« S’ils sont en prison, ils l’ont mérité, on ne va pas les plaindre. » Cette manière de penser revient souvent lorsqu’on évoque les conditions de détention des détenus, notamment en période de forte chaleur. Pour autant, un prisonnier est avant tout un être humain.
Les fortes chaleurs, et la surpopulation carcérale forment un cocktail explosif. Comme le souligne Roland Veuillet, ancien gilet jaune incarcéré pendant plusieurs mois à la prison de Nîmes car accusé d’être l’auteur de plusieurs infractions envers les forces de l’ordre, dans un communiqué transmis à notre rédaction : « Est-il normal de leur imposer des conditions de vie indignes? Les prisons sont toutes surpeuplées: parfois quatre personnes sont confinées dans des cellules de 9m2. Cette promiscuité est un véritable cachot moderne, où la plupart des détenus passent 23h/24. Ce n’est pas une punition, c’est de la torture. Ajoutons qu’en été, c’est un véritable calvaire avec des températures qui atteignent les 40 degrés sans courants d’air. Oui, le détenu est un être humain, et lorsqu’il est incarcéré, il a le droit à la dignité. »
« Aucune mesure n’est mise en place »
À la prison de Toulon – La Farlède, la chaleur rend le quotidien carcéral encore plus difficile à supporter. Pour les détenus, mais aussi pour leurs familles. Comme pour cette mère, qui rend visite depuis six ans à son fils.
« Un parloir n’est pas quelque chose d’agréable à vivre. Mais avec la chaleur, c’est horrible. On a le droit à rien, ni éventail, ni brumisateur, il n’y a pas de clim, pas d’air. C’est dur mais c’est mon fils, donc je ne laisse rien paraître devant lui », raconte celle qui se rend chaque semaine au centre pénitentiaire de Toulon pour voir son fils, condamné à vingt ans de prison. « Il me raconte que même en laissant la fenêtre de sa cellule ouverte, il étouffe. Rien n’est adapté lorsqu’il fait trop chaud », affirme-t-elle.
« ça fait six ans que moi aussi, je suis en prison. Quand ça vous tombe dessus, vous perdez pied. On nous traite comme si nous étions coupables nous aussi. Mais coupable de quoi, à part de voir nos vies s’effondrer? «
Pour les avocats aussi, la qualité des entrevues avec leurs clients se trouve impactée par les fortes températures.
» Au centre pénitentiaire de Toulon – La Farlède, tout comme à la maison d’arrêt de Draguignan, les détenus se plaignent énormément de la chaleur. Lors des parloirs avec mes clients, c’est inconfortable au possible. La clim est bien présente dans les bureaux de l’administration pénitentiaire, mais les détenus, eux, n’ont droit à rien! », fustige Me Latapie, avocat au barreau de Draguignan.
Des constructions « inadaptées »
Incarcéré à La Farlède, Mathieu (1) décrit un quotidien carcéral rythmé par la surpopulation, et la fournaise. « Nous sommes 3 dans une cellule de 9m2. On y est enfermés 22h sur 24, sans aucune activité l’été. Sans exagérer, il fait 50 degrés. Il n’y a pas d’isolation, les cours de promenades ne sont pas abritées du soleil Il y a aussi souvent des problèmes d’électricité, ce qui fait que le petit frigo ne marche pas tout le temps. En ce moment, c’est vraiment l’enfer. Il arrive souvent que des détenus fassent des malaises, on ne supporte pas tous la chaleur de la même façon. «
Le détenu affirme également que l’administration « ne distribue rien »: « Si vous avez de l’argent, vous pouvez acheter un ventilateur. Mais rien n’est gratuit! »
Jean Rouvière Coscia, président de la section du Var de l’Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice (ANVP) connaît bien le milieu carcéral. Il se rend souvent en détention pour « apporter un peu de chaleur aux personnes incarcérées « . Une démarche humaniste, visant à « créer du lien, à redonner espoir à ceux qui en ont le plus besoin et à lutter contre la récidive ».
« Les prisons sont des cubes de bétons. Ce sont des constructions qui ne sont pas conçues pour les grosses chaleurs. L’été, c’est très pénalisant, car l’enseignement scolaire et les activités socioculturelles s’arrêtent, ce qui réduit leur temps passé hors cellule. »
« Qui peut respirer dans ces conditions? »
Le visiteur de prison décrit une atmosphère, déjà tendue, qui s’accentue en période caniculaire: « Avec la chaleur, les relations conflictuelles ne font que s’accentuer. Quand plusieurs détenus sont entassés dans la même cellule et qu’il fait chaud, il y a forcément des tensions. Qui peut respirer dans ces conditions? », détaille Jean Rouvière Coscia. En milieu carcéral, les maux de la société extérieure se retrouvent exacerbés. »
Et ces conditions affectent aussi le personnel. « La population pénale mais aussi l’administration pénitentiaire subissent les conséquences de la chaleur de plein fouet. Quand il fait plus de 45 degrés dans les coursives, les membres du personnel en souffrent aussi, le problème est général. Malgré ces conditions qui sont difficiles et à la limite de l’acceptable, les employés se retrouvent à devoir gérer à bout de bras des flux de détenus qui ne sont pas adaptés à ces structures. »
Comment les prisons tentent de s’adapter
Consciente du problème, la Chancellerie reconnaît que » les établissements pénitentiaires sont structurellement vulnérables aux canicules, en raison de leur conception souvent ancienne, de l’absence de climatisation et de la promiscuité ». Elle détaille ainsi une série de mesures mises en place, telle que « l’aménagement des horaires de travail pour les personnels et des activités pour les détenus », « la mise à disposition d’eau fraîche en continu », « la distribution de ventilateurs ou de brumisateurs portatifs « , ou encore un » suivi renforcé des incidents médicaux liés à la chaleur « .
Les prisons de Draguignan et de La Farlède complètent en expliquant, qu’en période de canicule, une « adaptation à la saison des repas distribués par l’administration pénitentiaire » est mise en place, ainsi qu’un « décalage des horaires de promenades et séances de sport en début de matinée et en fin d’après-midi dans la mesure du possible » et qu’une « prise en charge renforcée des publics spécifiques est assurée notamment en lien avec les médecins et infirmiers des unités sanitaires ».
Il n’en est pas moins vrai que les chaleurs estivales agissent comme un facteur de tension supplémentaire, dans un environnement déjà sous pression.
1. Le prénom a été changé.