Les sanctions font rage… sur le papier. Pendant ce temps, la Russie s’approvisionne sans trop de peine en équipements critiques, comme le dévoile une enquête de The Insider, qui révèle que Moscou continue d’acquérir des équipements critiques pour la fabrication de canons d’obusiers – via des circuits détournés, impliquant l’Espagne, Hong Kong, et des technologies autrichiennes.
Une machine lourde venue d’Espagne… via Hong Kong
Au cœur de l’affaire, une machine de forgeage de 110 tonnes, construite depuis 1983 par l’entreprise autrichienne GFM (Gesellschaft für Fertigungstechnik und Maschinenbau), dont un modèle a récemment été livré à la société russe AZK Groupe, implantée à Ijevsk – une ville industrielle réputée pour sa production d’armement. L’équipement, à hauteur de quelque 1,3 million de dollars, aurait transité par l’Espagne avant d’être acheminé sous le nom d’une société basée à Hong Kong, Scorpion’s Holding Group Limited, et dédouané par les autorités russes à Ninji Novgorod.
La société espagnole Forward Technical Trade SL, enregistrée à Barcelone et manifestement sans présence en ligne, figure en tant qu’exportateur. Interrogé par The Insider, GFM a formellement nié toute relation commerciale avec les entreprises espagnole ou hongkongaise impliquées.
La Russie convoite particulièrement ce genre de machines produites par GMF puisqu’elles permettent le forgeage radial des tubes d’artillerie – une technologie indispensable pour garantir la précision, la résistance et la longévité des composants. Selon The Insider, et comme l’indiquait déjà le Royal United Service Institute (RUSI), l’URSS avait commencé à utiliser ces machines dans les années 1970, avec près de 26 unités importées.
Aujourd’hui, selon Pavel Luzin, chercheur invité à la Fletcher School, l’industrie russe dépend entièrement de ces machines autrichiennes – la Russie étant incapable de produire un équivalent domestique.
Canons usés, stocks épuisés : comment Moscou tente de sauver son artillerie
La guerre en Ukraine a fortement accru la demande en artillerie. Les tubes d’obusiers, soumis à une usure rapide sous l’effet des tirs intensifs, doivent être remplacés régulièrement. Selon les analystes OSINT, Moscou serait confronté depuis au moins 2023 à une pénurie chronique des tubes, ce qui l’oblige à puiser dans ses anciens stocks soviétiques, et recourir à des calibres importés de Pyongyang – voire à improviser des systèmes d’artillerie à partir d’armes navales ou aéroportées.
Sans accès à des machines de forgeage radial de pointe, comme celles produites par l’entreprise autrichienne GFM, Moscou ne pourrait plus maintenir sa production de tubes d’artillerie. C’est précisément cette faille que les sanctions occidentales visaient à exploiter pour limiter l’effort de guerre russe.
Suite aux révélations de The Insider sur de possibles exportations illégales de technologies à double usage, les autorités espagnoles ont rappelé les procédures à suivre en cas de soupçon. Le ministère du Commerce a précisé que toute infraction présumée devait être signalée à l’Audience nationale, conformément à la loi organique de 1985 sur le pouvoir judiciaire. La guerre s’use, les canons aussi – mais pas l’ingéniosité du Kremlin pour contourner l’embargo.