Quand on a vu Jhonatan Narvaez mettre une mine comme s’il lançait un sprint sur du plat dès le pied de la montée finale vers Hautacam, jeudi lors de la 12e étape du Tour de France, on a compris. Ainsi mis sur orbite, Tadej Pogacar n’a pas hésité à poursuivre l’effort de son équipier pour mettre sous pression Jonas Vingegaard, qui a tenu très exactement 20 secondes dans sa roue avant de lâcher la rampe. Voilà comment le Slovène s’est retrouvé seul, lancé dans un effort surhumain alors qu’il restait… 11 kilomètres de montée.
Juste derrière Bjarne Riise
« Quand Tadej est passé devant moi, j’ai éternué tellement il m’a enrhumé, a ironisé à l’arrivée Bruno Armirail, le dernier rescapé de l’échappée du jour, qui avait entamé la montée seul en tête. Il est deux jambes au-dessus des autres. » Au sommet de ce premier col hors catégorie du Tour, Pogi a en effet creusé un gouffre avec la concurrence : 2’10 sur son grand rival danois, 2’23 sur Florian Lipowitz, plus de trois minutes sur le reste du monde.
Et un temps d’ascension monstrueux. Qu’il soit de 35’21 comme certains l’ont calculé à partir de la bannière du début d’ascension, ou de 35’07 comme l’affirment d’autres observateurs, il est tout là-haut dans le top 5 de l’histoire d’Hautacam, au milieu des grands noms de l’époque EPO, la référence Bjarne « monsieur 60 % » Riis en tête.
Le top 10 historique de l’ascension du col d’Hautacam. - Capture d’écran
De quoi nourrir encore un peu plus la suspicion, bien sûr. De toute façon, la domination de Tadej Pogacar interroge depuis son avènement en 2020 à La Planche des Belles filles, où il avait écrabouillé Roglic pour remporter son premier Tour à la surprise générale. Des questions suscitées par ses performances hors normes, et par les dirigeants de son équipe UAE au passé douteux, le grand manitou Mauro Gianetti en tête. Le maillot jaune s’est habitué à tout ça.
« Je me sens au pic de ma carrière »
« Il y aura toujours des doutes, avait-il balayé l’an dernier après avoir remporté sa troisième Grande Boucle. Le cyclisme a été tellement abîmé dans le passé, avant notre époque. Gagner suscite toujours de la jalousie. Mais le cyclisme est l’un des sports des plus propres qui soient, à cause justement de ce qui s’est passé. Moi je dis que prendre quelque chose qui puisse mettre en péril votre santé, votre cœur, n’en vaut pas la chandelle. C’est super stupide. »
L’argumentaire du nouveau cannibale du cyclisme pour expliquer sa forme est toujours le même : les progrès immenses dans le matériel et la nutrition, l’entraînement toujours plus poussé, rigoureux et individualisé. Et, en ce qui le concerne, une sorte d’état de grâce dont il profite à plein. « Je vis un conte de fées depuis deux ans, a raconté le Slovène jeudi à l’arrivée. Je roule avec le maillot arc-en-ciel sur le dos, avec une équipe incroyable, des coéquipiers merveilleux, et cela me donne la force pour aller aussi loin dans la souffrance. Quand ce feu sacré s’éteindra, je vais sans doute décliner mais là je me sens au pic de ma carrière. »
Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui seul sur sa planète. Même la Visma-Lease a Bike reconnaît être largué. « Il a montré qu’il était le plus fort », a concédé jeudi Grischa Niermann, le directeur sportif de la formation néerlandaise. Qui en plus l’aide dans son entreprise de destruction, tacle Remco Evenepoel : « C’est clair que Tadej était encore au-dessus de tout le monde. Ce que j’ai vu c’est que les gars de Visma lui ont donné une passe décisive.. Je pense qu’ils doivent arrêter de faire ça parce que Tadej est juste plus fort que Jonas. »
Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On se lève et on applaudit ? On hurle au dopage ? Pour l’instant, il faut peut-être se situer au milieu de ces deux extrêmes. Déjà pour la simple et bonne raison qu’il n’existe aucune preuve. Et l’on peut saluer le spectacle sans perdre tout sens critique. C’est sur cette ligne de crête que le Slovène nous oblige à avancer.
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Comme le disait il y a quelques jours dans Ouest-France Frédéric Portoleau, un ingénieur en aéronautique et mécanique des fluides qui analyse depuis des années les performances des cyclistes (et les publie sur le site chronoswatts.com), « il y a une zone grise du passage de coureur propre vers le dopage ». Sur le cas de Pogacar, les données brutes, notamment concernant les watts (qui mesurent la puissance développée par un coureur), sont tout de même assez folles. « Soit il continue sa progression physique, soit il y a quelque chose d’anormal », estime le spécialiste.