Les chimpanzés, nos plus proches cousins dans le règne
animal, ont longtemps été étudiés pour leurs comportements sociaux,
leur utilisation d’outils et leurs interactions au sein de leurs
groupes. Toutefois, une nouvelle étude vient d’ouvrir une
perspective fascinante sur un aspect jusqu’ici peu exploré : la
culture cumulative. Cette étude révolutionnaire montre que tout
comme chez les humains, les chimpanzés sont capables de transmettre des
comportements complexes au fil des générations, et cela de
manière structurée. Plus surprenant : cette transmission culturelle
pourrait être intimement liée aux migrations des femelles
chimpanzés.
La culture cumulative des chimpanzés
La culture cumulative est un phénomène
fascinant qui désigne la capacité d’une espèce à accumuler des
connaissances et des compétences au fil du temps, avec des idées et
des pratiques qui se complexifient et s’améliorent à chaque
génération. Chez les humains, la culture cumulative est à la base
de notre progrès technologique et scientifique : nos ancêtres ont
transmis des savoirs et des inventions à travers les générations,
ce qui a permis à chaque nouvelle génération de bâtir sur les
acquis des précédentes. Ce phénomène n’est pas exclusif à notre
espèce, mais il a été difficile à observer chez d’autres
animaux.
Récemment, une étude s’est intéressée à la culture des
chimpanzés et à sa transmission. La culture chez les chimpanzés
n’est pas un concept récent. Bien avant cette étude, les chercheurs
savaient déjà que ces primates utilisaient des outils. Néanmoins,
la question était : comment ces comportements se propagent-ils au
sein des groupes ? Et plus important encore, pourquoi certaines
communautés de chimpanzés développent-elles des comportements plus
complexes que d’autres ?
L’un des éléments importants de l’étude était l’identification
de comportements plus complexes chez certains groupes de
chimpanzés, comme l’utilisation de plusieurs outils en combinaison
(par exemple, des bâtons pour attraper des termites ou des pierres
pour casser des noix). Ces comportements ne semblaient pas
apparaître spontanément ; ils nécessitaient une transmission
intergénérationnelle et un processus de raffinement continu.
En d’autres termes, tout comme chez les humains, les
comportements chez les chimpanzés ne sont pas simplement imités ou
reproduits ; ils s’accumulent et se complexifient au fil du
temps. Cela signifie que les chimpanzés peuvent bâtir sur
les découvertes de leurs prédécesseurs, créant ainsi des outils et
des comportements plus sophistiqués à mesure que les générations
passent.
L’importance des femelles et de leurs migrations
Les femelles chimpanzés jouent un rôle central
dans la transmission de la culture au sein des groupes. En effet, à
la maturité sexuelle, elles quittent généralement leur groupe natal
pour rejoindre d’autres communautés, créant ainsi un flux
génétique entre les populations. Ce phénomène de migration
permet également la propagation de comportements culturels, car ces
femelles migrantes peuvent partager les pratiques apprises dans
leur groupe d’origine. Les chercheurs ont observé que des
comportements plus complexes, comme l’utilisation d’outils
spécifiques, ont davantage de chances de se diffuser entre les
groupes lorsqu’une femelle migrante s’y intègre.
Pour comprendre ce processus, les scientifiques ont utilisé une
méthode innovante appelée la machine à remonter le temps génétique.
En étudiant les données génétiques des chimpanzés sur plusieurs
générations, ils ont pu établir des liens entre les mutations
génétiques des femelles migrantes et la propagation de certains
comportements culturels. Cette approche a permis de surmonter les
difficultés liées à l’étude des outils périssables en traçant
l’évolution des comportements culturels à travers les
générations.
Les données génétiques ont montré que dans des endroits comme le
parc national de Taï en Côte d’Ivoire, des comportements comme
l’utilisation de pierres pour casser des noix étaient stables et
transmis sur le long terme, surtout lorsqu’il y avait des échanges
entre groupes par les migrations des femelles. Ainsi, les
migrations jouent un rôle crucial dans la diffusion et
l’enrichissement des techniques culturelles chez les
chimpanzés.
Le cassage de noix chez les chimpanzés a montré comment la culture
peut perdurer même lorsque de nouveaux membres du groupe arrivent
avec des idées neuves. Crédits : Tetsuro MatsuzawaLa culture cumulative dans le contexte des groupes
sociaux
Les chercheurs ont souligné un aspect crucial des sociétés de
chimpanzés : leur structure sociale. Contrairement aux humains, les
chimpanzés ont une hiérarchie sociale stricte et les comportements
culturels peuvent être influencés par cette hiérarchie. Une femelle
qui arrive dans un nouveau groupe pourrait par exemple ne pas avoir
immédiatement la possibilité de transmettre ses comportements
culturels si elle est d’un rang social inférieur. Cela montre que
la culture cumulative chez les chimpanzés, bien qu’existante, peut
être fragile et dépendante des dynamiques sociales au sein
des groupes.
Les implications de cette découverte pour l’étude de
l’évolution humaine
Cette découverte a des implications profondes non seulement pour
l’étude des chimpanzés, mais aussi pour la compréhension de
l’évolution humaine. Si la culture cumulative existe chez nos
proches cousins, cela soulève la question de savoir si cette
capacité était déjà présente chez notre dernier ancêtre commun avec
les chimpanzés, et si elle a joué un rôle dans l’évolution de nos
propres capacités culturelles.
La découverte des chimpanzés comme
porteurs d’une culture cumulative ouvre également des perspectives
intéressantes pour les études sur les premières sociétés humaines,
en particulier les chasseurs-cueilleurs. En comparant les schémas
de migration et de propagation des cultures chez les chimpanzés et
chez les humains, les chercheurs espèrent mieux comprendre comment
la culture a évolué dans les deux espèces et quels facteurs sociaux
ont facilité ou entravé cette évolution.