« J’en veux pas, d’une médaille. C’est ce que je me suis dit pendant toutes ces années. Pas de cérémonie, pas de récupération politique. Et puis, les décorations, c’est fait pour les héros. Moi, je n’ai rien fait d’héroïque. » Au bout du téléphone se fait entendre la discrète voix de Gilles Gambéri, rescapé de l’attentat du 14 juillet 2016 où il s’illustra en tentant d’arrêter le camion fou, en bout de course sur la promenade des Anglais. Un acte qu’il s’est toujours refusé à qualifier d’héroïque, fuyant le feu des caméras, n’égrainant son précieux témoignage que dans de rares interviews.

Mais les années sont passées. Le traumatisme s’est atténué. « Et des amis, membres de l’association de victimes Mémorial des Anges, ont proposé mon nom pour que je reçoive [ce lundi 14 juillet 2025 à 11 heures au monument aux morts de Sainte-Thècle], en cette triste date anniversaire, la médaille d’honneur de Peillon, mon village d’adoption. Ça m’a touché alors j’ai accepté », souffle pudiquement le sexagénaire originaire du Var (1). Refusant toujours de se mettre en avant, il a tout de même accepté de confier son histoire à Nice-Matin, « parce qu’on ne doit rien oublier de cette nuit-là, même si ça fait mal ».

« J’étais persuadé que le conducteur avait fait un malaise »

Devoir de mémoire dans lequel il puise la force de revenir sur la Prom’, neuf ans en arrière, aux alentours de 22h30, juste en face du palais de la Méditerranée. C’était un rendez-vous musical, des copains qui jouent sur une petite scène attirant une foule joyeuse, légère, après le feu d’artifice. Un beau soir d’été. Jusqu’au grondement, une lame de fond refoulant une vague humaine. « Des hurlements. Une masse blanche. » L’image, le son… À jamais gravés dans son esprit. « Le camion est passé deux mètres derrière moi. Deux mètres et j’étais sous ses roues », murmure celui qui croyait alors à un accident.

Face-à-face avec un revolver

« Causer volontairement autant de souffrances… c’est tellement inconcevable. J’étais persuadé que le conducteur avait fait un malaise. J’ai couru derrière le camion qui venait de s’arrêter. Il fallait l’empêcher de repartir, couper le contact. J’ai bondi sur le marchepied. Je pensais trouver un chauffeur dans les vapes. Je voulais le sortir de là, le secourir. » Mais au volant, il n’y a plus rien à secourir: derrière le terroriste, qui vient d’assassiner 86 personnes et d’en blesser des centaines d’autres, l’homme a disparu. Ne reste que la folie meurtrière. « Quand j’ai vu le revolver braqué sur moi, j’ai compris que c’était un attentat. Si j’avais su, je crois que je n’aurais pas eu le courage de faire tout ça. Voilà pourquoi je ne suis pas un héros », insiste, humble, le rescapé.

Malgré ses dires, face à la menace, il ne s’est pas défilé: au lieu de fuir face au pistolet, Gilles Gambéri tenta de s’en emparer. « J’ai appuyé de toutes mes forces pour le désarmer… » Bref silence. « Mais je n’ai pas réussi. Il allait m’abattre quand j’ai sauté à terre. » In extremis.

À sa suite claquent deux détonations, sans qu’aucun tir ne l’atteigne. Indemne, il finit par se réfugier à l’arrière du camion. « C’est là que j’ai pu indiquer à des policiers la présence du tireur. Après quoi, ils ont été plusieurs à l’abattre. » Au téléphone, Gilles Gambéri reprend son souffle. Le plus éprouvant reste à venir. « Il y avait tellement de personnes à terre. » Sans hésiter, le retraité se porte à leur secours, obéissant à de vieux réflexes. « Cheminot dans le sud-est pendant 31 ans, j’en ai vu, des accidents graves… Je n’ai donc fait qu’appliquer ma formation en secourisme.« 

Décoré au nom des dizaines de héros anonymes

En attendant l’arrivée des pompiers, cette assistance fut primordiale, bien que très rudimentaire. « Les corps étaient gravement mutilés. Afin de limiter les hémorragies, j’ai pressé sur les plaies avec les linges des hôtels voisins. Nous étions plusieurs dizaines à entourer les blessés… » C’est aussi pour ces héros anonymes que Gilles Gambéri accepte d’être décoré: « Ils sont restés, malgré l’horreur. Ils ont parlé à des victimes jusqu’à ce qu’elles ferment les yeux. »

Un témoignage bouleversant qu’il eut la force de porter à la barre, lors du procès en première instance de l’attentat, en décembre 2022, à Paris. « Les familles devaient savoir que leurs proches n’étaient pas partis dans la solitude. »

Le temps de la reconstruction est venu. « Il m’a fallu trois années de suivi psychologique, avec des méthodes mises au point pour les soldats américains rentrant du Vietnam. Ça a été long, difficile. Mais aujourd’hui, je crois pouvoir dire que j’avance. La preuve: j’arrive à en parler librement. » Et à accepter toute la reconnaissance qui lui est due.

1. Né à Marseille, Gilles Gambéri a vécu plus de 20 ans dans le Var, à Montauroux. Il en a gardé le chaleureux accent provençal.