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Près de 20 000 enfants ukrainiens ont été identifiés comme déportés vers la Russie ou des territoires occupés. Myroslava Kharchenko, cofondatrice de Save Ukraine, raconte comment son ONG brave la peur et les infiltrations pour les retrouver et les ramener chez eux.

Combien de mineurs sont concernés par ces « enlèvements » ?

Nous parlons de 1,6 million d’enfants vivant en territoire occupé ou en Russie. Mais cela ne signifie pas qu’ils ont tous été déportés. Cela inclut aussi les enfants restés avec leurs familles dans les territoires occupés ou ceux dont les parents ont volontairement choisi de partir en Russie. Parmi eux, seuls 19 546 ont été formellement identifiés, c’est-à-dire qu’on connaît leur nom, leur date et lieu de naissance, les circonstances de leur départ et l’endroit où ils se trouvent aujourd’hui.

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Comment les retrouvez-vous ?

On vit en 2025 : caméras, téléphones, internet… Avec les bons outils, on peut retrouver n’importe qui, même à l’autre bout du monde… Le plus difficile, c’est surtout la prise de contact. Les familles ont peur. On leur raconte que des agents les contactent pour les piéger et que le lendemain, les militaires russes débarquent. Alors on passe par des proches, on se fait passer pour des bénévoles étrangers, on invente des histoires. L’enjeu, c’est de créer un lien de confiance.

Comment se passe l’exfiltration ?

On les fait passer en petits groupes, discrètement, pour éviter de trop attirer l’attention, via un point de transit dans un autre pays. Une fois en territoire ukrainien seulement, on leur dit la vérité. Les Russes tentent régulièrement d’infiltrer nos réseaux, mais on est aidé par les services de sécurité ukrainiens. Fin juin, on a pu faire revenir seize enfants, certains très jeunes, d’autres presque majeurs, certains avec un handicap.

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Où vont les enfants une fois qu’ils sont exfiltrés ?

Ils arrivent – souvent avec leur famille – dans des centres temporaires où on les accueille, on les soigne, on les écoute. Certains sont en état de choc, d’autres ont été endoctrinés, on leur disait par exemple que l’Ukraine était totalement détruite ou que c’est très dangereux. On ne les brusque pas. On leur propose un suivi médical, psychologique, on cherche parfois leurs proches ou des familles d’accueil.

Pourquoi la Russie enlève-t-elle ces enfants ?

Le but est clair : détruire notre nation, effacer l’identité ukrainienne des enfants et transformer nos enfants en Russes. La déportation n’est pas un effet secondaire de la guerre : c’est une stratégie. Un outil de génocide culturel.

Est-ce possible de retrouver tous les enfants ?

Non, il y a des enfants qu’on ne retrouvera peut-être jamais. Ceux dont les parents sont morts, ceux qu’on a emmenés bébés dans un orphelinat russe. Parfois, je me dis que seul un test ADN pourrait fonctionner. Mais il faut qu’un membre de la famille le fasse pour pouvoir comparer.

Comment la Russie se justifie

Des « évacuations », des « opérations de sauvetage », des « gestes de compassion »… : tel est le lexique utilisé par les médias russes pour parler des enfants ukrainiens. Depuis le 24 février 2022, le Kremlin revendique avoir accueilli 4,8 millions de ressortissants ukrainiens, dont 700 000 mineurs. Selon la version officielle, la majorité d’entre eux seraient venus accompagnés de leurs parents. Les autres seraient orphelins ou abandonnés, placés temporairement ou adoptés par des familles russes.
Mais la réalité reste difficile à documenter. Orphelinats, camps militaires ou établissement éducatifs, les services de renseignement ukrainiens affirment avoir identifié plus de 150 lieux à travers la Russie ou les territoires occupés, ainsi qu’une quarantaine de familles impliquées dans des adoptions illégales.
Pour Kiev, ces centres sont avant tout des instruments de propagande, où les enfants seraient soumis à une intense russification – endoctrinement, lavage de cerveau, changement de nom…
Symbole de cette politique, Maria Lvova-Belova, la commissaire russe aux droits de l’enfant. Elle revendique elle-même l’adoption d’un adolescent originaire de Marioupol et en parle régulièrement sur les réseaux sociaux.
Le 17 mars 2023, la Cour pénale internationale a émis un mandat d’arrêt à son encontre, l’accusant de crimes de guerre pour « transfert illégal d’enfants d’un territoire occupé ».