40 000 spectateurs pour un record du monde. Le dimanche 18 juillet 1965 reste dans la mémoire de nombreux Ligériens tant ils étaient nombreux, ce jour-là, à se masser autour du barrage du Grangent pour assister à l’exploit du funambule Henri Rechatin, plus connu sous son nom d’artiste : Henry’s.
Jamais les pentes qui cernent la retenue d’eau n’avaient vu une telle affluence. « Entre le mur du barrage de Grangent et le château d’Essalois, sur toutes les collines avoisinantes, sur chaque chemin carrossable, des centaines et des centaines de voitures avaient déposé, dès les premières heures de l’après-midi, des milliers de spectateurs venus assister à l’exploit du jongleur de la mort », écrivent nos journalistes Étienne Massardier et Jean Bertail dans La Tribune – Le Progrès du lundi 19 juillet 1965.
Le lundi 19 juillet 1965, au lendemain de l’événement, la première page de La Tribune – Le Progrès s’ouvre sur cette photo aérienne captée depuis l’avion du Progrès : elle donne toute la hauteur de l’exploit réalisé par le funambule stéphanois. Photo archives La Tribune – Le Progrès
Une traversée de 1600 mètres, à 200 mètres au-dessus du vide
La foule est à la hauteur de l’enjeu… et du suspens. En effet, dans la matinée, Henry’s a dû encaisser une mauvaise nouvelle : « l’absence de l’hélicoptère de la protection civile qui nous avait été promis. En cas de coup dur, cet hélicoptère était ma seule chance de salut. Je me dois donc de n’accuser aucune défaillance, sinon ce sera mon dernier exploit ».
À 16 h 47, Henry’s s’élance. Il salue les organisateurs de l’événement (l’association nationale d’action sociale du personnel de la sûreté nationale), embrasse sa femme Janyck, et s’avance sur son câble, long de 1600 mètres et suspendu à 200 mètres au-dessus du vide.Pantalon rouge, blouson blanc, tenant dans ses bras les deux balanciers (17 kilos), il avance pas après pas, survolant la centaine de voiliers et de bateaux à moteur lancés sur les eaux du barrage pour admirer le spectacle. Dans les airs, l’avion du Progrès survole aussi la scène pour immortaliser l’instant.
Les minutes défilent. Et Henry’s continue sa progression. « À 18h27, heure à laquelle Henry’s espérait en avoir terminé avec son épreuve, un peu plus de la moitié du parcours seulement était parcouru. Les spectateurs s’inquiétaient : « ne sera-t-il point trop fatigué, après tant d’efforts, pour arriver au château ? ». Mais Henry’s, imperturbable tel un automate, avançait, avançait toujours… »
A peine le premier défi relevé, Henry’s retourne sur son câble, à moto cette fois, avec son épouse Janyck suspendue sur un trapèze. Photo archives La Tribune – Le Progrès
Sa traversée terminée, il réitère l’exploit en moto
Puis arrive la délivrance. Il est 19h03 : « fatigué, certes, mais toujours souriant, Henry(‘s embrasse sa femme. Entre une double haie de spectateurs enthousiastes, il est mitraillé par les flashes des photographes et doit répondre aux interviews de la radio, de la télévision et de la presse écrite ». Le voilà détenteur d’un record du monde : il vient de surpasser le précédent record de (1250 mètres de long à 200 mètres de hauteur) détenu par le Tchèque Rudy Omankowsky depuis sa traversée du lac de Gérardmer (Vosges), en 1962.
« Deux heures et seize minutes de fatigue, d’équilibre et de courage tranquille auront été nécessaires pour faire d’Henry’s le plus grand champion du funambulisme international ». Comme si cela ne suffisait pas, moins d’une heure après son record, Henry’s relève un nouveau défi : avec son épouse Janyck, il réitère la traversée au guidon d’une moto : « la jeune femme suspendue au trapèze sous la moto et lui, sûr de son triomphe et de cet avenir qu’il prépare depuis tant d’années, à force de courage, de patience, de persévérance, bravant le danger et se jouant des exploits les plus audacieux ».
Sous le regard d’une foule immense… et de Michel Drucker
L’exploit d’Henry’s (qu’il réitèrera ensuite en 1995), aura donc marqué des générations de Stéphanois. Et dès le lendemain, on mesure tout le retentissement de l’événement : « On ne pouvait que songer, avec cette moto qui partait au loin, qu’avec elle, Henry’s portait un titre de champion du monde, qu’il devenait aussi une gloire pour notre région, et que longtemps, dans les années à venir, Grangent s’inscrirait grâce à lui parmi l’histoire des hauts faits de la bravoure », écrit notamment Jean Bertail (*) dans La Tribune – Le Progrès du lundi 19 juillet 1965.
Douze minutes dans Les coulisses de l’exploit
Au point que l’événement a aussi fait les belles heures de la télévision. Michel Drucker était ainsi présent, le dimanche 18 juillet 1965, sur les collines d’Essalois, pour immortaliser cette folle épopée avec les caméras de l’ORTF. Le reportage de quasiment douze minutes est ensuite diffusé dans l’émission Les coulisses de l’exploit (disponible sur le site Internet de l’Ina).
(*) En 1980, Jean Bertail écrira un livre : Henry’s, le funambule aux exploits.