La misère humaine ne connaît pas de saison. Mais certaines sont plus virulentes que d’autres, notamment lorsque les températures frôlent les 40 degrés. En 2024, la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) du Var a réalisé un diagnostic sur les sans-abri dans le département afin de mieux connaître leurs besoins et adapter l’offre existante. Sur 5.500 personnes sans domicile dans le Var, 1.500 sont des jeunes de 18 à 29 ans. Un jeune interrogé sur quatre dort dans la rue. Des chiffres qui alarment, et qui donnent un aperçu de l’enfer que vivent les sans-domicile fixe toute l’année. Un calvaire décuplé en période de chaleur extrême, comme c’est le cas en ce moment.

Comme tous les mercredis soir, Malou et son équipe de bénévoles de l’association Toulon Solidarité se donnent rendez-vous pour la maraude. Deux fois par semaine, le collectif installe son camion associatif au Boulodrome St-Roch, pour procéder à des distributions alimentaires gratuites.

Il est 19h30. Le véhicule rouge floqué au nom de l’association est attendu comme le messi. Sur place, il y a déjà la queue.

Ce jour-là, munis de leurs gilets bleus, Malou, la présidente de Toulon Solidarité, est accompagnée par Fabienne, Romain et Rachid. Dans le camion qui leur est gracieusement prêté par l’association Le Lien 83, les cagettes débordent: fruits, légumes, conserves, plats préparés par les bénévoles, invendus de boulangerie, yaourts, croquettes… Et de l’eau, en grande quantité.

« Dimanche, nous avons distribué des dizaines et dizaines de bouteilles d’eau. C’est le seul jour de la semaine où les accueils pour sans-abri sont fermés », explique Malou, qui a décidé depuis plus de dix ans de consacrer son temps et son énergie aux plus démunis. « En ce moment, ils se plaignent beaucoup de la chaleur… », glisse-t-elle, tout en distribuant de l’eau, de la citronnade et du thé.

Malou connaît quasiment tout le monde. Et l’histoire de chacun. Les vies brisées, les parcours semés d’embûches. « En 2019, je me suis retrouvé sans rien du jour au lendemain, témoigne Gilles, 69 ans. Tu la connais l’histoire Malou hein… Mais je ne me décourage pas, je sais que je vais finir par retrouver du travail, puis un appartement », espère cet ancien commandant de bord actuellement en procès contre la Caisse de retraite du personnel navigant, et qui dort au 115, « en attendant des jours meilleurs ».

Elias, 25 ans, raconte venir trouver du réconfort auprès de Toulon Solidarité depuis maintenant un an. « Cela me permet de boire et de manger. Surtout en cette période, l’eau est précieuse », explique le jeune homme: « Vous avez vu cette chaleur? C’est catastrophique. Je suis obligé d’aller me baigner pour me rafraîchir. Mais même l’eau de mer est chaude! Heureusement que Malou et les autres bénévoles sont présents, car il n’y a pas grand-chose de mis en place pour nous. »

Ce soir-là, une cinquantaine de bénéficiaires ont pu se rassasier et surtout s’hydrater grâce à Toulon Solidarité. « Il y a des soirs où on atteint les 150… précise toutefois Malou. Ce soir, c’était calme ». « Nous avons déjà eu des décès »

Face à la canicule, le centre d’accueil de jour pour sans-abri Archaos, à Toulon, élargit ses créneaux d’ouverture. Depuis trente ans, le centre s’efforce de venir en aide à cette tranche de la population désœuvrée et trop souvent laissée pour compte. Là-bas, ils sont surnommés les « accueillis ».

« En période de chaleur extrême comme en ce moment, comme en ce moment, nous organisons des astreintes de 17h à 19h. On ressent l’épuisement général dû à la chaleur: il arrive que des ‘‘accueillis’’ s’endorment à même la table », contextualise Nathalie Germain, cheffe de service de la structure.

L’an dernier, des décès ont malheureusement eu lieu. Même s’ils ne sont pas liés uniquement à la chaleur, celle-ci est un facteur supplémentaire aggravant: « En 2024, nous avons fait face à quelques disparitions, se remémore avec émotion Nathalie Germain. Ils s’endorment parfois en plein soleil, et avec l’alcool, ça favorise la déshydratation. C’est ça le problème: l’addiction dans sa définition première, c’est avoir conscience qu’on se fait du mal, mais le faire quand même. C’est très compliqué à gérer lorsqu’il fait très chaud, les accueillis sont plus susceptibles, ils dorment mal et sont plus irritables que d’habitude, ça favorise les tensions. »


Les températures avoisinent les 40 degrés. Ces sans-abri se rafraîchissent avec les moyens du bord. Photo LA. G..

« On est tous responsables de la pauvreté et de la misère »

« Il y a aussi ceux qui dorment dans leurs voitures. Le véhicule se retrouve en plein cagnard, fenêtres fermées pour éviter les agressions. Tous ces comportements mènent à la dérive, ce qui nous demande beaucoup de temps et de patience. On est tous responsables de la pauvreté et de la misère. Et on est tous acteurs de cette prise en charge », poursuit Nathalie Germain.

Malheureusement, les encadrants sont parfois dépassés par les événements. « Il y a quelques jours, deux ‘‘accueillis’’ ont fait des crises d’épilepsie à cause de la consommation d’alcool combinée à la chaleur, ils n’ont pas eu le réflexe de se mettre à l’ombre. Nous avons dû faire appel aux pompiers. Avec un temps plus frais, ça ne serait pas arrivé. »

En ce moment, le taux d’accueil du centre Archaos bat son plein. « On est vraiment sur une hausse de fréquentation. Lundi, nous avons reçu 115 personnes. Avec une moyenne de 95 sans-abri par jour. « 

Depuis son déménagement en janvier dernier, le centre dispose désormais d’un intérieur climatisé pour accueillir le public dans de bonnes conditions, sans oublier la fontaine à eau fraîche, en libre-service. « On travaille aussi beaucoup avec la cheffe en cuisine pour mettre en place une consommation de fruits et de légumes pour valoriser l’hydratation par l’aliment. »


Abrités sous des parasols et de la végétation, les  » accueillis  » déjeunent dans la cour du centre Archaos, à Toulon. Photo LA. G.

« Les comportements changent avec la chaleur »

À la rue depuis vingt-cinq ans, Brahim se définit comme « venant d’un peu partout ». Habitué à « la galère » après avoir été abandonné par son père à l’âge de 12 ans, le sans-abri, qui préfère le terme de « vagabond », décrit un quotidien infernal. « J’en ai vécu des canicules, à la longue, on s’habitue, même si c’est très dur à supporter. La chaleur, la recherche de points d’ombre, de frais, d’eau… Dans la journée, je traîne au centre commercial car il y a la clim. Je suis alcoolique, je bois beaucoup de bière, mais je pense quand même à boire de l’eau », assure-t-il, en se servant à la fontaine à eau, en guise de bonne foi. Pour se rafraîchir, il est contraint de « prendre des douches dans les toilettes publiques ». Même genoux à terre, Brahim continue de croire en la bonté humaine. « Tout le monde peut se retrouver dans la rue du jour au lendemain, même vous madame. Le plus important, c’est de garder le sourire. Si vous saviez à quel point un bonjour ou un au revoir sont importants pour nous. »

« Seule, je me serais fait violer depuis longtemps »

La nuit, le répit tant espéré est loin d’avoir lieu. L’absence d’endroits sûrs pour se reposer rend les nuits caniculaires particulièrement éprouvantes.

« Pour une femme, c’est très compliqué d’être à la rue, se livre Ella, 24 ans. La nuit, c’est l’horreur car tu es entourée de charognards. L’hiver, encore ça va car on a des couettes mais l’été, c’est invivable. Encore plus quand tu n’as pas accès à l’hygiène, et que les pharmacies ne veulent rien te donner quand tu as tes règles, et que t’as pas de quoi acheter des tampons… Heureusement que j’ai mon groupe et mon frère avec moi. Seule, je me serais fait violer depuis longtemps. »

Le récit d’un quotidien infernal, complété par son compagnon d’infortune Teddy, 33 ans: « Je dors dans la rue depuis trois ans. Les femmes dans notre situation, même celles que je ne connais pas, viennent me demander si elles peuvent se poser avec moi pendant la nuit, pour ne pas se faire agresser. »


L’association Archaos, accueil de jour toulonnais pour
sans-abri, met à leur disposition une fontaine à eau fraîche. Photo la. G..

« Le béton est bouillant et fait remonter la chaleur »

Hervé, 58 ans, s’est retrouvé à la rue il y a moins d’un an. Un univers nouveau, qu’il découvre malgré lui. Et qu’il tente d’analyser: « Les comportements changent avec la chaleur. Moi je ne bois pas d’alcool, mais je remarque à quel point ça agit sur leurs corps. »

Et pour lui aussi, les nuits sont synonymes de calvaire. « Je dors à Hyères, à même le béton. C’est mieux qu’à Toulon, c’est moins dangereux. Ici, il y a trop de bagarres et de guerres de territoires entre SDF. L’été, c’est horrible car le béton est bouillant et fait remonter toute la chaleur. On se prend des coups de pied dans les côtes pour se faire dégager. »

Hervé pointe aussi du doigt « l’absence de mesures mises en place« : « On est en alerte canicule, et la préfecture ne fait rien. Le week-end dernier je n’avais plus d’eau, j’ai failli mourir. J’ai appelé les pompiers, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas le temps. » Fort heureusement, la solidarité existe encore: « J’ai demandé des verres d’eau à des commerçants, ça m’a sauvé. »

De l’aide, ils en reçoivent également de la part de la DDETS, qui fournit aux associations du département ce qui s’apparente à des kits de survie. « La DDETS nous donne des casquettes, des brumisateurs, des tongs, que nous distribuons ensuite aux sans-abri durant nos maraudes », explique Stella Barreto, coordinatrice de l’équipe mobile santé-précarité de l’association SenDRA Solidarités, basée à Draguignan.

Dans la cité du dragon, l’accueil de jour AVAF a lui aussi élargi ses horaires pour permettre aux sans-abri de trouver refuge dans un endroit frais. « Le but est d’éviter qu’ils fassent des malaises à cause de la canicule. Depuis la fin du mois de juin, nous avons distribué 270 bouteilles d’eau« , précise la coordinatrice.

Quand la chaleur accable les villes et devient un piège mortel pour ceux que l’on oublie trop souvent, chaque geste compte.

« Il convient d’agir »

la préfecture du Var détaille les « procédures de gestion des vagues de chaleur  » mises en place à destination des publics sans domicile et donc vulnérables. « Le niveau de veille saisonnière est activé automatiquement du 1er juin au 15 septembre 2025. Dès le passage en niveau de vigilance météorologique jaune, il convient d’agir. »

Le dispositif opérationnel de veille et d’alerte dans le Var repose sur plusieurs volets:

Une mobilisation optimale des moyens disponibles: le SIAO-115 du Var informe la DDETS du Var en temps réel de l’évolution des demandes de prestations et de mises à l’abri en nombre et par zone géographique.

Une attention particulière des appels au 115 durant cette période pour répondre à la progression des signalements et des appels.

Une intensification des maraudes (sur Toulon Provence Méditerranée, l’Aire Dracénoise, Fréjus-Saint-Raphael) effectuées par les équipes mobiles et les bénévoles, dès activation de la vigilance jaune.

Une extension horaire des accueils de jour et une ouverture les week-ends de 5 des accueils (Toulon, Hyères, Fréjus, Draguignan et Brignoles) en cas de déclenchement de la vigilance orange et rouge.