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Eddie Miles connaît la ville sur le bout du volant. C’est un enfant de Chicago qui a vu les quartiers se métamorphoser. Certains coins tranquilles sont devenus des repères de drogués tandis que les rues populaires ont été récupérées par des bobos. Il n’en finit pas de parcourir la cité dans son taxi Skie Blue qu’il partage avec son collègue du jour. Lui, c’est la nuit qu’il préfère, même si, depuis quelque temps, des chauffeurs sont tués avant l’aube sans la moindre raison.

Ce soir, sur Madison, deux vigiles escortent un clochard pour l’envoyer vers le sud, une prostituée supplie qu’on la laisse monter car il fait trop froid dehors et les flics sont nerveux quand ils tombent sur une gamine frappée à mort, nue et ensanglantée. Certaines nuits, les clients arrondissent le pourboire et c’est l’occasion d’aller boire un verre avec les collègues. D’autres fois, ils sont au centime près et râlent à propos du trajet, mais Eddie continue, tentant encore une fois d’éviter la cité Cabrini-Green qui a si mauvaise réputation. Dans le journal, il apprend que son pote Lenny le Polack a été abattu à son tour et la vie ne tourne plus rond.

Taxi de nuit est une formidable chronique du quotidien, composée d’histoires courtes, incisives, chaleureuses, brutales sur cette ville où l’on ne fait pas de vieux os. On pense au remarquable récit de Shannon Burke, 911 (titre original : Black flies), paru en 2008. L’ancien ambulancier décrivait aussi les nuits sur le bitume. Il travaillait à Harlem, au centre des cris, des scènes de crime, de la misère. Même précision, même émotion rétive, même empathie pour les plus pauvres, ou les vieux ratatinés, qui finiront dans le taxi d’Eddy Miles. Au bout de la nuit, le chauffeur s’y retrouvera toujours. Au pire, demain, il dégottera une bonne course en faisant la sortie des bars jusqu’à la fermeture et finira du côté des vieilles tours du Loop pour rester un moment à scruter la ville étendue devant lui «avec le lac en toile de fond sombre et apaisant». Ensuite, il sera temps de rentrer et tenter de dormir quand Chicago se réveille.