C’est l’un des livres les plus tabous de la période contemporaine. Mein Kampf, le livre dans lequel Adolf Hitler expose sa « vision du monde » et son idéologie empreinte de haine, de racisme, d’antisémitisme et de nationalisme, a été publié pour la première fois le 18 juillet 1925. Cent ans après, l’ouvrage suscite toujours de vives réactions et controverses, certains appelant à son retrait des rayons, d’autres soulignant son importance historique. Quoi qu’il en soit, il ne laisse pas indifférent, et heureusement.
Contrairement à la croyance répandue, Mein Kampf n’a donc jamais été interdit à la vente en France pour l’idéologie qu’il véhiculait. Jusqu’en 2016, année où il est entré dans le domaine public, une seule édition était en circulation en France : une traduction non autorisée parue en 1934 aux Nouvelles éditions latines, attaquée en justice par Hitler et les ayants droit de l’ouvrage original, le ministère des Finances bavarois. Si aucune autre édition n’a circulé, c’est donc avant tout car le ce dernier refusait toute nouvelle édition, même critique.
Un livre massivement en circulation
La seule mesure prise en France a été « l’introduction d’un avant-propos d’une dizaine de pages mettant en garde le lecteur contre les dangers de l’idéologie hitlérienne » en 1978, précise Florent Brayard, historien, directeur de recherche au CNRS, membre du Centre de recherches historiques de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales). Celle-ci faisait suite à une action en justice de Serge Klarsfeld entre autres. L’ouvrage était pour le reste « vendu légalement et on pouvait le commander en librairie », poursuit-il.
Depuis 2016 et son entrée dans le domaine public, Mein Kampf a été réédité en France et est disponible sur les grandes plateformes de vente, au milieu des autres livres. Florent Brayard rappelle aussi « qu’il suffit de trois clics sur Internet pour télécharger une version PDF ». De ce fait, l’ouvrage « est massivement en circulation partout dans le monde depuis les années 1990 ».
Un livre « qui fait partie de notre passé »
C’est ce qui a conduit l’historien à participer à l’élaboration du livre Historiciser le mal (éd. Fayard, 2021), une version de Mein Kampf présentant analyse critique, mise en contexte et déconstruction ligne par ligne de l’ouvrage de Hitler. « Puisque Mein Kampf est déjà en circulation, autant faire en sorte que ce soit dans une bonne édition, c’est-à-dire une édition critique », justifie le spécialiste. Bien loin de l’édition d’origine, qui s’est vendue à plus de 12 millions d’exemplaires entre 1925 et 1945 en Allemagne.
D’autant que ce livre « est une source fondamentale pour l’Histoire, appuie Florent Brayard. Le nazisme a été la pire expérience du XXe siècle, la plus criminelle et la plus barbare, et Mein Kampf permet de mieux comprendre le mystère de l’évolution de cette société criminelle. » Insistant bien sur le fait que cet ouvrage soit « ennuyeux, raciste » et « [promeuve] une idéologie nauséabonde », l’historien rappelle qu’il « fait partie de notre passé, et on ne peut pas sélectionner ce qu’on souhaiterait mettre en avant dans notre passé, ni faire comme si Mein Kampf n’a pas existé ».
Un ouvrage « d’actualité »
Et si l’ouvrage fait toujours parler de lui, c’est parce que « les ignominies antisémites qu’on y trouve sont toujours aussi révoltantes aujourd’hui qu’il y a cent ans, pointe l’historien. Si une autre personne reprenait aujourd’hui en son nom les horreurs que Hitler peut dire sur les juifs, les Polonais, les Tsiganes etc., il serait condamné, et ce serait juste ».
C’est pour cette raison que le livre du dictateur n’est pas près de tomber dans les oubliettes de l’Histoire : « Je pense qu’il s’écoulera encore des siècles avant qu’on oublie la Shoah, et tant qu’on se souvient de la Shoah, Mein Kampf est un livre d’actualité », prévoit Florent Brayard. Un ouvrage d’autant plus d’actualité que les manœuvres politiques en vogue actuellement dans le monde – l’historien cite notamment les Etats-Unis –, en premier lieu « l’usage massif du mensonge » et la rhétorique « de l’élection volée », sont « la preuve qu’on ne peut malheureusement pas refermer le passé et se dire qu’on s’en fiche parce que c’était il y a un siècle », avertit Florent Brayard.