Pendant que la France scrutait les annonces de François Bayrou, un discours stratégique attirait l’attention de l’autre côté de la Manche, mardi 15 juillet au soir. À Londres, Rachel Reeves, la Chancelière de l’Échiquier – l’équivalent britannique de notre ministre des Finances – prenait la parole lors du prestigieux dîner de la Mansion House, résidence officielle du lord-maire de la City, cœur battant de la finance britannique.

Durant ce dîner, la ministre des Finances a consacré plusieurs heures à rassurer la City sur la capacité du gouvernement travailliste à redresser une économie britannique fragile. En mai, le produit intérieur brut (PIB) a chuté de 0,1 %, alors qu’une légère hausse était attendue et, en juin, l’inflation a surpris en bondissant de 3,4 % à 3,6 % sur un an.

Pour la Chancelière de l’Échiquier, le coupable est tout trouvé : c’est la réglementation qui freine la croissance britannique. « Dans trop de domaines, la réglementation agit encore comme un carcan sur les entreprises, étouffant l’esprit d’entreprise et l’innovation, moteurs de la croissance », a-t-elle déclaré devant les milieux financiers londoniens tard dans la soirée.

Quelques heures plus tôt, Rachel Reeves avait déjà commencé à dévoiler ses cartes lors d’un sommet à Leeds réunissant les principaux acteurs de la finance. Elle y a présenté les « réformes de Leeds », qualifiées par le Trésor britannique de plus grandes réformes de la régulation financière en dix ans.

Assouplissement des règles sur les IPO et sur les fonds propres bancaires

Si le terme de « dérégulation » évoque habituellement le lexique libéral, la position de la ministre des Finances travailliste n’a rien de nouveau. Rachel Reeves avait déjà affirmé sa volonté de desserrer l’étau réglementaire sur les services financiers, estimant que la réglementation post-crise financière de 2008 était « allée trop loin » et bridait la croissance britannique.

La Chancelière de l’Échiquier a ainsi annoncé mardi que les règles de transparence des entreprises seront allégées pour inciter davantage de sociétés à se lancer à la Bourse de Londres. Désormais, les entreprises introduisant leur première cotation n’auront à publier leur prospectus (le document d’information financière) que trois jours avant leur introduction, contre six auparavant. Par ailleurs, les entreprises déjà cotées ne devront publier un nouveau prospectus que si elles émettent plus de 75 % de leur capital, contre 20 % actuellement.

Parmi les autres leviers activés, Rachel Reeves a salué, mardi 15 juillet, la décision de la Banque d’Angleterre de reporter à 2028 l’entrée en vigueur des nouvelles exigences de fonds propres pour les banques de taille moyenne. Une mesure qui permettra aux banques de libérer du capital et donc de soutenir davantage l’économie britannique.

Attirer les grandes entreprises internationales de la finance

« Nous devons redoubler d’efforts pour placer le Royaume-Uni en tête de la course mondiale dans le secteur des services financiers », déclarait Rachel Reeves dans un communiqué publié quelques heures avant son discours à la Mansion House.

Pour y parvenir, le gouvernement travailliste prévoit la création d’un service spécialisé chargé de « courtiser activement » les grandes entreprises internationales de la finance. Ce nouveau service, intégré à l’Office for Investment, l’agence gouvernementale britannique chargée de faciliter les investissements étrangers, jouera le rôle de guichet unique.

Il s’appuiera sur les réseaux diplomatiques et économiques britanniques à l’international pour accompagner les entreprises étrangères souhaitant s’implanter au Royaume-Uni, en leur proposant un accompagnement sur mesure, fondé sur les atouts financiers régionaux : la gestion d’actifs à Édimbourg, les fintechs à Leeds et à Cardiff, ou encore l’assurance à Norwich.

Mobiliser l’épargne des particuliers vers les marchés financiers

Outre l’assouplissement des règles pesant sur les entreprises, Rachel Reeves a aussi dévoilé un plan ambitieux pour orienter l’épargne des Britanniques vers les actions, affirmant que : « Le Royaume-Uni affiche le plus faible niveau d’investissement individuel parmi les pays du G7, ce qui signifie que les épargnants ne maximisent pas leurs rendements et qu’il manque aux entreprises britanniques une source essentielle de financement. » Selon le Trésor britannique, plus de 29 millions d’adultes conservent leur épargne sur des comptes ne rapportant qu’environ 1 %, alors que le rendement moyen des actions sur dix ans avoisine les 9 %.

Pour inverser cette tendance, une campagne d’information pilotée par les banques mettra en avant les avantages de l’investissement en actions. Dès avril 2026, la Financial Conduct Authority, le régulateur britannique des marchés, mettra en place un dispositif permettant aux banques de signaler à leurs clients des possibilités d’investissement plus rentables. Parallèlement, les avertissements sur les risques des produits financiers seront revus pour devenir plus clairs et faciliter les choix des épargnants.

Rachel Reeves envisage également de revoir les avantages fiscaux accordés aux épargnants qui utilisent exclusivement les comptes d’épargne en cash (ISA), afin de réorienter une partie de cette épargne vers les marchés. Mais une telle mesure pourrait accroître les coûts de financement pour certains acteurs, ce qui pousse le Trésor à temporiser : la réforme des ISA reste à l’étude.

Crédits immobiliers : lever les obstacles à la propriété

La ministre des Finances entend également s’attaquer à un autre enjeu majeur : l’accès à la propriété. Dans une interview accordée au Yorkshire Post avant son discours à la Mansion House, la Chancelière de l’Échiquier a dénoncé comme « ridicule » le fait que tant de Britanniques soient « exclus de la propriété et contraints de dépenser une fortune en loyers ».

Pour illustrer son propos, elle a choisi d’évoquer sa propre histoire familiale :

« Il y a quelques générations, mes parents étaient enseignants à l’école primaire. Ils ont pu acheter leur propre maison quand ils avaient une vingtaine d’années. Combien d’enseignants aujourd’hui peuvent accéder à la propriété ? C’est vraiment, vraiment difficile. »

Pour répondre à cette crise du logement outre-Manche, le gouvernement travailliste prévoit d’assouplir les conditions d’octroi de prêts. La Banque d’Angleterre autorisera davantage de prêts hypothécaires au-delà de 4,5 fois le revenu de l’emprunteur – une mesure qui pourrait permettre à 36 000 personnes d’acheter un logement dès la première année.

Dans la foulée, la Nationwide, première banque mutualiste de prêts immobiliers au Royaume-Uni, élargira l’accès à son prêt populaire « Helping Hand » pour les primo-accédants. Dès le 16 juillet, le seuil de revenu minimum pour en bénéficier passera de 35 000 à 30 000 livres, ouvrant la voie à davantage de ménages modestes.

Parallèlement, la Financial Conduct Authority prévoit d’adapter ses règles de crédit immobilier, afin de permettre la prise en compte des historiques de paiement de loyers dans l’évaluation de la solvabilité des emprunteurs.