Zapad 2025 : une bataille des chiffres
Le chiffre de 13.000 militaires participant à Zapad 2025 – avancé par le ministre russe de la Défense Andreï Beloussov – est largement remis en cause par le camp occidental. En comprenant l’ensemble des participants à l’exercice militaire, les renseignements ukrainiens estiment qu’entre 100.000 et 150.000 personnes pourraient prendre part à l’exercice, soit 10 fois plus. Ce chiffre, bien plus menaçant, est repris notamment par les services de renseignement lithuaniens et les médias polonais.
Dans un interview accordé à l’agence de presse polonaise (Polska Agencja Prasowa) l’expert de l’Institut d’Europe centrale (Instytut Europy Środkowej) Krzysztof Fedorowicz considère que les discours russes et bélarusses sur une prétendue volonté pacificatrice ne sont qu’un écran de fumée.
Il remet ainsi en question l’affirmation de Victor Khenin et Andreï Beloussov selon laquelle les exercices auraient lieu plus profondément dans le territoire bélarusse. En effet, du fait du nombre de soldats engagés, l’expert craint que les deux plus grands terrains militaires du Belarus ne soient utilisés. Il s’agirait des terrains de Brest, à deux kilomètres de la frontière polonaise, et de Grodno à la frontière lituanienne.
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Zapad 2021, un air de déjà vu…
La dernière édition de Zapad a eu lieu en septembre 2021. Après des exercices simulant une défense face à une attaque de l’OTAN dans plusieurs camps militaires russes et bélarusses, les 200.000 militaires mobilisés pour cette édition inédite sont restés mobilisés. Les unités se sont ensuite dirigées aux frontières de l’Ukraine, jusqu’au 22 février 2022 où elles ont été à l’origine de l’agression russe.
L’institut of Study of War, un think tank militaire de référence, a ainsi montré que « D’importantes formations, comprenant des éléments de la 1ʳᵉ armée de chars de la Garde, de la 20ᵉ armée interarmes, de la 6ᵉ armée interarmes de Russie, ainsi qu’environ 4 000 parachutistes (VDV) issus des 7ᵉ, 76ᵉ, 98ᵉ et 106ᵉ divisions [ont participé à Zapad 2021]. Bon nombre de ces unités sont actuellement engagées dans des opérations de combat en Ukraine. »
💡 D’autres exercices militaires en parallèle de Zapad 2025 au Belarus
En parallèle de l’exercice militaire Zapad 2025, plusieurs exercices sont prévus ou ont eu lieu à l’été 2025, aux frontières de l’OTAN.
L’OTSC (Organisation du traité de sécurité collective – [Организация Договора о коллективной безопасности – ОДКБ] ) est une union militaire regroupant la plupart des anciens membres de l’URSS. Lors d’une réunion qui se serait tenue entre le 3 et le 5 juin 2025 au Bélarus, le porte-parole du quartier général l’OTSC Vladislav Shchegrikovich [Владислав Щегрикович] a indiqué qu’un exercice militaire aurait lieu au Belarus sous le nom de “Боевое братство – 2025” qu’on peut traduire par “Fraternité de Combat – 2025”. Le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Belarus et la Russie pourraient y participer. Les manœuvres auront lieu sur les terrains d’entraînement de Lepel (Лепель) et de Losvida (Лосвидо) à 130 km des frontières lettones et lituaniennes. Les exercices pourraient se dérouler entre le 1 et le 6 septembre 2025.
Entre le 18 et le 24 juin 2025, le Belarus a organisé un grand exercice militaire impliquant jusqu’à 13.000 soldats dans la région de Brest, à seulement quelques kilomètres de la frontière polonaise. L’exercice, qui a eu lieu dans un des terrains militaires les plus grands du Belarus, a nécessité la mobilisation de conscrits.
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Qui seraient les potentielles victimes ?
Dans un contexte de montée des tensions, de nombreux pays frontaliers de la Russie et du Belarus s’inquiètent des objectifs potentiels consécutifs à Zapad 2025. En effet, tous ont en mémoire Zapad 2021 et le début de l’agression russe en Ukraine.
Cependant, les objectifs poursuivis par la Russie peuvent être de plusieurs formes en lançant Zapad 2025 :
L’universitaire et expert militaire Krzysztof Federowicz considère que d’une part, la Russie pourrait utiliser Zapad 2025 comme une rampe de lancement d’une nouvelle offensive militaire, comme en 2022.
D’autre part, Krzysztof Fedorowicz évoque une possible volonté russe de faire de Minsk une place diplomatique. En effet, les deux premiers accords Minsk I et Minsk II, signés dans le cadre des tensions entre Ukrainiens loyalistes et séparatistes dans les oblasts du Donbass et de Lugansk en 2014 et 2015, avaient mis le Belarus à l’honneur. Ici, la Russie pourrait souhaiter un Minsk III.
Les pays baltes, victime idéale entre minorités russophones et corridor de Suwałki ?
Les trois États baltes, frontaliers de la Russie et aux marges de l’OTAN, craignent une invasion russe à court ou moyen terme.
La Lituanie, particulièrement, redoute une tentative russe d’occupation du corridor de Suwałki, petite bande de 60 km de long séparant l’enclave russe de Kaliningrad du Belarus.
Particulièrement, les trois pays regroupant une minorité russophone importante (5% en Lituanie, 38% en Lettonie et 28% en Estonie) craignent une instrumentalisation de ces populations. La Russie a en effet souvent joué de ses minorités russophones comme prélude à une invasion : ce fut le cas en Ukraine dans les oblasts du Donbass et de Lugansk, mais aussi en Moldavie avec la région de Transnistrie, ou en Géorgie avec l’Ossétie du Sud.
Cependant, le Premier ministre lituanien Gintautas Paluckas a déclaré le 3 juin 2025 que Zapad 2025 ne devrait pas poser de menace supplémentaire – le niveau d’alerte en Lituanie est déjà très élevé.
D’après l’homme d’État, il n’y aurait ainsi pas de preuve que la Russie ou le Belarus voudraient attaquer l’OTAN en septembre 2025, relativisant les craintes ukrainiennes à cet égard.
💡 La Lituanie sur le pied de guerre
La Lituanie est un des États européens le plus menacés par la Russie. En témoigne la présentation fin avril 2025 par la mairie de Vilnius – la capitale – d’un plan d’évacuation des 600.000 habitants en 2 ou 3 jours en cas d’invasion.
Le service militaire obligatoire masculin, rétabli en 2015 après une interruption en 2008, témoigne aussi du retour de la guerre comme perspective concrète. Une “ligne de défense balte” est par ailleurs en construction dans les trois États baltes. Les fortifications comprennent des dents de dragons antichars, des mines antipersonnel ainsi que des bunkers souterrains.
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L’Ukraine craint une attaque au nord
Dans le contexte de guerre et d’invasion russe en Ukraine, le pays s’attend à de nouvelles offensives. Ces craintes sont renforcées par l’arrêt des livraisons d’armes anti-aériennes – missiles Patriots – par les États-Unis, traduisant un désengagement américain datant de l’investiture du président Donald Trump.
L’Ukraine craint donc une offensive venant du nord, depuis le Belarus ou la Russie, depuis par exemple la région de Tchernihiv.
Cependant, les observateurs ukrainiens nuancent cette menace. 24tv par exemple rapporte que la Russie peine aujourd’hui à remplir ses objectifs d’effectifs engagés dans ses manœuvres militaires en Ukraine : entre 530.000 et 575.000 soldats se trouvaient sur le terrain, bien en deçà de l’objectif russe de 800.000 soldats.
Ainsi, Dmytro Zhmaylo, directeur exécutif du Centre ukrainien pour la sécurité et la coopération, met même en doute la capacité russe à mobiliser 100.000 à 150.000 soldats, apportant du crédit au chiffre avancé par le ministre russe de la défense Andreï Beloussov.
💡 Zapad 2023, une tentative avortée
En 2023, une édition de Zapad aurait dû avoir lieu, respectant le calendrier prévu par la Russie et le Belarus. Cependant, du fait des activités militaires russes en Ukraine, et des moyens humains et matériels importants engagés, Zapad 2023 a dû être annulé quelques mois avant la date prévue.
La Russie ne s’étant pas désengagée en Ukraine, les contraintes matérielles et humaines restent les mêmes. Ainsi, des observateurs ukrainiens estiment que la Russie pourrait faire peser l’exercice militaire Zapad 2025 sur les épaules du Belarus avant tout, le poussant à mobiliser sa population.
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En Pologne, des provocations à prévoir
Sans craindre une invasion sur son sol, la Pologne s’attend à des provocations pendant la durée de l’exercice militaire Zapad 2025. Ce type d’intimidation est courant, de la part de la Russie. Ainsi, des avions ou drones franchissent souvent l’espace aérien polonais depuis Kaliningrad par exemple. D’après le tabloïd allemand Bild, il y aurait déjà eu 9 incursions russes de ce type en Pologne depuis le début de l’année 2025.
Le 18 juin 2025, le président polonais Andrzej Duda s’est exprimé au sommet de l’OTAN sur Zapad 2025. Devant les autres membres de l’alliance, il a affirmé ses craintes quant à l’exercice militaire aux frontières orientales de la Pologne. Le président polonais a aussi réaffirmé la puissance militaire montante de la Pologne, indiquant que l’objectif de 5% du PIB consacré au domaine militaire était déjà largement rempli par la Pologne.
« Aujourd’hui, nous devons démontrer clairement notre détermination, notre force, notre ténacité, notre détermination et notre volonté de défendre notre territoire »
(DUDA, 25 juin, La Haye)
« Dzisiaj trzeba bardzo wyraźnie pokazywać naszą gotowość, naszą siłę, to, że my nie lekceważymy, jesteśmy twardzi i że my tutaj stajemy i jesteśmy gotowi do obrony naszego terytorium »
💡 Un exercice polonais en réponse à Zapad 2025
Dans ce contexte, face à une menace russe croissante, la Polgone a décidé d’apporter une réponse ferme face à Zapad 2025. Le 26 mai 2025, le ministre de la défense Władysław Kosiniak-Kamysz a annoncé la réalisation d’un exercice militaire impliquant plusieurs milliers de soldats.
Cet exercice aura lieu en septembre 2025, pendant les manœuvres de Zapad 2025 à la frontière polonaise. Organisé de manière conjointe avec l’OTAN, l’exercice mobiliserait la 18e division mécanisée, surnommée “division de fer” („Żelazną Dywizją”) ainsi que la plupart des unités à l’est de Varsovie.
Lors du sommet de l’OTAN à La Haye entre le 18 et le 26 juin 2025, Andrzej Duda a affirmé la tenue de l’exercice et a précisé que, même en cas de réduction des effectifs de Zapad 2025, l’exercice polonais serait maintenu, dans les mêmes conditions.
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Le Belarus, arroseur arrosé ?
Le Belarus pourrait être bien embarrassé par les manœuvres russes sur son territoire. En effet, depuis 2022, le pays de Aleksandr Loukachenko a toujours essayé de rester en retrait du conflit en Ukraine – l’exemple de l’occupation d’une partie de la région russe de Koursk par l’Ukraine ayant montré les désavantages d’un engagement militaire. Le président du Belarus, déjà impopulaire du fait d’une inflation record, n’aurait rien à gagner à un engagement forcé par la Russie.
D’autre part, le Belarus est en pleine période de rapprochement avec la Chine économiquement et militairement. Dans ce contexte, la Russie pourrait, en mettant le Belarus sous pression, essayer de faire rentrer le pays dans son giron.
Dans ce contexte, des provocations russes contre des pays de l’OTAN pourraient être défavorables au Belarus.
Exercice militaire Zapad 2025, points de vue croisés : russes et bélarusses 1/2
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