Il est là. L’Ange de la baie. Protecteur. Symbole de ces vies, 86, qui s’en sont allées. Symbole de la vie qui continue… Comme un trait d’union entre l’ombre et la lumière, c’est lui, désormais qui reçoit la douleur, intacte, et les espoirs vivaces de ceux que l’attentat du 14 juillet 2016 a meurtris.
Ce lundi matin encore, c’est au pied de cette sculpture de Jean-Marie Fondacaro que des dizaines de roses blanches ont été déposées. Face à lui, que les familles de victimes et les officiels, rassemblés, se sont recueillis.
Neuf ans après, les 86 noms devenus si familiers ont une nouvelle fois résonné dans le ciel de Nice, soutenus par les vibrations d’un violon triste qui a joué « The sound of silence » de Simon and Garfunkel.
Une cérémonie courte, trop peut-être ont déploré certaines familles de victimes. Sobre et solennelle, aussi.
Dix ans, l’an prochain
L’an prochain, cela fera 10 ans que le camion conduit par le terroriste a semé la mort et le chagrin sur la promenade des Anglais. Dix ans qu’un jour de fête est devenu tragédie.
« Nous sommes déjà en train de penser aux 10 ans. C’est une date importante, et pas seulement pour nous, mais aussi pour l’histoire de la ville », sourit Anne Murris, présidente de l’association Mémorial des Anges, qu’elle a créée avec son mari, Philippe.
Ce lundi, leur rose blanche était pour leur fille, Camille, une jeune femme bienveillante et pleine de vie, fauchée par le terroriste. « Nous avons hâte de commencer les réunions de concertation avec la Ville », dit encore Anne.
La lumière sur les oubliés
Mais, plus que tout, elle espère qu’enfin se pose aussi un peu de lumière et de paix sur ceux qui n’ont pas encore réussi à parler de leur drame, ceux qui n’ont rien fantasmé de ce terrible 14 juillet. Ceux, encore, qui sont des héros, discrets, voire inconnus. Comme Gilles Gamberi, honoré et décoré, ce lundi matin, à Peillon, son village d’adoption.
« Il n’a pas hésité une seconde à poursuivre le camion afin de l’arrêter pensant que le chauffeur était victime d’un malaise. Arrivé à hauteur de la portière du conducteur, il est monté sur le marchepied du 19 tonnes afin d’en soustraire la clé de contact pour stopper la course infernale et meurtrière du véhicule. C’est lorsqu’il a été mis en joue qu’il a compris », rappelle la fondatrice de Mémorial des Anges.
« Sa capacité à donner et non à briller l’a tenu loin de la sphère médiatique. Il mérite la gratitude, des victimes mais aussi de nous tous en tant que citoyens. Il mérite d’être honoré par sa commune. Il mériterait d’être porté à l’autel de la reconnaissance nationale », conclut la maman de Camille.
À ses côtés, Philippe Murris acquiesce: « On est si heureux qu’il soit enfin reconnu ».
L’attente sur le dossier de la sécurisation
Puis, il soupire: » Voilà, cela fait neuf ans, jour pour jour et on attend toujours avec une impatience vive que le dossier sur la sécurisation de la promenade des Anglais avance ».
Après sept ans, l’instruction pour « homicides et blessures involontaires » – distincte de l’enquête terroriste qui a conduit à des condamnations aux assises – a été dépaysée à Marseille, confiée à un pôle spécialisé du tribunal judiciaire.
« Cela fait un an et demi, tous les protagonistes de la sécurité sont connus, nous n’avons pas d’informations, que se passe-t-il », interroge Philippe Murris.
Rejoint par Stéphane Erbs. Le co-président de Promenade des Anges regrette le silence de la justice. « Nous allons solliciter le parquet. On a besoin de réponses, d’informations, qu’elles soient bonne ou mauvaises », lance le quadragénaire qui a perdu son épouse, Rachel, dans l’attentat.
Il grince: « On ne peut pas s’empêcher de penser que l’on nous cache des choses ».
C’est Promenade des Anges qui avait demandé le dépaysement. À ce jour, pas de mise en examen, mais quatre responsables placés sous le statut de témoin assisté: Philippe Pradal, maire de Nice au moment des faits; Christian Estrosi, alors premier adjoint délégué à la sécurité; le préfet Adolphe Colrat et son directeur de cabinet, François-Xavier Lauch.
« On attend une réunion avec les parties concernées et d’être mis au courant des suites », renchérit Philippe Murris. Célia Viale, ex-coprésidente de Promenade des Anges, qui se consacre à son travail d’artiste – après avoir exposé à La Station à Nice, elle prépare une exposition pour la Belgique – regrette, de son côté, l’absence de représentant de l’État à la commémoration.
« Il y a le préfet des Alpes-Maritimes, mais pas de ministre, même pas un secrétaire d’État », souffle-t-elle. « Où est la déléguée interministérielle aux victimes? On ne l’a jamais vu à une cérémonie », poursuit la jeune artiste, en caressant son chien, Galette.
Penser aux enfants
Derrière elle, le socle de l’Ange de la baie s’est rempli de roses blanches, déposées une à une, aux côtés des gerbes des officiels et des 86 bougies allumées.
Hager Ben Aouissi, présidente de l’association Une voie des enfants et maman de Kenza, rescapée traumatisée de l’attaque terroriste alors qu’elle n’avait que 4 ans, espère que les enfants « vont se réapproprier cette journée du 14 juillet, d’une autre manière, avec l’espoir d’un demain meilleur ».
« Beaucoup d’enfants victimes se sont posé la question de venir ou pas à la commémoration, c’est une journée dont ils ont besoin, même s’ils ne viennent pas, c’est important pour eux que l’on n’oublie pas, important d’être unis contre la haine », conclut-elle.
Ça passe crème, au théâtre
Au loin, Thierry Vimal, le papa d’Amie, 12 ans, emportée par la folie d’un seul homme, regarde la mer. Sa douleur de père, il l’a posé sur papier dans des livres, comme 19 tonnes.
Ce camion qu’il s’est pris en pleine face, lui aussi. Mais aussi dans la chronique – « obscène, révoltée, lyrique, blasphème, irrévérencieuse, poétique en somme », c’est lui qui le dit – qu’il a tenue, lors du premier procès devant la cour d’assises spécialement composée à Paris, en 2022.
Et qu’il est en train d’adapter pour le théâtre. Son hommage, pour les « dix ans ».