Invité de France Inter, dans une interview donnée à Charles Pépin pour son podcast « Sous le soleil de Platon », Antoine Dupont a évoqué un tas de sujets, tous plus philosophiques les uns que les autres, mais a surtout révélé que l’âme de compétiteur qui se cache derrière son humilité dévoile un rapport à la victoire tout particulier.
Loin du cliché du jeu flamboyant à la française, Antoine Dupont défend aujourd’hui une performance pragmatique, adaptée, parfois brute, loin de l’esthétisme pur. Invité ce 17 juillet du podcast « Sous le soleil de Platon », produit par France Inter, la capitaine du XV de France et du Stade toulousain assume que la victoire n’a pas toujours besoin d’être belle : « Quand on regarde l’Afrique du Sud, sans doute la meilleure équipe du monde, c’est l’une des équipes qui fait le moins de passes […] Les équipes qui gagnent sont celles qui savent s’adapter à l’adversaire, aux conditions du terrain […] Par exemple avec l’équipe de France ou Toulouse, on arrive à gagner en étant amphibie. C’est-à-dire, sans être toujours esthétique… Il faut savoir gagner salement »
Pour Dupont, la victoire passe par un entraînement rigoureux, construit autour d’un plan de match parfait, afin d’être capable, ensuite, de le déconstruire de la meilleure des manières. « C’est de l’entraînement, on essaye de nous plonger dans des actions de jeu que l’on pourrait retrouver, différents scénarios, on essaye d’avoir la meilleure réponse à ce qu’il se passe. C’est beaucoup d’entraînement afin de savoir et se faire confiance le jour J pour prendre la bonne décision sur le moment nécessaire, ce qui n’est pas toujours évident. »
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De nos jours, plus aucun match ne se déroule comme prévu. Et pour Dupont : « les meilleures équipes sont celles qui s’adaptent le mieux. La théorie de l’évolution ne date pas d’aujourd’hui et elle s’applique au sport », et c’est là que résiderait la vraie performance. Le rugby est devenu stratégique, hybride, et selon Dupont, il faut savoir s’adapter et gagner avec les armes de l’adversaire, même si cela signifie gagner… « salement ».
L’art de s’imposer dans l’adversité
Cette idée, Antoine Dupont la pousse jusqu’à parler de jeu « amphibie », cette capacité à évoluer dans tous les environnements, y compris les plus hostiles et sans être toujours esthétique. Gagner quand tout est fluide, c’est une chose. Gagner dans le désordre, dans un match cadenassé, contre un adversaire plus physique ou dans un contexte tendu, c’en est une autre. Et quand Antoine Dupont est confronté à la question du « beau geste », il est assez clair : « L’idéal c’est la beauté efficace. Parce que la beauté unique n’intéresse pas hormis au spectateur. Mais il y a quand même des gestes très esthétiques et utiles. Mais il faut garder surtout en tête l’efficacité et l’efficience. Si on perd en jouant bien, on va gagner le cœur des gens, mais pas le notre. Un très grand compétiteur ne se contentera jamais d’un très grand « beau » match, s’il est perdu. »
Antoine Dupont, abattu, lors du quart de finale de la Coupe du monde de rugby 2023 entre la France et l’Afrique du Sud, au Stade de France, le 15 octobre 2023.
Icon Sport – Hugo Pfeiffer
Cela ne signifie pas renoncer à l’émotion, mais savoir qu’une performance dépasse le spectacle. Elle inclut donc la capacité à improviser mais aussi à faire front collectivement, même dans la difficulté, à l’image des Sud-Africains. Le capitaine des Bleus, bien qu’il reconnaisse que la défaite en quart de finale de la Coupe du monde à domicile « a fait très mal et reste douloureuse », parle des champions du monde Springboks en louant leur état d’esprit : « Les Sud-Africains, certes, dominent tout le monde physiquement, mais ils ont quand même de très beaux joueurs de rugby. Ils ont un état d’esprit admirable sur l’intensité qu’ils fournissent. S’ils se font franchir, les 15 mecs vont courir pour rattraper les coups. Ils ne lâchent jamais rien sur chaque zone d’affrontement. » Une phrase qui souligne que gagner « salement », c’est accepter que la victoire ne soit pas forcément propre, mais toujours précieuse.
La convalescence comme continuité de l’effort
Sa philosophie du combat s’exprime aussi dans la gestion de sa blessure. Contraint à l’éloignement des terrains pendant plusieurs mois, Antoine Dupont reste conscient de ce qu’il a à faire pour revenir au niveau qu’était le sien : « J’en suis à cette période de regain musculaire, retrouver mes amplitudes, enlever les inhibitions, ce n’est que du travail en salle avec les kinés. Pas le plus fun, mais primordial. »
Ce que dit Antoine Dupont finalement, derrière cette formule provocante, c’est que la performance n’a pas besoin d’être belle pour être grande. Lorsque Fabien Galthié l’interroge, par l’intermédiaire de Charles Pépin, sur sa vision du rugby, Dupont évoque Athéna, la déesse grecque de la guerre. Une comparaison révélatrice : pour lui, le rugby est un sport de tranchées, un combat où l’on aspire certes à jouer « beau », mais où la priorité reste de gagner, coûte que coûte. C’est une forme d’honnêteté sportive, qui résonne comme une réponse aux critiques sur le style du rugby moderne et qui reconnaît que l’esthétique ne fait pas tout, que la magie est parfois sale et que l’exploit se cache souvent dans le goût de l’effort.