Ce matin-là, les eaux de la baie du Lazaret sont calmes et translucides. Température de la mer: 23°C. Idéal pour piquer une tête. Parfait aussi pour l’aquaculture et sa dizaine de professionnels installés ici, au sud de la petite rade de Toulon.

Mais deux semaines plus tôt, à la fin du mois de juin, ces producteurs de coquillages et de poissons n’étaient pas aussi sereins. La Méditerranée, aussi calme qu’un lac, titillait alors dangereusement les 29°C; ce pic de chaleur précoce portant l’ombre menaçante du réchauffement climatique sur une activité dépendante des éléments.

Moins de densité de poissons dans les cages

 


Frédéric Leguen en train de nourrir des loups dans l’une de ses trois concessions. À droite : sa production prête à être commercialisée. Photos Luc Boutria.

« Plus la mer est chaude, plus elle est pauvre en oxygène. L’absence de courant, qui permet normalement de renouveler la masse d’eau, accentue le phénomène », décrypte Patrick Mendès, gérant des Poissons de Tamaris, société qui accompagne les aquaculteurs locaux pour la distribution et la commercialisation de leurs produits.

Mais ce n’est pas tout. « Les températures extrêmes engendrent une acidification du milieu, ce qui est mauvais pour les moules par exemple. On craint aussi que cette hausse globale ne s’accompagne de l’apparition de bactéries. »

Malgré ces périls, le catastrophisme n’est pas de mise devant le rivage seynois. Loin des productions industrielles de Grèce ou de Turquie, les « artisans » de la métropole s’adaptent. Dans les filets de leurs pittoresques installations en bois, sur pilotis, loups et dorades ont vu leurs conditions d’élevage se bonifier.

« Ces dernières années, nous avons diminué la densité de poissons dans nos cages. Comme ils sont moins serrés, ils ont plus d’oxygène », explique Frédéric Leguen, à la tête de la ferme Hydraloup. « On fait également en sorte que la nourriture que l’on donne l’été soit moins riche en lipides. »

« Il devient difficile de prédire la météo »

Bref, les poissons de la rade grossissent peut-être moins vite qu’ailleurs, mais le consommateur se retrouve dans ce modèle extensif. Dans les assiettes, la chair est d’autant plus goûtue que la croissance de l’animal s’est faite à un rythme raisonnable.

« Et avec la mise en place du contrat de baie, la qualité des eaux de la rade s’est nettement améliorée », poursuit Frédéric Leguen. Ce pionnier de la pisciculture pointe avec satisfaction, sous la surface, un jeune herbier de zostères, plante marine qui avait quasi disparu du plan d’eau.

Reste que bien des écueils demeurent. « Les coups de chauds arrivent plus tôt. Ils sont plus importants aussi. Et il devient très difficile de prévoir quand le mistral va arriver pour refroidir la mer », assure Frédéric Leguen. Notre aquaculteur dit ainsi craindre par-dessus tout « le gros anticyclone, le truc (sic) qui ne bouge pas. »

Dans une mer à plus de 30°C, les moules meurent

Côté conchyliculture, la donne est encore différente. « Les huîtres s’adaptent bien à la chaleur, affirme Yannick Le Corre, nouvel arrivant dans la baie. Par contre les moules, à partir de 30°C, elles meurent toutes. Évidemment que ça nous inquiète. D’autant qu’il n’y a pas grand-chose à faire… »

Y aura-t-il encore des moules à Tamaris dans vingt ans? La question se pose. Une chose est sûre, d’après Patrick Mendès, une espèce a déjà disparu: les climatosceptiques. « Il n’y a pas si longtemps encore, dans la rade, certains doutaient de ce qui est en train de se passer », soupire-t-il sous son chapeau à larges bords. « Aujourd’hui, tout le monde sait qu’on est confronté à nouveau défi ». Et pas des moindres.