À l’époque, un peu plus de 17 000 Afghans avaient déjà été acceptés et envoyés vers le Royaume-Uni. « Les candidats retenus avaient dû être traités et envoyés par avion, certains même clandestinement », raconte le ministre. Mais la sélection n’était pas aisée. Les Britanniques ne pouvaient pas se reposer sur une liste précise et devaient donc « demeurer en dialogue constant avec ceux dans le pays. Nous avions trouvé des candidatures de sympathisants connus de l’État islamique et d’Al-Qaïda, ainsi que de personnes qui avaient été licenciées pour avoir collaboré avec les Talibans. »

La Russie devient le premier pays à reconnaître le pouvoir taliban en AfghanistanUne erreur aux conséquences dramatiques

C’est alors qu’un Royal Marine, les commandos d’élite de la Royal Navy, a envoyé deux courriels à plusieurs de ses contacts afghans considérés comme sûrs, leur demandant de confirmer le nom d’une poignée de personnes. Mais, en pièce jointe de ses messages, il a fourni par mégarde la liste des noms et des numéros de téléphone des vingt-cinq mille anciens soldats présumés de l’armée afghane et des membres de leur famille ayant déposé une demande d’asile au Royaume-Uni

L’erreur ne sera pas repérée avant le 10 août 2023. Ce jour-là, un résident britannique a écrit au député de Plymouth Luke Pollard et au sous-ministre de la Défense James Heappey pour les prévenir qu’il détient la fameuse liste. Signe de sa large diffusion, le 14 août, un Afghan s’étant vu refuser le statut de réfugié avait écrit sur un groupe Facebook qu’il l’avait en sa possession et qu’il entendait la rendre publique. Pour le prouver, il publie le nom et les coordonnées de neuf Afghans s’y trouvant.

Immédiatement mis au courant, le ministère de la Défense britannique s’est mis en branle. À sa demande, le message a été effacé dans les jours suivants par Meta, propriétaire de Facebook. Des espions ont ensuite commencé à chercher et à effacer toute trace de la liste. Mais il était sans doute déjà trop tard. D’après plusieurs responsables talibans interrogés par The Telegraph, ceux-ci détenaient la liste depuis sa publication sur Internet. Et le nouveau pouvoir s’était lancé dans la traque de toutes les personnes citées.

« Mon oncle et sa famille se sont enfuis en Iran après avoir entendu parler de la liste, témoigne un Afghan interrogé par le journal. Depuis lors, des combattants talibans viennent régulièrement chez moi et chez d’autres membres de ma famille pour demander de ses nouvelles. ‘Le sang d’un espion coule dans vos veines’, nous disent-ils. »

« Bienvenue en Afghanistan » : quand les Talibans encouragent les Américains à visiter leur paysTentative de dissimulation et accélération des évacuations

Dans le même temps, un journaliste britannique a appris l’existence de la fuite et de la liste et interpellé le gouvernement. Le ministre Ben Wallace explique alors avoir réclamé à la justice d’interdire la publication d’informations sur toute l’affaire. « Je ne m’excuse pas d’avoir demandé une injonction au tribunal à l’époque », a-t-il indiqué dans sa lettre de mercredi. « Il ne s’agissait pas d’une dissimulation, comme certains tentent puérilement de le prétendre. J’ai estimé que si cette fuite était signalée à l’époque, l’existence de la liste mettrait en péril les personnes que nous devions aider. » Journalistes et politiciens s’étaient vus strictement interdire d’en discuter.

Alors que la vague d’arrivées de réfugiés afghans s’était stabilisée à partir de décembre 2022, elle va repartir à la hausse dans la foulée de ces découvertes. À partir du mois d’octobre suivant, tout s’est accéléré. Conscientes du danger, les autorités veulent placer en sécurité tous ceux présents sur la liste et non liés à des organisations terroristes. Entre septembre 2023 et mars 2025, 12 793 Afghans ont ainsi reçu le statut de réfugié, même s’ils n’avaient qu’un lien ténu avec l’armée britannique. Un nombre qui devrait encore croître. Le gouvernement a placé 7 milliards d’euros de côté pour financer leur installation au Royaume-Uni.