C’est une première depuis la création, en 2020, du dispositif de pétitions citoyennes en ligne à l’Assemblée nationale. Samedi à 16 heures, celle réclamant l’abrogation de la loi Duplomb a franchi le seuil des 500 000 signatures. Massivement relayée sur les réseaux sociaux, cette pétition – lancée le 10 juillet par une étudiante, Eléonore Pattery – dénonce «une aberration scientifique, éthique, environnementale et sanitaire», visant notamment la réintroduction très contestée de l’acétamipride, un pesticide de la famille des néonicotinoïdes.
Le franchissement de ce seuil n’entraîne ni abrogation, ni réexamen du texte. Si les signatures proviennent d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut décider d’organiser un débat en séance publique. Ce débat portera uniquement sur la pétition elle-même, et non sur la loi adoptée, qui doit encore être promulguée par Emmanuel Macron et fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel par des députés de gauche.
Adoptée définitivement le 8 juillet par 316 voix contre 223, la loi Duplomb, du nom du sénateur LR qui l’a portée, se présente comme une réponse à la crise agricole de janvier 2024. Des milliers d’agriculteurs étaient descendus dans la rue pour dénoncer l’accumulation de normes, l’effondrement des revenus et la concurrence déloyale. Soutenu par le gouvernement, le texte a été adopté grâce aux voix de la majorité présidentielle et de l’extrême droite (l’alliance RN-UDR) pour «lever les contraintes» pesant sur l’agriculture française.
Mais pour ses opposants, il acte une série de reculs environnementaux : facilitation des élevages intensifs, accélération des projets de stockage d’eau, restrictions sur la participation du public aux enquêtes environnementales. Et surtout, retour d’un pesticide interdit.
L’acétamipride, insecticide néonicotinoïde interdit en France depuis 2018 mais encore autorisé en Europe jusqu’en 2033, est présenté par les producteurs de betteraves et de noisettes comme la seule solution face aux ravageurs. Or il est accusé de nuire aux abeilles, de s’accumuler dans les sols et les nappes phréatiques, et de poser des risques pour la santé humaine.
«Ce n’est pas un produit anodin», expliquait le 8 juillet à Libération Christian Lannou, directeur de recherches adjoint agriculture à l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Moins toxique que d’autres néonicotinoïdes, l’acétamipride reste un insecticide, conçu pour tuer les insectes donc. Ce pesticide attaque leur système nerveux en déclenchant une hyperactivité des neurones, qui peut conduire à la désorientation, à la paralysie, et à la mort. Il n’épargne pas les abeilles, les vers de terre, les oiseaux ou les poissons. Ni les humains.
Présenté comme inoffensif par ses défenseurs, ce pesticide fait en effet l’objet d’une inquiétude croissante dans le monde scientifique sur la santé humaine. Plusieurs travaux récents alertent sur ses effets potentiels pour le système nerveux, la fertilité, le développement prénatal ou encore un lien possible avec des troubles du métabolisme, comme le diabète de type 2. Chez l’humain, la molécule a été détectée dans l’urine, le sang ou le liquide cérébral, y compris chez des enfants malades ou des nouveau-nés de petit poids. En 2022, des traces de la substance ont été retrouvées dans des prélèvements effectués chez des enfants atteints d’une leucémie ou d’un cancer du système lymphatique. Si les données restent encore partielles, les signaux d’alerte s’accumulent. Conséquence, au niveau européen, l’acétamipride reste autorisé mais il est désormais sous surveillance renforcée. Cette substance doit faire l’objet d’un réexamen complet d’ici à 2033, dans le cadre du processus d’évaluation prévu pour tous les pesticides homologués dans l’Union européenne.
En septembre dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), chargée d’évaluer les risques sanitaires liés à l’alimentation, à l’environnement et aux pesticides, a recommandé de diviser par cinq la «dose journalière acceptable» d’acétamipride et sa «dose de référence aiguë» (la quantité maximale qu’un consommateur peut ingérer ponctuellement sans danger), en raison de «préoccupations légitimes» et d’importantes incertitudes scientifiques.
Le 11 juillet, des députés de gauche ont saisi le Conseil constitutionnel, estimant que la loi était incompatible avec les exigences de protection de l’environnement et le droit à la santé. Selon eux, le texte permettrait une réintroduction immédiate de l’acétamipride en cas de «menace grave compromettant la production agricole», une notion floue, non définie par la loi. Ils pointent aussi l’absence de restriction à certaines cultures, l’absence de limite stricte dans le temps, et une simple clause de réexamen au bout de trois ans, puis chaque année.
Dans leur recours, ils estiment que cette dérogation contrevient à deux principes constitutionnels : le principe de précaution, qui oblige à prévenir des dommages environnementaux graves même en cas d’incertitude scientifique, et le principe de non-régression, qui interdit de revenir en arrière sur les avancées en matière de protection de l’environnement.
Un autre point de tension concerne l’indépendance de l’Anses, l’agence chargée d’évaluer la toxicité des pesticides. Un décret publié début juillet prévoit qu’elle devra accorder la priorité à certains usages agricoles définis par le ministère de l’Agriculture. En clair, ce sont les demandes du ministère qui passeront en haut de la pile. Pour l’opposition, cela revient à placer l’agence sous tutelle. L’agence, elle, assure qu’elle «évaluera les conséquences» de cette mesure.
Le Conseil constitutionnel doit rendre sa décision dans les prochaines semaines.