Par

Emilie Salabelle

Publié le

14 juil. 2025 à 6h48

Hector Guimard va avoir son musée, enfin. Et pas n’importe où : l’architecte et décorateur phare de l’Art nouveau, à qui l’on doit de nombreux monuments dans Paris, notamment les fameuses entrées du métro, sera mis à l’honneur dans l’écrin d’un de ses propres joyaux. L’hôtel Mezzara, situé dans le quartier d’Auteuil (16e), attendait depuis 10 ans de sortir de sa torpeur. Cette propriété de l’État a accueilli jusqu’en 2015 les lycéennes pensionnaires du lycée Jean-Zay. Classée Monument historique en 2016, la maison de ville construite en 1910 s’est retrouvée quelque peu délaissée depuis. Il aura fallu trois appels d’offres pour lui trouver un nouvel occupant. Le 23 juin 2025, un bail emphytéotique de 50 ans a été attribué au Cercle Guimard. L’association, engagée depuis 20 ans à redonner ses lettres de noblesse à l’artiste prolifique injustement oublié, a enfin atteint son objectif en s’associant à l’investisseur privé Fabien Choné et à la Banque des territoires. Mais avant d’accueillir du public, un important chantier de restauration et d’aménagement va démarrer.

« Guimard, un paradoxe »

Pour Nicolas Horiot, président du Cercle Guimard, cette victoire vient récompenser des années de combat acharné pour faire reconnaître un maître de l’art décoratif trop longtemps sous-estimé. « Guimard est un paradoxe : il est très connu à l’étranger, mais beaucoup moins à Paris, où il est pourtant très présent, notamment dans le 16e ». Avant-gardiste, son œuvre n’a pas toujours été bien perçue par les Parisiens, dans une capitale où la rigueur Haussmannienne règne encore en maître. « Les nouilles », tel était le sobriquet dont étaient affublées les fameuses bouches de métro, dont les étrangers raffolent aujourd’hui. Victime de l’urbanisation intensive d’après-guerre, la moitié des bâtiments signés Guimard ont été détruits à Paris.

Il y a donc « une injustice à réparer ». Et l’hôtel Mezzara a tous les atouts pour cela, estime Nicolas Horiot, qui a d’ailleurs réussi à y faire venir le public lors de deux expositions du Cercle Guimard. Inséré au cœur du 16e, à deux pas d’autres œuvres emblématiques de l’architecte, comme l’immeuble Castel Béranger, le musée fera coup double, prévoit Nicolas Horiot. « Il ouvrira les portes au grand public d’un bâtiment Guimard, alors qu’aucun n’est visitable aujourd’hui à Paris. Et le parcours muséal permettra de découvrir toute la richesse de son œuvre ».

Le grand hall d'entrée de l'hôtel Mezzara.
Le grand hall d’entrée de l’hôtel Mezzara. (©Frédéric Descouturelle – Cercle Guimard)

Car l’architecte a bien des facettes à faire découvrir. Promoteur, communicant, décorateur, designer, l’artiste a dessiné un nombre infini d’objets, qu’il s’agisse d’ameublement d’intérieur ou d’équipements urbains. Vases, fauteuils, miroirs, cheminées, couverts, tapis d’escalier, poignées de porte, papiers peints, porte-encriers, mais aussi garde-corps, grilles, bancs, numéros de rue… La liste est non exhaustive.

Un projet de musée vieux de 10 ans

Le Cercle Guimard milite depuis 2015 pour transformer l’hôtel Mezzara en musée. Mais il aura fallu passer par un long « parcours du combattant », retrace rapidement son président. L’État, qui souhaitait d’abord vendre le bâtiment, s’est finalement ravisé, mais n’a jamais donné suite aux sollicitations de l’association pour créer un musée public.

En 2018, un investisseur privé donne un second souffle au projet muséal du Cercle Guimard. Cofondateur de l’entreprise Direct Énergie, racheté par Total en 2019, Fabien Choné, par ailleurs amateur d’architecture, propose à Nicolas Horiot de s’associer pour créer un musée privé. Il aura tout de même fallu attendre le troisième appel d’offres de l’État sur l’hôtel Mezzara, pour que le projet, porté désormais par le Cercle Guimard et par la société Hector Guimard Diffusion via la holding Fabelsi de Fabien Choné, soit accepté.

Un dénouement rendu possible par une condition jusqu’alors refusée par l’État : la création d’un loyer fixe au coût relativement faible, auquel s’ajoutera un loyer variable en fonction des recettes du musée, une fois le seuil de rentabilité atteint. « Un bail de 50 ans, c’est presque comme un achat. Je ne voulais pas prendre de risque immobilier. Avec ce système, si jamais ça ne marche pas, on leur rend les clés d’un hôtel particulier complètement rénové à la fin, l’État reste gagnant », estime l’investisseur. Une manière de sécuriser un investissement muséal risqué, même si Fabien Choné se montre confiant : « Je pense que le projet est très intéressant d’un point de vue culturel et scientifique, et tout à fait équilibrable d’un point de vue business ».

Restaurer l’hôtel et l’esprit Guimard

Les 6 millions d’euros investis par Fabien Choné et la Banque des Territoires serviront pour les deux tiers à la restauration et à la mise en valeur du bâtiment lui-même, et pour un tiers à la muséographie et la conception des parcours de visite.

Pour l’heure, il faut d’abord redonner tout son lustre à l’hôtel particulier, qui a perdu plusieurs de ses attributs au fil des ans. Les gouttières, les descentes en fonte, et la lucarne sur rue ont disparu, des éléments ont été modifiés. Côté jardin, l’harmonie a également été rompue avec la disparition de la casquette d’entrée et des modifications de la toiture. « L’équilibre de Guimard est instable, quand on supprime quelque chose, ça fausse les perceptions. Mais grâce à nos recherches, on a une connaissance quasi parfaite de l’ensemble. Aujourd’hui, va restituer très fidèlement la façade d’origine sur rue et sur jardin. On a même retrouvé une des gouttières d’origine ! », s’enthousiasme Nicolas Horiot.

Les travaux, qui sont en cours d’autorisation, seront suivis par un architecte des Monuments historiques. Ils devraient durer plusieurs années. L’ouverture au public est espérée pour mi-2027 – début 2028.

Plongée dans une demeure de la Belle Époque

Le visiteur sera d’abord accueilli dans les pièces d’apparat du rez-de-chaussée, spectaculaires. Le grand atrium illuminé par un immense vitrail zénithal dessiné par Guimard et la salle à manger se chargeront de créer un premier choc visuel. « On replongera dans une villa de la Belle Époque. C’est un petit trésor, tout l’ensemble mobilier a été fait pour l’hôtel, l’architecture est faite en fonction de lui », décrit Nicolas Horiot.

Dans les espaces qui n’ont pas été décorés par Guimard – le propriétaire de l’hôtel, le décorateur et dentellier Paul Mezzara, quitte l’hôtel en 1913, sans laisser le temps à son créateur d’aboutir son travail – et donc plus neutres, une scénographie muséale plus libre va être déployée. On y retrouvera beaucoup d’objets créés par Guimard issus des collections de l’association ou de leurs partenaires. Mais pas uniquement. « On veut éviter le musée poussiéreux. Il y aura aussi des expériences immersives pour se replonger dans l’ambiance du Paris de 1900 », met en avant Fabien Choné. Les visiteurs pourront par exemple découvrir comme s’ils y étaient, avec des lunettes 3D, un chef-d’œuvre aujourd’hui disparu de Guimard : la salle Humbert de Romans, une salle de concert construite entre 1989 et 1901 rue Saint-Didier (16e) avant d’être démolie en 1905.


Image d’archive de la salle de concert Humbert de Romans (© Collection Cercle Guimard)

Fauteuils issus de la salle de concert Humbert de Romans, conçue par Guimard. (© Collection Cercle Guimard)
Un défi financier

Pour atteindre la rentabilité, les nouveaux locataires de l’hôtel Mezzara projettent une fréquentation de 100 000 à 120 000 visiteurs par an, aussi bien parisiens qu’étrangers, pour un ticket d’entrée prévu pour l’heure entre 15 et 20 euros. « On veut créer une nouvelle destination touristique, et faire de Paris une destination capitale de l’Art nouveau clairement identifiée, comme Bruxelles avec Horta ou Barcelone avec Gaudí », ambitionne le président du Cercle Guimard.

Boiserie Art nouveau signée Guimard.
Boiserie Art nouveau signée Guimard. (©Frédéric Descouturelle – Cercle Guimard)

Pour compléter les ressources financières, de nouveaux partenaires et mécènes, notamment américains, seront recherchés. Certaines institutions soutiennent déjà le projet, comme la RATP, ou plusieurs musées parisiens, comme le musée d’Orsay ou celui des Arts décoratifs, avec qui des prêts de collection pourraient voir le jour.

Les anges gardiens de l’œuvre de Guimard comptent même aller plus loin, en faisant « des rééditions de qualité » de certaines de ses créations. Un projet scientifique, Guimard 3D, vise à remodéliser l’ensemble d’un catalogue de fontes artistiques créé par le décorateur, et de relancer la production avec les fonderies de Saint-Dizier, historiquement liées à l’architecte. « Son œuvre très organique reste intemporelle. Elle a un potentiel attractif fort, quels que soient la période et le support », estime Fabien Choné.

Et après les 50 ans de location ? Les deux partenaires espèrent faire évoluer leur modèle vers celui d’une fondation Guimard, pour pérenniser le musée et continuer à diffuser l’œuvre de l’artiste.

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