Licenciera, licenciera pas ? Lors d’un point presse mercredi 16 juillet à la Maison-Blanche, en présence du prince héritier du Bahreïn, Salmane Hamad ben Issa Al-Khalifa, Donald Trump a laissé planer le doute sur l’avenir de Jerome Powell, président de la Réserve fédérale américaine (Fed). « Il fait du mauvais boulot », a-t-il critiqué devant les caméras, avant de déclarer à propos d’un éventuel renvoi : « Je n’écarte rien, mais c’est très improbable ». Plus tôt dans la matinée, le chef de l’État avait pourtant affirmé réfléchir sérieusement à son licenciement. Une forme de rétropédalage qui illustre la stratégie désormais bien rodée du locataire de la Maison-Blanche : menacer sans agir, attaquer sans trancher, tout en entretenant le flou.

Depuis plusieurs mois, les reproches de Donald Trump envers Jerome Powell se sont mués en attaques frontales. Le locataire de la Maison-Blanche ne se prive pas d’insultes à répétition à l’égard de celui qu’il avait pourtant lui-même nommé à la tête de la Fed en novembre 2017. À l’époque, l’ex-magnat de l’immobilier saluait encore « la sagesse et le leadership » de cet ex-banquier d’investissement, convaincu qu’il saurait « guider l’économie américaine ». Mais le ton a radicalement changé : Jerome Powell est désormais traité de « grand perdant », d’ »imbécile », ou encore de « mule têtue ».

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Donald Trump accuse celui qu’il surnomme « Trop tard Powell » de freiner la croissance, en refusant de baisser les taux d’intérêt alors que, selon lui, l’inflation n’est plus un problème. « Il gémit comme un bébé au sujet d’une inflation inexistante », a-t-il encore pesté, appelant la banque centrale à abaisser ses taux directeurs de trois points d’un coup — une demande totalement hors normes. À ces critiques monétaires, s’ajoutent désormais des reproches budgétaires. En effet, l’agacement de Donald Trump s’est récemment cristallisé autour des travaux de rénovation du siège de la Fed à Washington, chiffrés à 2,5 milliards de dollars par le Bureau de gestion et du budget de la Maison-Blanche. « Je n’aurais jamais imaginé qu’il allait dépenser autant pour une petite extension », a ironisé le président. « Est-ce une raison valable pour le virer ? Je pense que ça peut l’être ».

Une lettre de licenciement pour Powell

Une posture à laquelle s’ajoute une rencontre mardi 15 juillet, dans la soirée, avec des élus républicains, durant laquelle Donald Trump aurait exhibé un document présenté comme une lettre de licenciement pour Jerome Powell, selon les médias américains. Une personne au courant de la réunion a ainsi rapporté que Donald Trump semblait déterminé à se débarrasser de Jerome Powell, et qu’il était enthousiasmé par le fait que les législateurs l’aient encouragé à le licencier. « Il ne fait que caresser l’idée pour l’instant », nuance toutefois un haut responsable interrogé par la chaîne américaine CNN.

Déjà en avril dernier, l’économiste Estelle Brack, spécialiste des questions bancaires et financières, indiquait dans les colonnes de L’Express : « Mon intuition est que Donald Trump cherche à obtenir le pouvoir partout, y compris sur la Réserve fédérale. Il la perçoit comme un outil stratégique, un bras armé financier qu’il pourrait mobiliser pour intervenir dans les secteurs économiques qu’il juge prioritaires. »

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Si Donald Trump envisage réellement d’écarter Jerome Powell avant la fin de son mandat en 2026, encore faudrait-il que la manœuvre soit juridiquement possible. En principe, les présidents de la Fed sont protégés contre une révocation arbitraire. En mai 2025, la Cour suprême a d’ailleurs réaffirmé l’indépendance des agences fédérales, limitant la capacité du pouvoir exécutif à les contrôler, rappelle le New York Times. Toute tentative de destitution pourrait donc ouvrir une bataille juridique d’ampleur, voire une crise institutionnelle.

« Une onde de choc mondiale »

Au-delà du droit, c’est la stabilité économique qui pourrait vaciller. Plusieurs sénateurs républicains ont exprimé mercredi leur inquiétude. Le limogeage de Powell « serait une erreur colossale », a averti Thom Tillis, élu de Caroline du Nord. « Cela enverrait une onde de choc mondiale quant à l’indépendance de la Fed ». Et le sénateur de Louisiane John Kennedy de renchérir : « Si vous limogez le président de la Réserve fédérale, vous assisterez à un krach boursier. » De son côté, David Solomon, PDG de Goldman Sachs, a abondé dans le même sens sur CNBC, estimant que cette décision serait « très mauvaise pour les marchés ».

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Les marchés financiers n’ont pas tardé à réagir. Le dollar a brièvement chuté de 1 % face à l’euro, avant de se reprendre. Sur le marché obligataire, le rendement de l’emprunt américain à trente ans s’est soudainement tendu à 5,07 % contre 5,02 % la veille, avant de retomber légèrement. L’or, valeur refuge, a gagné du terrain (+ 0,74 %). Et les grands indices de Wall Street, eux aussi, ont piqué du nez avant de se stabiliser après les propos plus mesurés de Trump dans l’après-midi.

Pour certains observateurs, ce jeu à fronts renversés pourrait s’avérer habile : Donald Trump chercherait à maintenir Jerome Powell sous pression sans aller jusqu’à le renvoyer, pour imposer indirectement une inflexion de sa politique monétaire. Mais d’autres y voient surtout une instrumentalisation politique inquiétante de l’institution financière la plus influente de la planète.