Médecins du monde met la pression sur l’État, un an après la suspension du projet de halte de soins addictions à Marseille, qui semble désormais compromis. Deux recours vont être déposés, l’un portant sur le cas marseillais et l’autre sur les suites de l’expérimentation à Paris et Strasbourg.
Le bras de fer se tiendra désormais peut-être au tribunal. Médecins du monde a décidé de poursuivre l’État devant la justice pour carence fautive dans le dossier des haltes soins addictions (HSA) plus connues sous le nom de «salles de shoot». «Dans un contexte d’urgence sanitaire pour les usagers et usagères de drogues, en particulier dans le nord-est parisien, et à Marseille, l’absence de création de HSA est devenue un symbole de l’inaction de l’État», estime l’ONG dans un communiqué de presse.
Dans le détail, Médecins du monde dépose ce lundi deux recours distincts. Le premier concerne l’ouverture d’une «salle de shoot» à Marseille. Initialement annoncé dans un bâtiment du centre-ville, le projet avait été suspendu, après notamment l’intervention de la ministre marseillaise Sabrina Agresti-Roubache et une forte mobilisation citoyenne. Médecins du monde accuse l’État de carence fautive. «L’État a d’une certaine manière reculé», estime Didier Febvrel, délégué régional de Médecins du monde en Provence-Alpes-Côte d’Azur.
«Nous avons sollicité le ministère de la Santé pour qu’il édicte un arrêté pour ouvrir une halte soins addictions à Marseille, explique Me Vincent Brenghart. En l’absence de réponse, nous considérons qu’il y a un refus implicite d’ouvrir cette salle par l’État». En la matière, cela constitue une carence fautive selon l’ONG. Lors d’une visite à Marseille, peu de temps après son arrivée au gouvernement, interrogé par la presse sur ce sujet, l’actuel ministre de la Santé avait botté en touche. «Je vais prendre connaissance de ce dossier, confiait Yannick Neuder. J’espère que nous pourrons trouver des solutions qui seront dans l’intérêt de la population.»
Une fin d’expérimentation au 31 décembre
«J’ai eu le plaisir d’échanger sur ce sujet avec le ministre il y a un mois et demi au cours d’un déjeuner, affirme Michèle Rubirola, adjointe au maire de Marseille en charge de la santé. J’ai eu face à moi une écoute attentive. Il a demandé à l’agence régionale de santé d’avoir les comptes rendus de ce qui s’était passé. J’ai également demandé une audience à Madame Vautrin (ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, NDLR), car je sais que c’est un sujet qui se réglera de manière interministérielle. Après, je soutiens Médecins du monde, car, à un moment, il faut utiliser les armes qu’on utilise, par exemple, pour le climat quand il y a urgence. Tant que ce n’est pas fini, c’est possible.»
«Madame Rubirola est convaincue, mais je ne suis pas sûr que Benoît Payan soit convaincu complètement, souffle Didier Febvrel. Le dossier était sur le bureau du ministre de la Santé Aurélien Rousseau juste avant qu’il démissionne . Aujourd’hui, objectivement, on est à un an des élections municipales, avec le ministre de l’Intérieur que l’on a, et je ne suis pas très optimiste.»
Le second recours porte l’avenir des deux «salles de shoot» ouvertes à Strasbourg et Paris dans le cadre d’une expérimentation dont la fin est annoncée au 31 décembre 2025, mais dont on ignore encore si elle sera prolongée ou abrogée par le gouvernement actuel. «Nous vivons avec cette épée de Damoclès où l’on se demande ce que ces salles vont devenir, rapporte Céline Debaulieu, référente «plaidoyer» à Médecin du monde sur la réduction des risques liés à l’usage de drogues. Il y a une échéance à venir, et on ne peut pas décider au 31 décembre du sort d’un dispositif. Il y a des choses à prévoir en amont, comme un budget».
Pas de «position claire»
«Nous avons rédigé en ce sens un courrier de demande préalable adressé au ministère de la Santé le 23 décembre dernier, rapporte l’avocat de Médecins du monde dans ce dossier, Me Vincent Brenghart. L’absence de réponse dans un délai de deux mois vaut refus. Nous avons donc décidé d’engager la responsabilité de l’État dans un recours devant le tribunal administratif.» Pour l’avocat, «il y a une inaction de l’État dans la mise en œuvre de politiques de prévention des risques comme ces mesures qui apparaissent comme nécessaire. Il y a aussi une obstruction active de l’État pour prolonger cette expérimentation.»
En octobre 2016, Paris accueillait la première «salle de shoot» de France sous l’impulsion de la ministre de la Santé de l’époque Marisol Touraine. Un mois après, une structure similaire a ouvert à Strasbourg. «Aujourd’hui, il faudrait soit un passage de cette structure dans le droit commun, soit un arrêt, soit le prolongement de l’expérimentation, énumère Gauthier Waeckerle, directeur général de l’association Ithaque qui gère la HSA strasbourgeoise. Mais ça, on ne le sait pas. Je continue à interpeller les cabinets quand on peut et à rencontrer le plus de parlementaires possibles pour que ce soit mis au débat. Il nous faudrait enfin une position claire.»
Au printemps dernier, le gouvernement Attal avait commandé aux inspecteurs des affaires sociales et de l’administration, un rapport sur ces «salles de shoot» en France. Comme l’a révélé Le Monde en novembre, ce rapport – que Le Figaro a pu consulter – tire un bilan nettement positif de cette expérimentation, préconisant même l’ouverture d’autres structures de ce type en France. Une position que ne partage pas le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui a affirmé auprès du JDNews que «les salles de shoot créent plus de problèmes qu’elles n’en règlent.»
«La logique de Médecins du monde est une logique de dialogue qui vise à obtenir des éléments de réponse, affirme Me Vincent Brenghart. L’absence de réponse nous contraint à déposer ces recours devant le tribunal administratif, pour permettre d’établir un débat apaisé sur ces questions, avec des discussions techniques loin des considérations politiques.» Contacté, le ministère de la Santé n’a pas répondu à nos questions.