« What is happening? Has something bad happened? »
Sur le chemin de leur hôtel, rue Tiranty, en plein centre-ville de Nice, un groupe de touristes bute sur un barrage de police. Barrières et uniformes suggérant l’imminence d’un danger, ils interrogent: « Que se passe-t-il? Est-ce que quelque chose de grave est arrivé? »
Difficile d’expliquer, en anglais, que depuis ce mercredi 16 juillet 2025 et jusqu’au lundi 21, de 8 à 20 heures, cette perpendiculaire de l’avenue Jean-Médecin est soumise à un filtrage de la police municipale afin d’en interdire l’accès aux usagers de drogue s’y étant fixés depuis des années. L’agent se contente donc d’un pouce levé, signe que la voie est ouverte. Pour peu qu’on ne soit pas « suspicieux », pas de contrôle d’identité. Pas de fouille des sacs.
Venu tester le dispositif déployé sur le tronçon entre l’avenue Jean-Médecin et la rue Lamartine, ce mercredi 16 juillet à 8 heures, le premier adjoint au maire délégué à la Sécurité, Anthony Borré, a d’emblée annoncé que cette mesure était temporaire, ne s’appliquant qu’une semaine. Trop bref pour être efficace? « Nous verrons, temporise l’élu. Si l’expérimentation fonctionne, nous la prolongerons certainement après, car il y a un besoin impératif. (…) Depuis le 1 janvier, nous avons eu 144 appels liés aux nuisances dans cette rue. Nuisances qui sont très majoritairement causées par les toxicomanes qui se piquent sous les yeux de tout le monde. Notre police municipale intervient quasi quotidiennement pour les déloger, mais dix minutes après, ils sont déjà de retour. (…) Il y a aussi un enjeu de salubrité public, nos services de propreté étant obligés de nettoyer des déjections humaines. »
Contrôle « au faciès »?
Un ASVP gardant l’entrée de la rue Tiranty, mercredi 16 juillet 2025, à Nice. Photo Frantz Bouton.
À entendre le bras droit du maire, Christian Estrosi, « il n’y avait donc plus d’autres solutions » que de restreindre la circulation aux seuls riverains et clients des commerces adjacents. Mais est-ce légal (1)? Les critères sur lesquels ces agents vont se baser pour interdire ou non le passage ne sont-ils pas discriminatoires? La pratique s’apparente-t-elle à du contrôle « au faciès »? Anthony Borré balaye la remarque: « C’est un contrôle visuel. Comme lors du Carnaval. (…) Sur Tiranty, les policiers vont bien discerner les gens consommateurs de drogue, pieds nus, avec une seringue à la main, et ceux qui habitent là ou vont faire leurs courses. »
En parallèle de cette séquence de communication, sur l’avenue Jean-Médecin et les abords de la cathédrale Notre-Dame, des silhouettes malingres comataient après une nuit d’errance et de défonce. « Quand ils vont émerger, ils iront comme d’habitude à Tiranty. En voyant les flics, ils se caleront simplement dans la rue d’à côté, observe Ludo, sans domicile fixe. Ça ne fait que déplacer le problème. »
Le préfet: « Ça ne fera que déplacer le problème »
Six policiers municipaux ou ASVP le matin, six l’après-midi. Selon Anthony Borré, il n’en fallait pas moins pour garder les barrières de la rue Tiranty. « Pendant ce temps-là, ils ne font pas autre chose. Ce qui est regrettable », concède l’élu. Pour mieux tacler: « D’autant que la police municipale est trop limitée pour combattre ce fléau. Seule la police nationale peut mettre ces personnes en garde à vue, saisir leurs substances et faire une enquête pour savoir s’il y a un trafic d’ordonnances. Nous espérons donc que l’État va se montrer à la hauteur. Nous n’avons pas à nous substituer à lui. »
Des reproches malvenus pour le préfet des Alpes-Maritimes. Sollicité par Nice-Matin, Laurent Hottiaux a répliqué ce mercredi: « L’État n’a pas attendu cette initiative pour prendre ce sujet à bras-le-corps. Tous les jours, la police nationale vient dans le secteur. Il est hors de question qu’on accepte le trafic ou l’usage de stupéfiants, a fortiori sur la voie publique. Mais fermer une rue ne réglera jamais le problème. Ça ne fera que le déplacer. Il faut évidemment une approche de sécurité, mais aussi sanitaire et sociale. Nous y travaillons avec les équipes du CHU (et le groupe) SOS. On a identifié des places avec l’agence régionale de santé pour prendre en charge des personnes très malades, en situation de toxicomanie, en milieu hospitalier. On ne travaille pas ces sujets sur les réseaux sociaux. On y travaille en organisant les réunions nécessaires. L’État n’a, à aucun moment, fait défaut, et travaille à chaque fois en bonne entente avec la ville. C’est comme ça qu’on règle les problèmes. »
1. Dans notre édition du 12 juillet, Nice-Matin posait la question à un juriste préférant rester anonyme. Sa réponse: « La décision est-elle nécessaire, adaptée et proportionnelle à l’objectif poursuivi? A priori, ça n’est pas le cas. S’il y a un recours au tribunal administratif, et il y en aura certainement un, la mesure risque d’être cassée. »