStation 6 n’aura aucun argument de vente, que le public se dira « autant s’acheter un PC ». Depuis combien d’années entend-on cet argument, maintenant ? L’erreur de base de ce discours catastrophiste est d’oublier que ceux qui sont engagés dans l’écosystème PlayStation depuis des années, qui ont construit leur bibliothèque numérique avec des centaines et des centaines de jeux depuis 2006, qui bichonnent leur collection de trophées, qui ont leurs amis et leurs habitudes, ne laisseront jamais tout tomber si facilement. La grande certitude de Sony est sans doute ici : avoir capturé des dizaines de millions de consommateurs qui sont bien trop solidement engagés dans son écosystème pour s’enfuir sous prétexte que les joueurs Xbox vont pouvoir jouer à Helldivers 2. Surtout quand eux-mêmes profitent désormais des first-party les plus prestigieux de chez Xbox.
Mais ce serait malgré tout trop facile de dire que la sortie d’un jeu directement porté et publié par PlayStation sur Xbox Series n’est pas le possible début d’un basculement plus important. Entre nous, le raisonnement qui vise à faire la distinction entre les jeux solo et les jeux multijoueur peut-il vraiment tenir longtemps ? L’avenir dira si Sony se limitera effectivement aux jeux en ligne ou s’il finira par s’aventurer encore plus loin en faisant goûter du God of War aux autres consoles. Car il est évident que rien n’empêche la direction de Sony de changer son fusil d’épaule du jour au lendemain, du moment que l’expert-comptable Hiroki Totoki décide que cette voie est la plus prometteuse pour la sacro-sainte croissance. En servant Helldivers 2 sur un plateau aux joueurs Xbox, Sony entre dans une zone de communication nébuleuse qui n’est pas sans rappeler celle dans laquelle Microsoft se trouvait il n’y a pas si longtemps.
Alors, de même que Microsoft voit moins PlayStation comme un concurrent que comme une plateforme incontournable sur laquelle il peut vendre plein de Sea of Thieves et de Forza Horizon 5 pour compenser la baisse des ventes de jeux sur sa console, qui n’est plus qu’une Game Pass Machine, peut-être que PlayStation a lui aussi cessé de voir Microsoft comme un concurrent direct. Il faut dire que ce portage arrive au moment où le futur de Microsoft en tant que constructeur est pour le moins ambigu. Pas de doute, il y aura bien une nouvelle console Xbox, mais elle ne sera qu’une possibilité parmi d’autres d’accéder à un écosystème qui se déclinera aussi sur PC, cloud et bientôt en plus sur les portables ROG.
Quand Sarah Bond parle de ne plus se limiter « à une seule boutique ou à un seul appareil », tout le monde s’accorde à traduire ça par « on pourra jouer aux jeux Steam sur la prochaine console Xbox ». Ce qui entre en contradiction avec les efforts de Microsoft, étant donné que ni le programme Xbox Play Anywhere ni les avantages du Game Pass ne s’appliquent à la plateforme de Valve. Selon moi, la phrase clé de l’intervention de Sarah Bond est surtout « c’est pourquoi nous travaillons étroitement avec l’équipe Windows pour nous assurer que Windows soit la plateforme numéro un du jeu vidéo ». Et si la prochaine Xbox était une Winbox ? Soyons clair sur un point : peu importe comment Microsoft l’appelle, si une machine tourne sur Windows et lit des jeux Steam, alors cette machine existe déjà et ça s’appelle un PC. Et au besoin de rappeler l’évidence, quand vous achetez un jeu PlayStation Studios sur Steam, quelle que soit la plateforme utilisée, votre argent ne va qu’à deux sociétés : Sony (70 %) et Valve (30 %). Si les futures Xbox sont des PC, pourquoi s’embêter à sortir Helldivers 2 sur Xbox Series ? Ah oui, pardon, on a déjà répondu à cette question : les profits à court terme.
Il serait judicieux de rajouter la PS5 sur ce genre de publicité : c’est probablement la console sur laquelle Microsoft vend le plus de jeux, ces temps-ci.
Car il n’y a vraiment rien de sorcier dans les motivations de toutes ces sociétés qui répondent à leurs actionnaires. À la tête de Sony, Hiroki Totoki n’a qu’un objectif : améliorer les marges bénéficiaires de chacune de ses divisions. Il n’est pas le seul. Microsoft licencie des milliers de personnes tous les six mois tout en se gargarisant de bénéfices de plus en plus indécents chaque année (72 milliards de dollars en 2023, 88 milliards de dollars en 2024). Cependant, Nintendo montre depuis 8 ans maintenant qu’il est aussi possible d’augmenter ses profits sans rien concéder aux autres et en préservant un message limpide depuis plus de 40 ans : « Si tu veux jouer aux jeux Nintendo, il te faut une console Nintendo ». Sony et Microsoft peuvent toujours trouver ça ringard, mais les résultats du petit artisan depuis 2017 parlent d’eux-mêmes, tout comme son rayonnement culturel mondial, qu’il étend par le biais de ses films, parcs d’attractions ou musée, dans le seul et unique but d’attirer l’attention sur ses personnages, et donc ses jeux, et donc ses consoles. Le jour où on verra Nintendo sortir un jeu sur PC ou sur une autre console sera celui de la fin d’un monde, mais ce scénario relève pour le moment de la science-fiction.
Tout ceci nous renvoie donc forcément au débat sur l’importance qu’un constructeur doit accorder à ses exclusivités. Tout le monde connaît l’expression « system seller », mais n’avez-vous pas l’impression qu’on l’utilise beaucoup moins souvent que par le passé ? Peut-être parce que les temps ont bien changé et que les system sellers sont désormais des system keepers qui se nomment Fortnite, Minecraft, Roblox, Call of Duty, EA Sports FC, NBA 2K ou encore GTA Online. Des jeux sans début ni fin, que l’on trouve partout, que l’on ne désinstalle jamais et qui dévorent la grande majorité du temps de jeu du grand public.
Mais je soutiens que les exclusivités Sony comptent. Pas autant que chez Nintendo, où elles font 80 % du boulot, bien entendu, mais elles comptent. Durant son année la plus performante, les studios PlayStation ont écoulé 58,4 millions de jeux, certes avec le confinement en toile de fond. Enregistré durant l’exercice 2024-2025, le plus faible volume de jeux first-party vendu par Sony (depuis que le constructeur communique cette donnée) est de 28,9 millions de jeux, ce qui est loin d’être anecdotique. Surtout quand figure un titre comme Astro Bot, dernier grand contributeur du rayonnement des PlayStation Studios, qui sont souvent bien représentés dans les sélections de fin d’année. Ça aussi, c’est ce qui fait l’identité d’une console. Mais pour combien de temps encore ?