De la curiosité scientifique des années 1920 à la répression féroce de 2025, le parcours des personnes trans en Russie révèle une succession de brèches, d’espoirs et de violences institutionnelles.
En mai 2025, une étude de la Sfera Foundation et du groupe de défense des droits humains Vykhod a enregistré une explosion des discriminations envers les personnes LGBT+ en Russie. La moitié des personnes trans interrogées déclarent désormais éviter de consulter un médecin, de peur d’être victimes de stigmatisation, informe le média en ligne indépendant russe The Insider. Cette vague de répression, exacerbée par la guerre en Ukraine et l’interdiction par le Kremlin de la «mouvance LGBT internationale», marque un retour brutal à une hostilité institutionnelle.
Pourtant, l’histoire de la transidentité en URSS et en Russie n’a pas toujours été linéaire. Elle a oscillé entre tabou, expérimentations pionnières et brèves périodes d’ouverture et de tolérance. Au lendemain de la révolution d’Octobre, en 1917, l’URSS connaît une courte période de libéralisme sexuel. Le code pénal tsariste, qui criminalisait l’homosexualité masculine, est aboli.
Certains psychiatres soviétiques commencent à s’intéresser aux questions de genre, influencés par les travaux du médecin allemand Magnus Hirschfeld(1868-1935) sur la transidentité. Mais cette parenthèse se referme vite. Sous Staline, la sexualité et le genre deviennent des sujets tabous, la recherche sur le sujet est stoppée et toute déviance à la norme hétérosexuelle est pathologisée ou criminalisée. La transidentité disparaît alors totalement du débat public et scientifique.
Après la mort de Staline, en 1953, la période dite du «dégel» permet une timide réouverture. Dans les années 1960, la sexologie soviétique émerge, amorçant une réflexion sur les troubles de l’identité de genre. Des médecins comme le psychiatre Aron Isakovich Belkin commencent à recevoir des patients trans, même si la démarche reste marginale et risquée.
L’espoir des années 1990
C’est à cette époque que les premiers cas documentés de transition médicale apparaissent, comme celui de Rahim, danseur ouzbek, ou encore d’Inna, jeune femme ingénieure, qui deviendra Innokenty après une série d’opérations pionnières entre 1970 et 1972, sous la supervision du chirurgien Viktor Kalnberz. Ces parcours, semés d’embûches administratives et d’hostilité institutionnelle, témoignent d’une volonté de certains médecins de répondre à la souffrance de leurs patients malgré la pression du pouvoir.
À partir de 1985, la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev marque un tournant. Les questions de genre et de sexualité, jusque-là taboues, font leur apparition dans les médias et la recherche médicale. Les premières histoires de transitions sont publiées dans la presse, des médecins appellent à la reconnaissance et au respect des personnes trans. En 1997, la Russie légalise le changement de sexe à l’état civil pour les personnes trans, à condition de fournir un certificat médical. Les années 1990 voient ainsi une relative ouverture, même si l’accès aux soins et à l’information reste très inégal et souvent limité aux grandes villes comme Moscou.
Cet élan progressiste est brutalement stoppé dans les années 2010. L’adoption de la loi sur la «propagande gay» en 2013, puis l’interdiction totale des transitions médicales et du changement d’état civil pour les personnes trans, en 2023, plongent la communauté dans une insécurité juridique et sociale extrême. Les personnes trans sont désormais privées de la possibilité de modifier leurs papiers, d’accéder à certains traitements et sont souvent contraintes à l’exil.
L’histoire de la transidentité en URSS puis en Russie est celle d’une succession de ruptures: de la curiosité scientifique à la pathologisation, de l’expérimentation médicale clandestine à la reconnaissance administrative, puis au retour de la répression. Alors que la Russie s’enfonce dans l’autoritarisme, cette mémoire des luttes et des avancées, même fragiles, demeure essentielle pour penser un avenir plus inclusif… Il faudra pour cela attendre le départ de Vladimir Poutine.
SOURCE : THE INSIDER https://theins.ru/en/society/282955