Ce médecin généraliste nantais de 62 ans, à l’allure frêle, flotte dans son blouson beige. Il a ôté son chapeau. Il n’est pas à son aise, si loin de son cabinet médical. En guise de salle d’attente, ce mercredi 16 juillet 2025, il a derrière lui la grande salle correctionnelle du tribunal judiciaire de Nantes. Le président du conseil de l’ordre des médecins de Loire-Atlantique, une représentante de la CPAM et nombre d’avocats y ont pris place.
Ce docteur, établi en libéral depuis l’an 2000 dans le quartier de la Beaujoire, a été identifié comme le plus grand prescripteur de prégabaline des Pays de la Loire. Cette substance, délivrée sous la marque médicamenteuse Lyrica, est un puissant psychotrope, utilisé dans le traitement des douleurs neuropathiques et des crises d’épilepsie. Cent six patients ont bénéficié de ses ordonnances, de complaisance, ou falsifiées. Une enquête de gendarmerie est déclenchée en juin 2023. Les premières investigations identifient d’emblée 73 patients, dont la moyenne d’âge est de 35 ans. Plusieurs sont sans pathologie, et sans adresse.
« Protéger mon intégrité physique »
Le médecin traitant est interpellé le 16 juillet 2024. La perquisition au sein de son cabinet met au jour des monticules de dossiers, rangés de manière anarchique. Pas d’ordinateur, ni secrétaire, ce docteur exerce seul, « dans un bazar généralisé », dira le procureur. « Un médecin dépassé par son métier ! », rebondit l’avocat de la défense. À la barre, le prévenu décrit sa patientèle de 1 285 personnes, et une quarantaine de consultations quotidiennes, « de 9 h à 20 h 30, 21 h », parmi lesquelles s’infiltraient des toxicomanes. « Ils venaient dans ma salle d’attente. Je me retrouvais face à eux. Ils sont en état de manque. Je fais la prescription pour protéger mon intégrité physique. »
Le prévenu évoque aussi sa conviction que, face à ce problème de santé publique, il lui fallait prescrire, pour pallier le peu de places dans le service d’addictologie du CHU. « Ça fait 30 ans que j’exerce, pour me retrouver face à des toxicomanes menaçants. Je me serais bien passé de cette patientèle… » Mais pourquoi n’avoir jamais appelé la police, ou le conseil de l’Ordre ? « J’étais menacé… Je n’ai pas su comment faire pour appeler à l’aide. J’étais démuni », répond-il à la présidente.
« En voulant faire le bien, il a fait n’importe quoi »
« Électron libre, pratique dévoyée », tance l’avocat du conseil de l’Ordre, qui s’est constitué partie civile. Il rappelle qu’il est arrivé au prévenu de prescrire à une même personne jusqu’à deux fois le seuil maximal – « soit une dose létale » – et demande un euro de dommages et intérêts. Le procureur lui reconnaît l’amour de son métier mais « en voulant faire le bien, il a fait n’importe quoi. Il représente un véritable danger pour autrui ». Il requiert deux ans d’emprisonnement avec sursis, 80 000 euros d’amende et une interdiction d’exercer pendant cinq ans, soit la période qui le sépare de la retraite. Le tribunal a suivi les réquisitions, réduisant néanmoins l’amende à 50 000 euros.