Par

Emilie Salabelle

Publié le

15 juil. 2025 à 6h28

Sortie de son rendez-vous hebdomadaire avec sa psy, Léa Vigier savoure le soleil sur une terrasse de café, une assiette de gâteau au chocolat devant elle pour que le bonheur soit complet. Si l’on n’avait peur de faire dans la formule toute faite, on dirait volontiers qu’elle croque la vie à pleines dents. Tout sourire dans sa combinaison de baroudeuse, la jeune femme, diagnostiquée bipolaire en février 2024, confie de but en blanc : « Savoir que j’étais malade a été le plus beau cadeau de mes 30 ans ! » Après sept ans d’errance médicale, celle qui assure « avoir touché le fond sept fois », jusqu’à frôler la mort, découvre depuis, grâce à un traitement adapté, « une autre vie ». Elle consacre désormais une grande partie de son temps et de son énergie à faire connaître la bipolarité, un mot qui suscite méfiance, peur et réactions de rejets. Son dernier défi ? Parcourir la France en autostop munie d’un carton : « J’suis bipolaire, tu m’invites ? »

Une pancarte et du culot

Dès le début de son tour de France, la jeune femme, pourtant habituée à partir à l’aventure – elle a par exemple traversé l’Europe avec 1 euro par jour en poche –, a compris la difficulté du défi qu’elle s’était lancé. « Les premières réactions n’ont pas été les plus tendres ! J’ai eu droit à un doigt d’honneur, à un couple qui m’a dit ‘on ne prend pas une personne instable dans notre voiture‘, à un autre qui m’a conseillé de jeter ma pancarte… Je me suis demandé dans quelle galère je m’étais foutue », rigole avec le recul la pétillante trentenaire. « Je prenais personnellement tous les regards des gens et les mauvaises réactions ».

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Heureusement, elle croise aussi sur sa route « des gens adorables », qui l’accueillent pour un bout de chemin ou l’hébergent le temps d’une nuit. Son itinéraire, déterminé à grands traits, s’adapte au gré des rencontres. Comme ce jour où elle tombe sur un routier, « pétri de préjugés », mais avec qui elle se marre. « Je devais aller à Tours, il allait à Brives. J’ai décidé de partir avec lui. On s’est retrouvé 4 heures plus tard à courir un 10 km. Et lui m’a confié avoir changé d’avis sur la maladie. »

Des histoires, la baroudeuse en a accumulé pas mal au fil des étapes. Marseille, Montpellier, Toulouse, Pau, Bordeaux, Paris, Troyes, Beaune, Genève Aix… Au bout de la boucle, elle compte une cinquantaine de personnes rencontrées, et « un million de petites victoires ». « Ils m’ont donné de l’énergie. On a eu de supers échanges, et tous les gens avec qui j’ai échangé m’ont dit qu’ils avaient changé d’opinion, qu’ils en parleraient autour d’eux ».

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«Les gens nous pensent dangereux »

Parce qu’invisible, la bipolarité est un trouble méconnu, et donc sujet à fantasmes. « Les gens nous pensent instables, imprévisibles, dangereux. La bipolarité suscite moins de compassion ou d’empathie que d’autres maladies, parce qu’on a plus de mal à s’identifier. Moi-même, j’ai mis du temps à accepter qu’elle n’allait pas disparaître, que je serai malade à vie. C’est parfois tentant de se dire qu’on va mieux et qu’on peut arrêter le traitement ».

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Selon les chiffres officiels publiés par la Haute Autorité de Santé (HAS), la bipolarité toucherait entre 1 % et 2,5 % de Français, mais ce chiffre est « très certainement largement sous-estimé ». Souvent confondue à tort avec une dépression, elle est mal dépistée. Des années d’errance médicale précèdent le diagnostic. Pour Léa Vigier, il aura fallu sept ans.

« Dans les hauts, t’es Jésus, dans les bas, tu ne ressens plus rien »

Sous-jacente dans son patrimoine génétique, la maladie s’est déclarée chez elle vers l’âge de 23 ans, après un choc émotionnel comme c’est souvent le cas, en l’occurrence, une tempête en Équateur. Elle enchaîne alors des phases d’euphories, dites maniaques, et des phases de dépressions profondes. Chacune dure plusieurs mois. « Je ne me rendais pas compte à quel point ma vie était folle. Dans les hauts, t’es Jésus. Tu n’as pas besoin de dormir, tu as cinq idées à la minute, tu es prête à lancer un business, tu ressens tout follement. Le ciel est trop beau, tu pourrais devenir peintre pour en rendre compte. Et tu trouves les gens lents. Tu as une estime de toi démesurée. »

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Les phases dépressives sont à l’opposé. « Tu ne ressens plus rien, tes neurones ne marchent plus. Tout est compliqué, rien n’est beau. La vie est une souffrance, à tel point que je n’avais plus envie de vivre. Penser à la mort me faisait du bien. »

Entre ces deux phases, chaque projet, chaque rencontre amoureuse subit invariablement la même chute. « C’est de la destruction en boucle », décrit celle qui se présente désormais comme une « militante de la santé mentale ».

« Rester stable dans le chaos »

Aujourd’hui, Léa Vigier compare volontiers sa maladie à un diabète. « C’est un traitement et un suivi psy à vie, c’est lourd. Mais on apprend à vivre avec. » Nomade depuis deux ans, elle partage son temps entre plusieurs activités. Directrice financière d’une start-up, conférencière en entreprise sur la santé mentale, elle consacre l’essentiel de ses journées à son « activité non rémunérée » : « Réussir à faire entendre les enjeux sur la santé mentale, tout en me faisant plaisir à travers des projets qui me font du bien ».

Sur les réseaux sociaux, elle a rendu compte au jour le jour de son tour de France. « Beaucoup de bipolaires se sont sentis portés, ça casse la honte qu’on peut ressentir ». Dans sa démarche, la jeune femme a lancé un appel aux dons pour soutenir l’association Hopestage, qui propose des groupes de parole et des formations dédiées aux personnes bipolaires, afin qu’ils comprennent mieux leur maladie. Elle a déjà récolté près de 10 000 euros. Un documentaire est également en cours de réalisation.

Cette nouvelle vie lui convient parfaitement. « Je me sens alignée. Grâce à mon traitement, je n’ai plus du tout de crises comme avant. J’ai toujours des phases hautes et basses, mais je sais les gérer ». Son voyage est loin d’être terminé. En août, elle a déjà prévu de repartir sur les routes avec sa pancarte. « Rester stable dans le chaos » de l’aventure : une autre de ses victoires.

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