Une idée simple, une prouesse atomique pour l’Allemagne.
Ils ont osé mélanger quatre éléments qui, jusque-là, refusaient de cohabiter. Carbone, silicium, germanium, étain. Quatre membres de la même famille chimique, les fameux éléments du groupe IV du tableau périodique, réunis dans un seul et même alliage. Un matériau qui n’existait tout simplement pas jusqu’à aujourd’hui.
C’est le fruit du travail de chercheurs allemands du Forschungszentrum Jülich et de l’Institut Leibniz pour la microélectronique. Leur but ? Créer une matière capable de réconcilier l’électronique classique avec les promesses du quantique. Et le plus fou dans tout ça, c’est qu’ils y sont arrivés sans changer les machines qu’on utilise déjà dans l’industrie des puces électroniques.
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Depuis des décennies, le silicium règne sur l’univers des semi-conducteurs. Nos ordinateurs, nos smartphones, nos voitures connectées : tout repose sur lui. Mais dès qu’on tente d’y glisser un peu de photonique ou de technologies quantiques, ça coince. Trop rigide, pas assez malléable au niveau de ses propriétés optiques.
Alors les chercheurs ont tenté autre chose. Ils ont rajouté du germanium et de l’étain. Et maintenant, ils y ont ajouté un invité surprise : le carbone. Problème, son atome est tout petit, imprévisible, il se lie facilement mais ne fait pas bon ménage avec les gros comme l’étain. C’était un peu comme faire cohabiter un sumo, un gymnaste et un danseur étoile dans une boîte à chaussures.
Un peu de chaleur et beaucoup de finesse
Comment ont-ils réussi à faire tenir tout ce monde ensemble ? Avec un procédé déjà utilisé dans l’industrie : la déposition chimique en phase vapeur (CVD). Imaginez un four où l’on dépose, atome par atome, des couches de matière sur une galette de silicium ultra-pure, appelée wafer. Le secret, c’est d’y aller lentement, de contrôler chaque température, chaque liaison chimique, pour que la structure cristalline ne se fissure pas.
Résultat : un matériau lisse, uniforme, stable, comme s’il avait toujours existé. Et à l’œil nu, le wafer final ressemble trait pour trait à un wafer classique. Sauf qu’il est capable d’exploiter la lumière comme jamais.
Une LED quantique, en plein jour
Pour prouver que leur alliage n’était pas juste un caprice de laboratoire, les chercheurs ont fabriqué une LED fonctionnelle, à partir de ce matériau, basée sur une structure en puits quantique. Autrement dit, une diode électroluminescente capable d’émettre de la lumière… à température ambiante. Pas besoin de refroidisseur à -273 °C, pas besoin d’environnement cryogénique.
Ce n’est pas juste une lumière qui clignote. C’est une preuve que le matériau est capable de traiter l’information quantique, en maîtrisant des phénomènes ultrafins dans la matière. Une première mondiale, et un tremplin vers les futures puces hybrides, qui mélangeront électrons et photons comme on mélange des ingrédients dans une recette de cuisine.
Des applications qui dépassent l’imagination
On parle souvent de révolution quantique, de promesses folles, de supercalculateurs. Ce matériau-là pourrait bien être la charnière qui rend tout ça possible. Des lasers embarqués sur une puce, des capteurs thermiques dans un vêtement, des ordinateurs qui traitent des données avec la vitesse de la lumière… Ce n’est plus de la science-fiction.
Et surtout, pas besoin de reconstruire les usines. Le matériau est compatible avec les lignes de production déjà en place. C’est comme découvrir un nouveau carburant… qui marche dans votre voiture actuelle, sans changer le moteur.
Un matériau pour l’avenir, né dans le présent
Il aura fallu des années, des calculs, des paris risqués sur le comportement de l’atome, pour que ce matériau voie le jour. L’équipe de chercheurs, guidée entre autres par Dan Buca et Giovanni Capellini, a franchi une frontière invisible : celle entre le possible théorique et le réalisable industriel.
Et pour une fois, ce n’est pas une startup de la Silicon Valley qui s’en vante. C’est une équipe européenne, qui montre que la course au quantique se joue aussi sur le Vieux Continent. Le carbone, le silicium, le germanium et l’étain ne se supportaient pas. Aujourd’hui, ils travaillent ensemble. Et ça change tout.
Un marché gigantesque à la clé et un retour en force de l’Europe
C’est un marché qui ne dort jamais. Chaque seconde, quelque part dans le monde, un composant électronique se vend, se grave ou se soude sur une carte-mère. Le marché des semi-conducteurs représente aujourd’hui plus de 500 milliards d’euros par an, et il est dominé sans partage par l’Asie et les États-Unis. Taïwan, grâce à TSMC, détient à elle seule environ 26 % de ce marché, suivie par la Corée du Sud (Samsung) avec 19 %, et les États-Unis (Intel, Nvidia, Qualcomm) qui cumulent près de 20 %. À côté, l’Europe ne pèse qu’environ 9 %, malgré une expertise historique en R&D et en équipements (ASML, STMicroelectronics).
Ce retard est stratégique. Il rend l’Union européenne vulnérable, notamment dans l’automobile, la défense ou les télécommunications, où une pénurie de puces peut paralyser une industrie entière.
Mais l’arrivée d’un nouveau matériau comme le CSiGeSn développé en Allemagne pourrait changer la donne. Ce composé innovant, compatible avec les procédés industriels existants, permet d’intégrer des fonctions optiques et quantiques sur une même puce, chose que le silicium ne permettait pas. C’est un raccourci inattendu, un coup de théâtre technologique. L’Europe, sans rattraper immédiatement les nanomètres asiatiques, pourrait reprendre la main sur la prochaine génération de puces, plus intelligentes, plus hybrides, et taillées pour les enjeux à venir.
Sources :
Etude :
Adaptive Epitaxy of C-Si-Ge-Sn: Customizable Bulk and Quantum Structures
Omar Concepción, Ambrishkumar J. Devaiya, Marvin H. Zoellner, Markus A. Schubert, Florian Bärwolf, Lukas Seidel, Vincent Reboud, Andreas T. Tiedemann, Jin-Hee Bae, Alexei Tchelnokov, Qing-Tai Zhao, Christopher A. Broderick, Michael Oehme, Giovanni Capellini, Detlev Grützmacher, Dan Buca
Publié le 11 juin 2025
https://doi.org/10.1002/adma.202506919
Chiffres marché des semi-conducteurs :
- https://www.statista.com/statistics/266973/global-semiconductor-industry-revenue-since-1987
Image : la plaquette revêtue ne se distingue pas optiquement d’une plaquette traditionnelle. Copyright : Forschungszentrum Jülich / Jenö Gellinek