Mafia, 12 ans, se trémousse sous la douche. Le bouledogue anglais profite d’un lavage sur-mesure. « Avant, je faisais ça dans la salle de bains, à la maison. Mais galère, il y en avait partout! », sourit Sherine Cantalouve.

Sherine a installé le premier lavage canin en libre-service des Alpes-Maritimes. Chez Doggy wash express, à Nice, on trouve une machine tout-en-un pour laver son toutou de toute taille – « jusqu’à 110kg ». Les propriétaires y trouvent leur compte: un endroit propre – « nettoyé chaque soir avec un protocole d’hygiène » – et ouvert 7 jours sur 7 de 8 à 20 heures.

Doggy wash express propose plusieurs options de lavage – de 4 à 20 euros. L’installation séduit Niçois, Cagnois et habitants de la vallée du Paillon. « J’ai reçu des demandes pour installer des machines dans d’autres quartiers de Nice », glisse cette amoureuse des animaux qui a bien compris que le concept sans rendez-vous, sans employé, convient à une bonne partie de la clientèle.

Du facile, du moins cher et du rapide

Autrefois cantonnés aux laveries, car-wash et feu location de DVD, les services automatisés sont entrés dans notre quotidien. Péages, supermarchés, gares… Implantées depuis 2004, les caisses automatiques seraient présentes dans pas moins de 3.400 magasins en France, selon Capterra.

Si Amazon Go n’a pas encore pignon sur rue dans l’Hexagone – avec son concept sans caisse où on se sert directement dans les rayons pour être débité – le libre-service gagne du terrain. Changeant au passage l’approche de la consommation… On veut du facile, du moins cher. Et surtout, on le veut tout de suite. Alors, on opte pour être servi par soi-même.

« J’ai l’impression de gagner du temps… »

En attendant son TER à Nice Aéroport / Saint-Augustin, cela ne semble pas être un problème pour Sofia. L’étudiante choisit souvent cette option pour ses achats: « Pour mes courses, je vais aux caisses rapides et quand je dois commander dans un fast-food je vais directement à la borne. J’ai l’impression de gagner du temps. » Un réflexe qui, elle le reconnaît, n’est pas celui de sa grand-mère. « Elle râle quand il n’y a pas quelqu’un à un guichet, c’est vrai. On l’aide toujours, mais elle n’est pas très à l’aise avec tout ça… Elle dit aussi que ça enlève du travail aux gens. »

La Fédération du commerce et de la distribution (FCD) relève une baisse de 5 à 10% des hôtes de caisse en dix ans.

Un magasin automatique: sans vendeur ouvert 24h/24

À cet argument, Rafaël hausse les épaules. « Je ne suis pas sûr que les patrons paieraient des gens pour ouvrir le dimanche après-midi ou le soir tard. Alors que c’est pratique », lâche le jeune homme de 20 ans, bouteille d’eau fraîche en main, qui vient de faire ses achats au Plan B, avenue Foch à Vence. De quoi se désaltérer mais aussi de quoi dépanner: dans sa poche, un paquet de feuilles à rouler. Ce n’est pas la première fois qu’il a recours au magasin automatique, notamment en soirée. Et c’est justement la nuit que la majorité des clients ont recours à ce genre de boutique ouverte 24h/24 sans vendeur. Une adresse tenue par un des licenciés de l’entreprise qu’a fondée Christophe Semel, Bleutec System.

« Les deux tiers du chiffre d’affaires se réalisent entre 19 heures et 8 heures », révèle le dirigeant pour qui cette tendance montre que la formule ne donne pas dans la concurrence pour les autres enseignes. D’autant que l’essai de produits d’épicerie purs – confitures, boîtes de conserve et papier toilette – n’a pas porté ses fruits: « On répond à une demande de consommation impulsive, immédiate. »

Christophe Semel, qui exploite également des boutiques à Antibes et Vallauris, laisse parler ses best-sellers: « Eau, Coca-Cola et feuilles à rouler. » Mais on trouve également des produits d’hygiène ou du high-tech, avec machine à café et micro-ondes connecté. Si son ambition est de développer la présence de Plan B, son attention ne se concentre pas dans les zones urbaines: un de ses licenciés a fait le pari de s’installer à Mouriès, village des Alpilles dans les Bouches-du-Rhône. Un territoire rural qui pourrait donner des idées aux entrepreneurs de l’arrière-pays. « Il est à côté d’un centre de lavage de voitures et propose en complément des articles de cet univers. Avec notamment un locker pour le dépôt et retrait de colis. C’est un endroit qui fonctionne très bien », commente cet expert de la distribution automatique. Si dans ce concept, les gens font étape avant de reprendre leur route, certaines structures ont pour ambition de devenir des lieux d’échange…

Le garage où vous mettez les mains dans le cambouis

Parce que le « do it yourself » détient aussi une autre force: celle de rassembler. à rebours des prestations où le client se retrouve seul et à l’instar des repair’café qui se multiplient – on en dénombre une petite vingtaine entre Peymeinade et Levens –, La Sauce moto vrombit toujours aussi fort.

Depuis 2018, l’association a ouvert ses portes dans le quartier Saint-Roch de Nice. Il s’agit du seul self-garage deux-roues des Alpes-Maritimes. Le principe? Apprendre à prendre soin de sa bécane en libre-service. Sur place, rue Fornero-Meneï: tout pour bichonner son engin. Les outils, les ponts et surtout le savoir-faire. Parmi les quatre bénévoles fondateurs qui assurent les permanences: Paul.

Ici, pas question de donner dans le garage clandestin. « Il n’y a que le propriétaire du véhicule qui agit dessus. L’équipe peut guider, conseiller. On a aussi des ressources théoriques dans le bureau. » Bref, si vous comptez passer une roue là-bas, va falloir vous salir les mains. Ce qui intéresse cinquante à soixante adhérents (1) par année qui forment une communauté: « On a toutes les générations, récemment des jeunes d’une vingtaine d’années nous ont rejoints par exemple. » Le public tend à s’élargir avec les amoureux des vieilles bécanes: « Régulièrement, des concessionnaires nous envoient leur client pour les réparations de moto à carburateurs. Ça devient plus complexe de les faire entretenir par des grandes marques qui proposent souvent des délais plus longs et des tarifs plutôt onéreux. Donc même les garages incitent les conducteurs à gagner en connaissance. » Faire le plein de « scientia potentia est » (2) dans le réservoir!

1. 120 euros l’adhésion annuelle. 2. « Le savoir, c’est le pouvoir ».


Les magasins automatiques Plan B proposent leurs produits 24 h/24 et 7 j/7 : c’est d’ailleurs le soir et la nuit que les deux tiers du chiffre d’affaires sont réalisés. Photo Sébastien Botella Sébastien Botella.

« La co-construction fait société »

Pascale Hébel est directrice associée de C-Ways, société de conseil en marketing d’anticipation spécialisée en data sciences.

La participation du client à travers les services: un phénomène nouveau?

On en parlait déjà il y a une dizaine d’années. Mettre le consommateur au travail: Ikea le fait au domicile de chacun avec le montage des meubles. L’idée est de faire baisser les prix par ce biais. On peut aussi penser aux magasins qui proposent du vrac où le consommateur remplit lui-même ses contenants. Là, la démarche est plutôt écologique.

L’avantage pour les entreprises repose sur la réduction de la masse salariale donc?

C’est d’ailleurs l’origine même de la grande distribution en libre-service qui se développe en France en 1963. En mettant le client dans les rayons pour qu’il choisisse lui-même les produits.

Mais cela n’exclut-il pas une partie du public?

Effectivement, quand il s’agit de réserver ses billets sur des bornes automatiques parce qu’il n’y a pas d’agent au guichet, cela coupe certains consommateurs du service. Le vieillissement cognitif empêchant d’apprendre, ces outils digitaux restent moins inclusifs.

Au-delà du service moins cher, que vient chercher le client?

Il y a un aspect un peu ludique, plutôt positif mis en avant avec le « do it yourself ». Il y a cette dimension de reconnecter ceux qui sont un peu loin des travaux manuels via des ateliers de réparations, de partage du savoir. Ici, la consommation est une création de lien social. L’intérêt repose sur la communauté. Avec le développement du digital, on a dépersonnalisé les échanges. Le « nouveau » magasin peut prendre le contre-pied et devenir un autre espace qui permet de faire des choses que l’on ne sait pas faire, ou que l’on ne peut pas faire ailleurs.

Quel est l’avenir de ce modèle de consommation?

On vit des changements de fond. Cela fait partie de l’histoire de donner un autre sens à la consommation.

La co-construction est un fait de société aujourd’hui, on le voit notamment en politique, par exemple. En termes de marketing c’est une solution pour rapprocher le consommateur de la marque, pour être davantage en empathie. Les gens ont envie de penser à autre chose. Leur donner accès à un endroit où l’on fait des expériences répond à une demande. n


Le self-garage chez La Sauce Moto à Nice c’est apprendre à faire soi-même, mais pas tout seul. Photo d’archives Frantz Bouton Frantz Bouton.