La boulangerie de Château-Gombert, sur la rue Centrale, a appartenu aux grands-parents puis aux parents de Sonia Vialla. / PHOTO M.LL.
Longtemps les Gombertois ont défendu avec fierté cette position de « dernier village de Marseille ». Mais est-ce toujours vrai ? La question se pose tant la vie de quartier a été remplacée par une vie de… dortoir ! En semaine, en journée, c’est ultra-calme au pied de la Tour Carrée ou sur la place des Héros, devant l’église Saint-Mathieu… Mais le quartier peut-il revivre comme avant ? Nous avons donné la parole à ceux qui y vivent et y travaillent.
Sonia VIALLA, boulangère sur la rue Centrale, 55 ans
« Ça pourrait être une bonne idée de remettre un tramway »
La boulangerie de la rue Centrale a appartenu à ses grands-parents, puis à ses parents avant qu’elle devienne à son tour propriétaire. Si Sonia Vialla a été contrainte de la vendre en 2011, elle est toujours la boulangère de Château-Gombert, village où elle est née et a grandi et dont elle connaît tout. « Non, corrige-t-elle, je n’ai pas connu le tramway ! D’ailleurs, ça pourrait être une bonne idée d’en remettre un. » Des suggestions pour améliorer la vie des Gombertois, elle en a d’autres : « Peut-être un kiosque à journaux sur la place qui servirait des cafés, des trottoirs refaits pour que les piétons puissent marcher en toute sécurité, plus de places de stationnement pour que les clients s’arrêtent facilement, le retour des services publics… »
Elle se souvient d’une époque plus dorée encore que ses baguettes, où une main était tout juste suffisante pour compter les boulangeries, où on dénombrait presque autant de boucheries, plusieurs épiceries, une pâtisserie et même deux papeteries qui vendaient les journaux. « On pouvait faire toutes nos courses dans le village », raconte Sonia. De cette vie, il ne reste presque plus rien. Peu de commerçants car peu de clients, ou l’inverse. « C’est devenu un village dortoir qui meurt à petit feu, déplore la boulangère. Heureusement qu’il reste encore quelques anciens, comme le groupe Saint-Éloi ou le Roudelet (Felibren) qui continuent d’organiser des fêtes de village. » Elle aussi résiste : « Avant, ici, c’était une étable, il y avait des vaches. C’est une boulangerie depuis 1887. » Mais jusqu’à quand pourra-t-elle le rester ?
Juliette Gagliardo, habitante de Château-Gombert, 90 ans
« Je voudrais des espaces pour les enfants, avec des jeux »
Juliette Gagliardo, 90 ans, est la mémoire de Château-Gombert. M.LL.
Elle est née en 1935 à Château-Gombert et n’en est jamais partie. Sa maison donne même directement sur la place. Autant le dire d’emblée : Juliette Gagliardo est ici chez elle. Avec ses 90 printemps, elle est un peu la mémoire du village. Un quartier qu’elle a vu évoluer « en bien et en mal ». Mais, voyant plutôt le verre à moitié plein, elle note en premier lieu que « les jeunes sont plus avenants qu’avant avec les personnes âgées ». D’ailleurs, elle se sent « en sécurité » même si elle trouve que « quelques voyous de Saint-Jérôme ou La Rose commencent à venir ».
Et puis, la nostalgie l’emporte : « Il y avait des bouchers, des magasins, plus de lien humain avec les commerçants qui avaient alors le temps de parler avec les gens. Du coup, avant, ceux qui habitaient à Château-Gombert y travaillaient aussi et tout le monde se connaissait. Ce n’était pas un dortoir. »
Un changement d’atmosphère que Juliette attribue aussi à un manque de transports en commun, elle qui a connu le temps du tramway. « Vous imaginez que je le prenais ici et que j’allais jusqu’aux Réformés ? Ça manque, ne serait-ce que pour l’ambiance ; les bus c’est différent. » Pour améliorer le nouveau Château-Gombert, Juliette ne se soucie plus de son bien-être à elle, mais, altruiste, elle pense « aux nouvelles populations qui vivent ici, ces gens modernes ». Et ce que voudrait cette dame tournée vers la vie, ce sont « des espaces pour les enfants, avec des jeux, car il n’y a que celui-ci, à l’extrémité de la place ». Parce que ce sont eux qui constitueront, demain, la mémoire de Château-Gombert.
Nicolas et Guillaume Messana, du bar-tabac rue Centrale, 64 et 35 ans
« Il faudrait un marché comme celui de Plan-de-Cuques »
Nicolas Messana et son fils Guillaume tiennent le bar-tabac de Château-Gombert. M.LL.
Derrière son comptoir, Nicolas Messana voit passer le tout Château-Gombert : jeunes et plus âgés, riches ou moins aisés. Du village, comme ces trois vingtenaires attablés sur la terrasse qui surplombe la rue Centrale, ou des communes voisines, à l’instar de cet Allaudien, la soixantaine passée, accoudé au zinc avec son ballon de rouge. Au bar-tabac qui porte le nom du quartier, on fait, défait et refait le monde. « Je suis là depuis… 18 ans. Le temps passe vite, sourit le patron. Forcément, le quartier a changé, pas en bien. »
Celui qui vend cafés, Get et cigarettes s’étonne de certains choix : « Il n’y a pas de place pour handicapés ou les livraisons. Mon livreur doit s’arrêter sur la route, tout le monde klaxonne, c’est le oaï. On manque de stationnements pour les voitures mais on crée des parkings à vélos, allez comprendre… »
Nico, comme on l’appelle ici, n’est pas fermé à une piétonnisation du village, « mais il faut tout imaginer en ce sens » : « Or on a créé des zones commerciales aux extrémités où on peut se garer, ça tue la vie commerçante du centre. » Selon lui, c’est la raison pour laquelle « Château est devenu un quartier dortoir ». Ce constat dressé, il va de l’avant, d’autant que son fils Guillaume, qui travaille avec lui, pourrait lui succéder. « Il faudrait un marché sur la place, comme cela se fait à Plan-de-Cuques. Peut-être pas aussi grand, avec uniquement de l’alimentaire. Parce qu’aujourd’hui, il faut être un peu fou pour être commerçant à Château-Gombert. »
Henri Hurtado, boucher sur la place des Héros, 36 ans
« Les gens se plaignent qu’il n’y a pas de commerces, mais quand il y en a, ils n’y vont pas »
Henri Hurtado, boucher à Château-Gombert. M.LL.
Après plusieurs années comme salarié dans une boucherie de Plan-de-Cuques, Henri Hurtado, la petite trentaine, a voulu se lancer à son compte, persuadé qu’il s’y retrouverait, financièrement notamment. Alors, en 2021, « juste après le Covid », le Marseillais, installé depuis 2018 « du côté du Technopôle », a repris la boucherie de la place des Héros. S’il apprécie être son propre patron, niveau salaire, ce n’est pas encore vraiment ça. « Je pensais qu’en reprenant la boucherie du quartier ça irait, mais le village est mort, soupire-t-il, derrière son étal. La place est jolie, mais elle ne vit pas, c’est dommage. »
Pour celui qui habite désormais chez sa compagne, « un peu plus près du centre », il y aurait bien une solution : « Il faudrait un marché, avec des producteurs », pense-t-il. Une idée qui a déjà été tentée, mais n’a pas perduré. Henri Hurtado s’en souvient d’ailleurs, avec un peu d’amertume : « Il y avait un stand de viande à côté de la fontaine… »
Le boucher de Château-Gombert (car il n’en reste qu’un), qui travaille avec les autres commerçants du village ou de Plan-de-Cuques, regrette que « les gens se plaignent qu’il n’y a pas de commerces, mais quand il y en a, ils n’y vont pas » et l’explique par « le manque de places de parking ». « C’est dur d’être commerçant ici, mais il faut rester optimiste », conclut-il dans un sourire, alors qu’une cliente vient justement d’entrer.
Ce que veulent nos lecteurs pour ce quartier
Plus de bus et le rêve d’un tramway
Le constat est sans appel : à la grande majorité, les Gombertois déplorent une desserte en transports en commun « insuffisante ». Si certains osent rêver d’un tramway « jusqu’au métro la Rose, ce qui serait idéal pour desservir le village et le Technopôle », d’autres vont carrément plus loin et souhaitent voir « prolongée la ligne de métro de deux stations » : « En aérien jusqu’à l’école Centrale et sur la place, près de l’église. » Une amélioration du service de bus semble plus réaliste : outre un renforcement des lignes existantes (la 1 – qui ne fonctionne pas le dimanche ! – et la 5) et de leur fiabilité, cet habitant imagine « une nouvelle qui part de la Parade, passe par le quartier de Bagarry et du domaine de la Claire pour desservir le Technopôle ». Des « navettes depuis les collines » sont aussi évoquées, et bien sûr « un bus de nuit ».
Une piscine, des animations et des services publics
Pour se baigner, à Château-Gombert, mieux vaut miser sur son propre bassin. Car la seule piscine municipale du 13e arrondissement est à Frais Vallon. Et, selon cette habitante, elle est « vétuste, souvent fermée, dans une cité difficile et avec des créneaux pour le public peu nombreux ». « C’est plus pratique d’aller à Plan-de-Cuques ou Allauch », estime cet autre Gombertois, alors même que les non-résidents de ces communes ont besoin d’une dérogation pour y accéder. Les riverains de Château veulent aussi « des restaurants sur la place pour animer ce mini centre-ville » : « Il faut faire vivre notre quartier avec plus d’animations et que les services publics, comme une mairie, reviennent ! » Et le Technopôle pourrait permettre de « rajeunir et dynamiser le quartier ».
Des caméras et une police de proximité
Si on ne peut pas vraiment parler d’insécurité à Château-Gombert, des habitants se disent « moins sereins ». La faute, selon eux, à « des voitures vandalisées » et « des cambriolages » mais aussi à « des incivilités et des rodéos sauvages ». Certains Gombertois demandent ainsi l’installation de « caméras » alors qu’une « partie du quartier est devenue mal fréquentée, soumise à la délinquance du fait d’une urbanisation non maîtrisée ». « Il faut aussi une police de proximité », demande ce résident. Un autre, habitué des promenades dans les collines, regrette qu’il soit « aussi possible de s’y faire écraser par des engins à moteurs non immatriculés ».
Conserver des espaces verts non urbanisés
La construction intensive de logements (dont Marseille a besoin) inquiète parfois. Comme cette Gombertoise qui espère que son quartier sera « préservé de l’urbanisme galopant ». Afin de conserver des espaces verts (« on en a besoin »), elle propose même que certains soient « attribués à des agriculteurs ».
Plus pessimiste et plutôt anti logements sociaux, un habitant remarque que « les permis de construire se multiplient et on n’hésite plus à modifier le PLUI quitte à raser des villas pour voir grandir des immeubles où l’on va faire de la mixité sociale ». Plus pragmatique, cette autre résidente remarque que l’on « a beaucoup construit sans prévoir les crèches, écoles et centre aérés » correspondant.