L’image est inédite. Encadrant le mihrab, niche murale donnant la direction de la Mecque, les drapeaux français et européen et deux affiches tricolores frappées d’une coupole stylisée, le logo de la grande mosquée. « Que la France vive heureuse et prospère, qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde, qu’elle conserve un rang glorieux au sein des nations », récite l’imam Kalilou Sylla.

La prière des rabbins au mot près

Pour la première fois, cette prière solennelle pour la République résonne dans une mosquée. Des imams invoquaient déjà la France à la fin de leurs prêches, y compris à la grande mosquée de Strasbourg. Mais jamais sur le modèle des cultes reconnus par le régime hérité du Concordat en Alsace Moselle : églises et synagogues se pavoisent de tricolore à l’approche de la Fête nationale, un mariage des genres impensable dans le reste de la France. Aujourd’hui, la prière ressemble au mot près à celle dite par les rabbins. Y compris quand l’imam prie Allah d’« accorder [sa] protection et [sa] bénédiction » aux « forces de sécurité et de secours qui s’engagent […] pour défendre la France », en référence aux forces de l’ordre et à l’armée.

Dans le public, le préfet, la maire, les représentants des collectivités, l’archevêque de Strasbourg, le pasteur Pierre Magne de la Croix, le Crif… Le président du consistoire Maurice Dahan, arborant le pin’s jaune pour les otages du Hamas, est assis à côté du président de la mosquée Saïd Aalla. On aperçoit Pap Ndiaye pour le Conseil de l’Europe ou l’eurodéputée Fabienne Keller. Tous silencieux. Le temps est au recueillement, pas à la (géo)politique.

Paradoxe : cette prière républicaine a lieu dans une mosquée devenue propriété du Maroc en septembre 2020. « Ce n’est pas un hasard ! C’est le reflet de l’ouverture du Maroc », commente la conseillère régionale Gabrielle Rosner.

Des spahis au serment de Koufra

Car l’islam républicain s’inscrit dans l’histoire de l’Alsace, rappelle l’aumônier Yousra, évoquant le serment de Koufra du régiment de marche du Tchad, le drapeau tricolore hissé par un spahi sur la flèche de la cathédrale, les tirailleurs algériens venus défendre Strasbourg en 1945… « Mon beau-père a participé à la libération de l’Alsace », se souvient la Franco-Tunisienne Lilia Bensedrine, directrice du festival des Sacrées journées. Quand son fils lui a annoncé qu’il venait faire ses études ici, il l’a prévenu : « Couvre-toi, il y fait très froid ! »