Une sculpture qui disparaît, de mystérieuses bottes gravissant un escalier, une carcasse rouillée de femme enceinte émergeant des pavés… Par le biais de surgissements incongrus, au diapason du thème consacré à l’étrange, les artistes de cette édition du Voyage à Nantes introduisent de la poésie et de la surprise dans la ville.

Qui dit « étrange » dit souvent inquiétant, dérangeant, interpellant. La porte ouverte à des réflexions fécondes. Dans un contexte mondial anxiogène, où les problèmes sociaux accompagnent une montée des guerres et la résurgence du fascisme, plusieurs artistes en ont profité (sans renoncer à l’espoir et à l’évasion) pour faire passer des messages politiques percutants. Morceaux choisis !

À lire aussi :
5 galeries à connaître à Nantes

La plus illusionniste : Antipodos d’Iván Argote

Iván Argote, « Antipodos » à la place Foch de Nantes

Iván Argote, « Antipodos » à la place Foch de Nantes, 2025

i

© Philippe Piron / © Iván Argote – ADAGP / © LVAN

Cet étrange personnage en bronze, qui marche perpendiculairement au sol sur le flanc du monument de la place Maréchal-Foch, est-il en train de gravir la colonne pour la conquérir, ou au contraire de quitter ce piédestal ? Quoiqu’il en soit, la statue représentant Louis XVI qui se trouvait à son sommet s’est volatilisée ! En habile prestidigitateur, l’artiste Iván Argote l’a fait momentanément disparaître grâce à un dispositif ingénieux : un caisson recouvert d’un film à effet miroir, dans lequel se reflète le ciel environnant pour un effet caméléon.

Le Colombien nous rappelle que cet occupant historique n’a pas toujours fait consensus : l’installation de cette statue de Louis XVI, prévue au sommet de cette colonne érigée en pleine Révolution française, avait été abandonnée, laissant le monument vide durant 33 ans. Après sa mise en place en 1823, sa présence avait été plusieurs fois contestée. Antipodos réinterroge ainsi l’évidence, la pertinence et l’immuabilité des symboles qui nous entourent dans l’espace public. Une alternative douce et poétique au déboulonnage !

À lire aussi :
« Les Extatiques #3 » : rencontre avec Fabrice Hyber, Felice Varini et Iván Argote

La plus colossale : Mothership de Prune Nourry

Prune Nourry, « Mothership » à la place Graslin de Nantes

Prune Nourry, « Mothership » à la place Graslin de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Les uns détestent, les autres adorent. Comme souvent avec les œuvres monumentales qui envahissent le décor classique de la place Graslin, Mothership divise l’opinion. Une curieuse élégance se dégage des lignes de ce squelette en acier Corten (métal qui s’oxyde très rapidement) de 17 mètres de long évoquant une carcasse de bateau sur un chantier naval. Projetant sur le sol de grandes ombres graphiques sous le soleil estival, l’œuvre de l’artiste Prune Nourry peut à première vue paraître abstraite…

Avant qu’on y reconnaisse la silhouette d’une femme enceinte géante, dont le ventre, la poitrine et les jambes écartées émergent partiellement du pavé. Dérivée d’une photographie d’une future mère posant à moitié immergée dans une piscine remplie de lait, la sculpture est une nouvelle variante d’un motif souvent repris par l’artiste ces dix dernières années. Comme une hybridation entre l’araignée de Louise Bourgeois (Maman), la Nana allongée de Niki de Saint Phalle (Elle – une cathédrale) et une Origine du Monde en trois dimensions, l’œuvre évoque l’étrangeté de la maternité, à la fois familière et baignée de mystère…

À lire aussi :
Les Vénus de Prune Nourry pour la gare de Saint-Denis-Pleyel sortent de terre (et c’est magnifique) !

La plus politique : Le Bruit des bottes de Romain Weintzem

Romain Weintzem, « Le bruit des bottes » aux escaliers de l’Hermitage de Nantes

Romain Weintzem, « Le bruit des bottes » aux escaliers de l’Hermitage de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Des bottes sombres en résine gravissent en file indienne l’escalier de l’Hermitage. Pas de corps, ce qui renforce leur côté impersonnel et inquiétant : leur détermination militaire sert de toute évidence un but sinistre… Cette vision percutante, qui renvoie immédiatement à l’actualité mondiale anxiogène, porte bien son nom : Le Bruit des bottes. « J’ai voulu faire une œuvre coup de poing, avec un message simple et évident, qui soit compréhensible par tous », explique l’artiste Romain Weintzem. « L’œuvre symbolise la montée du fascisme, les fantômes du passé qui reviennent. Tout en haut, des chaussures de clown rouges apportent une touche de légèreté, pour contrebalancer ce côté sombre ». Mais nous sommes libres de l’interpréter à notre guise : si les uns voient dans ces godillots écarlates l’incarnation d’un résistant venu désamorcer le drame par le rire, les autres y voient un politicien « clownesque » à la Trump, suivi par ses (tristement sérieux et réels) exécutants…

L’artiste Romain Weintzem présente également une autre œuvre aux abords du lycée Clémenceau, La Mauvaise Troupe, en référence à une revue espiègle, surréaliste et antimilitariste publiée en 1913 par un groupe d’élèves de l’établissement dont faisait partie Jacques Vaché, peu avant l’entrée de l’Europe dans la Grande Guerre.

La plus nantaise : Latest Version de Willem de Haan

Willem De Haan, « Latest Version » à la place royale de Nantes

Willem De Haan, « Latest Version » à la place royale de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Si elle n’est pas la plus esthétique du parcours, cette œuvre est sans doute la plus touchante pour les habitants de Nantes, auxquels elle rend directement hommage. Profitant du retrait pour restauration des 14 statues du XIXe siècle qui ornaient la fontaine de la place Royale – six allégories de la Loire et de ses affluents, et huit évoquant les activités clés de la ville, présentées à deux pas dans des caisses en attendant leur remise en beauté qui démarrera en septembre –, le jeune artiste néerlandais Willem de Haan les a remplacées par des réinterprétations contemporaines : des représentations hyperréalistes en résine de vrais habitants de la ville, réalisées grâce à des moulages et des scans 3D, habillées et accessoirisées.

Un vigneron, un pêcheur, une ouvrière de l’usine Airbus locale… Chacun représente un métier souvent invisibilisé, mais crucial pour la cité. Le plus émouvant : un livreur Uber absent, représenté par un simple sac de livraison en papier. Car les candidats qui s’étaient présentés pour servir de modèles se sont finalement tous désistés par crainte, eu égard à leur situation précaire et clandestine. Une évocation poignante des travailleurs les plus fragiles.

La plus connectée : L’Absurdistan de Gloria Friedmann

Gloria Friedmann, « L’Absurdistan » dans la cour de l’hôtel de Briord de Nantes

Gloria Friedmann, « L’Absurdistan » dans la cour de l’hôtel de Briord de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Un drôle d’embrouillamini a pris place dans la cour de l’hôtel de Châteaubriant ! Tel un inquiétant totem d’art brut, un grand personnage fait de fils électriques, souris d’ordinateur, cartes-mères et autres éléments électroniques entremêlés, semble tenir en laisse des personnages réalistes en résine et poudre de fer – des femmes, des hommes et des enfants, moulés sur des membres de l’entourage de l’artiste, l’Allemande Gloria Friedmann (née en 1950) –, qui se retrouvent enchevêtrés dans ces câbles, comme pris au piège. Une façon très parlante d’exprimer notre dépendance actuelle aux technologies, à ce monde qui nous demande d’être sans cesse plus connectés, produisant au passage quantité de déchets, qui ressurgissent ici pour nous hanter… L’œuvre est complétée par une excellente exposition gratuite de la même artiste à la HAB Galerie, « Combien de terres faut-il à l’homme ? » – une réflexion existentialiste sur la folie des humains, qui passent leur courte vie sur Terre à se faire la guerre…

À lire aussi :
Le Voyage à Nantes en 100 secondes chrono

Mais aussiLa plus délirante

Éléonore Saintagnan, Exposition « Vies de bêtes » au passage Sainte Croix de Nantes

Éléonore Saintagnan, Exposition « Vies de bêtes » au passage Sainte Croix de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Vies de bêtes d’Éléonore Saintagnan, au passage Sainte-Croix. Une exposition qui, alliant deux marionnettes géantes et deux petits films, narre l’histoire d’animaux surréalistes, dont un hilarant perroquet vert et son fan-club de nonnes.

La plus colorée

Flora Moscovici, « Peinture Tolérance Toujours » dans le bâtiment des PTT de Nantes

Flora Moscovici, « Peinture Tolérance Toujours » dans le bâtiment des PTT de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Peinture Tolérance Toujours de Flora Moscovici, rue de l’Héronnière. Au sol, dans cette rue en pente où court un escalier, l’artiste a coloré de grands carrés de ciment pour rendre hommage à la palette des mosaïques Art déco du bâtiment des PTT voisin, tout en évoquant discrètement des films du réalisateur Jacques Demy.

La plus ludique

Aurélie Ferruel Et Florentine Guédon, « Bras Dessus, Bras Dessous » au parc des Oblates de Nantes

Aurélie Ferruel Et Florentine Guédon, « Bras Dessus, Bras Dessous » au parc des Oblates de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Bras dessus, bras dessous d’Aurélie Ferruel et Florentine Guédon, dans le parc des Oblates. Un jeu d’échecs géant composé de lourdes pièces en bois de séquoia sculpté inspirées des formes de la nature, avec lesquelles le public est invité à jouer sur un plateau en céramique.

La plus nature

Laurent Tixador, « Épilogue Sylvestre » au parc de Procé de Nantes

Laurent Tixador, « Épilogue Sylvestre » au parc de Procé de Nantes, 2025

i

© Philippe Piron / © LVAN

Épilogue sylvestre de Laurent Tixador, dans le parc de Procé. Un tramway à l’échelle 1 fabriqué avec des morceaux de bois en collaboration avec des étudiants nantais. Reproduite en photo sur un adhésif, l’œuvre habille également le vrai tramway qui circule dans la ville.

La plus hantée

Jenna Kaës, « Aurarium » au dispensaire Jean V de Nantes

Jenna Kaës, « Aurarium » au dispensaire Jean V de Nantes, 2025

i

© Martin Argyroglo / © LVAN

Aurarium de Jenna Kaës, au dispensaire Jean-V (face au musée Dobrée). Un espace réinvesti façon cabinet de curiosités par la designeuse qui, en s’inspirant des démons qui hantent cet ancien sanatorium pour tuberculeux de 1904, a notamment créé pour l’occasion un lustre orné de chauves-souris en métal et verre soufflé d’inspiration Art nouveau.

Arrow

Le Voyage à Nantes, « L’Étrange été »

Du 28 juin au 31 août 2025

Plus d’informations sur le site du Voyage à Nantes

Arrow

Hokusai (1760-1849), chefs-d’œuvre du musée Hokusai-kan d’Obuse

Du 28 juin 2025 au 7 septembre 2025

www.chateaunantes.fr

Arrow

Electric Op. De l’art optique à l’art numérique

Du 4 avril 2025 au 31 août 2025

museedartsdenantes.nantesmetropole.fr

Arrow

Jean Prouvé, un patrimoine au service de l’architecture de demain

Du 28 juin 2025 au 21 décembre 2025

www.ma-paysdelaloire.com

Arrow

Jeanne Vicerial & Claire Marin. In Silentio

Du 20 juin 2025 au 31 août 2025

www.lelieuunique.com