Le 4 juin 1784, la plaine des Brotteaux, à Lyon, est noire de monde. Ils sont des milliers à assister à ce qui deviendra une date clé dans l’histoire de l’aviation. Sous les yeux du roi de Suède, Gustave III, une montgolfière décorée s’apprête à s’élever. Baptisé La Gustave en l’honneur du monarque, le ballon s’envole, mais c’est la passagère qui entre dans la légende. Élisabeth Tible, Lyonnaise de 27 ans, devient ce jour-là la première femme de l’histoire à effectuer un vol libre en aérostat.

L’événement est soigneusement orchestré par le comte de Laurencin et le constructeur Fleurant, un peintre vénitien passionné par l’aérostation. Laurencin, d’abord pressenti pour embarquer, décide de céder sa place à Élisabeth. Dans une lettre adressée à Joseph Montgolfier – l’un des frères fondateurs de la montgolfière -, il écrit : « Qui, Monsieur, croyez-vous que j’ai cédé ma place ? À une jeune et jolie femme, à Madame Tible, née à Lyon […], qui sans doute a voulu se consoler avec la gloire des torts perfides de l’hymen » ( Lettre de Laurencin à Montgolfier, 1784 ).

« La terre n’existait plus pour nous »

Élisabeth ne se contente pas de monter à bord. Elle orchestre aussi sa mise en scène. Costumée en Minerve, elle porte une robe blanche de taffetas ceinturée de soie bleue et un chapeau oriental. Le ballon grimpe à une altitude estimée à 1 500 mètres, avant de dériver au gré des vents au-dessus de La Guillotière, du Rhône, de la Saône…

Un incident aurait pu tout faire basculer : une planche de la nacelle se disloque. Élisabeth se retrouve suspendue, un pied sur le bord extérieur, agrippée au cercle de la galerie. Elle continue pourtant d’alimenter le feu, imperturbable. Dans une lettre publiée dans le Journal encyclopédique de 1784 , elle témoigne : « Tout cela se passa sans frayeur, & j’éprouvai qu’on n’en connoît plus aucune quand on a perdu de vue ses ennemis. La terre n’existait plus pour nous ; des nuages impénétrables nous en séparaient. »

Après 45 minutes de vol et environ six kilomètres parcourus, le ballon entame une descente brutale dans le haut du clos de la Piémente, près de la montée de Balmont (La Duchère, Lyon 9 e ). La toile s’effondre et s’embrase. Élisabeth se blesse légèrement en dégageant son pied, mais les deux aéronautes sortent sains et saufs. Ils sont aussitôt portés en triomphe par la foule jusqu’au centre-ville de Lyon.

Une héroïne acclamée, mais vite oubliée

La presse salue son exploit. La Gazette d’Amsterdam du 25 juin 1784 rapporte : « Le sieur Fleurant avoue que la demoiselle Tible, première de son sexe portée sur les ailes des airs, a mis une précision, une prudence attentive et réfléchie à alimenter le réchaud […]. Le courage et le sang-froid de sa compagne ont fait tout le succès de l’expérience. »

Mais les honneurs restent mesurés. L’écrivain Pierre-Jean-Baptiste Nougaret note qu’« on leur refusa même l’entrée de la comédie, dans la crainte que le spectacle ne fût interrompu par les acclamations que méritaient leur audace » ( Spectacle et tableau mouvant de Paris ou Variétés amusantes, 1787 ). Même si, plus tard dans la soirée, le public du théâtre lui décerne une couronne, la reconnaissance de la pionnière aérienne ne sera jamais totale. 

En quête de gloire, Élisabeth monte à Paris avec Fleurant. Le 1 er  juillet 1784, l’Académie royale des sciences leur remet une médaille. Élisabeth devient la deuxième femme à recevoir cette distinction depuis la création de l’institution. Mais elle ne réussira pas à obtenir de nouveaux vols. Délaissée par l’histoire, elle meurt quelques mois plus tard, le 13 février 1785, à l’âge de 27 ans.

« Quelles délices lorsqu’on s’élève »

Son récit, adressé à une amie et publié peu après, reste l’une des plus belles pages d’écriture aéronautique du XVIII e  siècle. Elle y décrit son plaisir d’échapper à la pesanteur terrestre : « Quelle volupté, ma chère, quand l’on quitte cette terre que désolent l’envie et l’intérêt ! Quelles délices lorsqu’on s’élève dans ces régions célestes où règne le silence le plus majestueux, mais aussi la paix la plus parfaite ! »

Aujourd’hui, seuls quelques passionnés se souviennent encore d’Élisabeth Tible. Une fresque sur le mur de la gare Lyon-Jean-Macé rappelle son exploit.