On a appris par le maire de la ville de Bourges, Yann Galut lui-même, très fier, sur son compte Facebook (ill. 1), que « La statue de Jacques Cœur retrouve son lustre », que cette « très belle statue nécessitait un nettoyage délicat », et que c’était désormais « chose faite » grâce à ses agents. Il ajoutait que les « procédures [d’entretien du patrimoine] peuvent être longues en raison du classement […] du Centre-ville ».
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- 1. Le maire de Bourges est très fier de nettoyer une sculpture
protégée monument historique, et il le dit sur Facebook… - Voir l´image dans sa page
Nous aimerions savoir de quelles procédures parle le maire. Passons sur le qualificatif « classement du Centre-ville » qui ne correspond à rien dans le code du patrimoine. Le centre-ville de Bourges bénéficie d’un site patrimonial remarquable, il n’est pas « classé » car on ne classe pas une ville, on classe des monuments ou des œuvres d’art. Et à ce titre, la statue de Jacques Cœur, due à l’un des plus grands sculpteurs romantiques français, Auguste Préault, si elle n’est pas classée (on se demande pourquoi, nouvelle preuve de la sous-protection du patrimoine français), est au moins inscrite.
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- 2. Nettoyage « délicat » de la sculpture d’Auguste Préault,
à Bourges, à coup d’eau sous pression
Photo : La Tribune de l’Art - Voir l´image dans sa page
Et un maire d’une ville d’art et d’histoire, bientôt capitale européenne de la Culture (nous y reviendrons), devrait savoir qu’on ne fait pas de travaux sur un monument historique inscrit sans une « autorisation préalable de l’autorité administrative compétente de l’État », et sans que ces travaux soient « exécutés sous le contrôle scientifique et technique des services de l’État chargés des monuments historiques ».
Compte tenu des photos qui ont circulé sur les réseaux sociaux et de celle que nous avons pu nous procurer (ill. 2), il était possible de s’interroger sur le « nettoyage délicat » dont a bénéficié, ou plutôt qu’a subi, la sculpture. On y voit en effet qu’elle a été nettoyée à haute pression par des agents municipaux, sans connaissance des techniques de restauration.
Interrogé à plusieurs reprises, par des mails et sur son site Facebook, le maire n’a pas daigné répondre à nos questions. La Direction régionale des affaires culturelles, en revanche, l’a fait. Elle a manifestement découvert ces travaux grâce à nous, et nous a confirmé qu’aucune autorisation n’avait été demandée et qu’elle « adressera prochainement un courrier à la Ville de Bourges afin de lui rappeler la réglementation en vigueur dans ce domaine et de souligner l’importance de nous consulter impérativement pour toute intervention relative à la restauration d’une œuvre inscrite monument historique ».
On imagine que le maire est terrorisé… Nous avons rappelé la DRAC pour nous étonner qu’une évaluation des dégâts éventuels ne soit pas réalisée, pour une intervention clairement illégale et qui a pu détériorer l’œuvre. On nous a répondu que cela serait fait.
On sait bien, hélas, que même si des dégâts ont été provoqués par ce nettoyage brutal, il n’y aura aucune conséquence pour la municipalité. Rappelons pourtant que le code pénal prévoit que « la destruction, la dégradation ou la détérioration est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende lorsqu’elle porte sur un immeuble ou objet mobilier classé ou inscrit en application des dispositions du code du patrimoine ».
Même si nul n’est censé ignorer la loi, certains prétexteront peut-être que le maire de Bourges voulait bien faire, que ce n’est pas si grave… Cela est, en réalité, d’autant plus grave, que cette ville montre un mépris constant pour son patrimoine.
Nous ne prendrons ici que quelques exemples et renverrons vers les articles publiés ici même et sur le site Sites & Monuments :
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- 3. Voilà comment la capitale européenne de la Culture en 2028 traite
son patrimoine en 2024 (ici, le monastère du Bon Pasteur)
Photo : Sites & Monuments - Voir l´image dans sa page
– destruction du Monastère du Bon Pasteur, lire cet article ;
– destruction programmée d’un îlot au sein du secteur sauvegardé pour « ouvrir l’espace sur la cathédrale », ignorant que le charme d’une cité d’origine médiévale est justement la densité des constructions autour des cathédrales, permettant de la découvrir soudainement en arrivant à proximité ; nous avions publié cet article, et il est possible d’en lire plus sur le site de Sites & Monuments ;
– destruction programmée de ses deux cités-jardins Art déco sous prétexte de danger imminent d’écroulement, basé sur un seul diagnostic et que conteste formellement l’association Sites & Monuments, qui estime qu’une restauration est parfaitement possible ; l’une d’entre elles, celle de l’aéroport, bénéficie, si l’on ose dire, pourtant du label « architecture contemporaine remarquable ». Nous renvoyons à cet article de Sites & Monuments.
La vision du patrimoine de la ville de Bourges, c’est la ville de Bourges, avec son spectacle de son et lumière intitulé Les Nuits Lumière, qui en témoigne le mieux : un effet spécial montre en effet le palais Jacques-Cœur… s’écroulant (voir ci-dessous). Certes, cette animation date du mandat du précédent maire, Pascal Blanc. Mais elle s’avère symbolique.
Ajoutons à ces quelques affaires, et nous ne sommes pas exhaustifs, la fermeture de trois musées municipaux sur cinq [1], rien que cela, afin de les rendre « plus inclusifs, plus ouverts sur le territoire et répondant aux nouvelles attentes des publics et aux enjeux sociaux et environnementaux ». Tout un programme, donc.
« Plus ouverts sur le territoire », cela se traduit néanmoins par « fermés ». Et parmi eux, le Musée du Berry, musée des Beaux-Arts, qui contient de nombreux chefs-d’œuvre, et qui a clôt ses portes en juin 2021, n’a sa réouverture prévue qu’en 2030, au mieux.
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- 4. Quel dommage que la cathédrale de Bourges gâche ce beau lettrage monumental !
Photo : Sites & Monuments - Voir l´image dans sa page
Le plus ahurissant dans tout cela est que Bourges a été désignée pour être, en 2028, « capitale européenne de la Culture », comme le proclame fièrement un magnifique « lettrage monumental [2] » dont la beauté est malheureusement gâchée à l’arrière par la cathédrale… Un titre totalement usurpé, qui déconsidère ce label européen inventé en leur temps par Jack Lang et Melina Mercouri.
Parmi les critères de ce choix, on trouve : « la force de la vision culturelle, la qualité des activités proposées et l’implication du tissu culturel local ». Manifestement, pour le jury qui a choisi Bourges, le patrimoine et les musées ne font pas partie de la « vision culturelle ».