Test-match. Nouvelle-Zélande – France, ce samedi (9 h 05)

Nolann Le Garrec va connaître sa treizième sélection, ce samedi, à l’occasion du troisième et dernier match de la tournée en Nouvelle-Zélande. Le Morbihannais a désormais dépassé ses illustres prédécesseurs à neuf sélections : Jean Bouguyon, seul autre Breton natif à avoir été international, et Jean Le Droff.

Né dans le Gers en 1939, ce deuxième ligne, qui a fait toute sa carrière au FC Auch, n’a jamais vécu en Bretagne. Mais il revendiquait fièrement ses origines. « Il était moitié breton, moitié gascon, confie Claire Le Droff, sa fille. Mais il avait un caractère de breton. Il n’était pas timide mais discret et taiseux. »

Son père, natif de Bourg-Blanc (29), avait quitté jeune son Finistère, suivant son père, parti dans le Sud-Ouest pour cultiver la terre du coin. Mais Jean Le Droff a toujours gardé contact avec sa famille, restée en Bretagne, jusqu’à son décès fin 2021. « De la famille, j’en ai partout : à Lesneven, à Gouesnou, à Brest, à Vannes », confiait-il dans un article de presse de l’époque. Il était notamment apparenté à Alphonse Le Gall, natif de Kernouës, footballeur des années 50 passé par le Stade Rennais, l’Olympique de Marseille, le SCO d’Angers et les Girondins de Bordeaux.

Jean Le Droff lors de ses premières sélections en 1963 et 1964.Jean Le Droff lors de ses premières sélections en 1963 et 1964. (Photo collection personnelle famille Le Droff)

« Il était très fier de porter son nom, précise Raymonde, cousine au second degré originaire de Lesneven. Le Droff, ça signifie le chêne. » Un patronyme qui sied bien à ce solide gaillard d’environ 1,95 m et 105 kg, gabarit d’autant plus impressionnant pour l’époque.

Un menhir dans le jardin, comme Obélix

« Il lui faut un steak d’une livre (450g environ) et une douzaine d’œufs pour son petit-déjeuner », est-il écrit dans un autre article intitulé « Le Droff, le nouveau deuxième ligne du XV de France est un Gargantua ». « Ça, ce n’est pas vrai », en rigole Raymonde.

Mais il s’agissait bien d’une force de la nature, « un physique de dieu Hercule », dixit sa fille Claire, agrémentée d’une volonté hors-norme.

Agriculteur, produisant principalement des céréales, il a petit à petit fait croitre l’exploitation familiale située à Ordan-Larroque, à 15 kilomètres d’Auch. Une route vallonnée qu’il parcourait à vélo pour s’entraîner au début de sa carrière. « Un véritable cauchemar », confiait-il dans Le Journal Tintin. Il faut dire qu’avec sa grande carcasse et le poids des vélos de l’époque, il en fallait de la volonté.

« En remuant la terre au bulldozer, j’ai découvert une énorme pierre longue de 2,20 m ou 2,30 m, expliquait-il au Parisien libéré en 1970. Je l’ai plantée dans le jardin, à la manière d’Obélix. Désormais, j’ai mon menhir à moi. »

Un Breton pur beurre on vous dit ! Un autre article mentionne un ancêtre « pendu pour piraterie, en 1780, sur la grand’place de Saint-Malo ». Une information que confirme Claire Le Droff. « C’était un naufrageur », ajoute-t-elle.

Avec sa mâchoire carrée, sa barbe et le bandeau blanc qu’il arborait parfois sur les terrains de rugby, Jean Le Droff avait tout d’un pirate. Enfin, physiquement… Car, dans le tempérament, il était tout sauf un bandit.

« C’était quelqu’un avec qui on ne pouvait pas se fâcher, d’une grande gentillesse », se souvient Pierre Villepreux, son ancien coéquipier avec le XV de France.

« C’était un homme charmant, d’une grande simplicité, confirme Henri Garcia, ancien rédacteur en chef et directeur de L’Equipe et grand spécialiste de rugby. C’était un magnifique athlète, qui couvrait un rayon d’action formidable et un grand spécialiste de la touche. »

Six ans à l’écart de la sélection

Il a connu cinq sélections en 1963 et 1964 avant de manquer la tournée en Afrique du Sud la même année, puni après une défaite à domicile contre l’Angleterre (3-6). « Je fis partie avec De Gregorio, Fabre, Rupert et Amestoy de la charrette des condamnés, déclarait-il dans le même article du Journal de Tintin. À l’époque, il régnait dans l’équipe de France une atmosphère hypocrite et je déteste l’hypocrisie. »

Pour son retour en sélection, après six ans d’exile, Jean Le Droff réalise une performance XXL lors de la victoire contre l’Angleterre (35-13) qui offre le Tournoi des Cinq Nations 1970 au XV de France.Pour son retour en sélection, après six ans d’exile, Jean Le Droff réalise une performance XXL lors de la victoire contre l’Angleterre (35-13) qui offre le Tournoi des Cinq Nations 1970 au XV de France. (Photo collection personnelle famille Le Droff)

Six ans plus tard, et après avoir refusé deux sélections, il revenait par la grande porte lors d’une victoire éblouissante contre l’Angleterre (35-13) qui offrait le Tournoi des Cinq Nations au XV de France, en étant l’un des hommes du match.

« Ils voulaient qu’il se rase la barbe mais il a répondu : “Je viens comme je suis” », raconte Claire Le Droff. Celui qui était surnommé le menhir gersois est resté bloqué à neuf sélections, mais il aurait pu en avoir bien plus. Il a finalement connu une tournée en Afrique du Sud en 1971, en plein apartheid, mais il se fractura l’avant-bras contre une équipe sud-africaine, ce qui l’empêcha d’affronter les Springboks.

Il avait envoyé une carte postale à sa cousine Raymonde avec une photo de l’équipe. Au dos, leur signature et ce mot : « Amitiés du XV de France en Afrique du Sud. Kenavo. Yan Le Droff. » En bon breton.

Jean Le Droff (22/06/1939 – 11/11/2021)
9 sélections entre 1963 et 1971
– Test match (14/04/1963). FRANCE – Italie : 14-12
– Test match (15/12/1963). FRANCE – Roumanie : 6-6
– Cinq Nations (04/01/1964). Ecosse – FRANCE : 10-0
– Test match (08/02/1964). FRANCE – Nouvelle-Zélande : 3-12
– Cinq Nations (22/02/1964). FRANCE – Angleterre : 3-6
– Cinq Nations (18/04/1970). FRANCE – Angleterre : 35-13
– Test match (29/11/1970). Roumanie – FRANCE : 3-14
– Cinq Nations (16/01/1971). FRANCE – Ecosse : 13-8
– Cinq Nations (30/01/1971). Irlande – FRANCE : 9-9

Précurseur du développement du rugby en Bretagne
Très attaché à sa Bretagne d’origine, Jean Le Droff a participé à plusieurs matchs de démonstration pour développer le rugby dans la région. « Il en avait fait un au stade de l’ASB (AS Brestoise) avec Auch, se souvient Raymonde, sa cousine de Lesneven. Jacques Fouroux était tout jeune, ça devait être en 1964-1965. » Les deux étaient revenus en 1977 en tant qu’« ambassadeurs du rugby » avec deux rencontres au programme, à Saint-Brieuc et Saint-Pol-de-Léon.

« Il y a le football avec tout ce que cela comporte, mais je crois que les Bretons ont le tempérament « rugby », avait-il confié dans un article de l’époque. Ils sont durs, courageux et ne manquent pas de gabarits. Ce qu’il leur faut avant tout, ce sont des éducateurs. Je sais que la Fédération a commencé à travailler dans ce sens. Elle doit donc maintenant poursuivre son effort. »Un autre article de 1968 le montre à Rennes avec Walter Spanghero et Pierre Villepreux, ses coéquipiers du XV de France. « Il avait été un peu un précurseur, à savoir qu’il voulait montrer ce qu’était le rugby en Bretagne, explique Villepreux. Il a donc organisé des petits matchs qui permettaient de donner au rugby une visibilité en Bretagne, la visibilité qu’elle n’avait pas. »