Des nouvelles de l’absurde, Correction automatique
Pourquoi les nouvelles rencontrent-elles si peu de succès en France ? C’est une question que nous sommes en droit de nous poser quand nous lisons l’excellent recueil de nouvelles et microfictions (son septième) de l’écrivain israélien Etgar Keret, né en 1967, traduit dans une quarantaine de pays, excellant dans l’écriture d’histoires brèves, singulières et percutantes. Elles sont ici au nombre de 33, ont trait à des mondes parallèles, à l’intelligence artificielle, aux métavers, aux créatures informatiques, aux réseaux sociaux, à la résurrection, aux extraterrestres, au service militaire, à la guerre et à Dieu – l’écrivain se présente comme juif agnostique. En réalité, les histoires d’Etgar Keret, qui se déroulent pour la plupart quelques dizaines d’années dans le futur, parlent du couple, de l’amitié, de la fraternité, d’espoir et son contraire. Précisons que les accidents de voiture ne sont pas rares chez lui. Il fait sombre chez Keret mais face au chaos de la vie et à l’absurdité de la mort, il semble nous dire « rions tant qu’il en est encore temps » avec tous ces cinglés, ces familles déjantées et ces couples névrosés qui ne maîtrisent pas grand-chose. Keret a raison : le futur n’est plus ce qu’il était. Pour mieux comprendre la tendance de Keret (par ailleurs scénariste de bandes dessinées et réalisateur) à placer ses personnages dans des situations complètement folles où elles se trouvent démunies, à marier l’humour au désespoir, notons qu’il a écrit ce livre durant le Covid et qu’il vit en Israël, deux faits non négligeables. Deux de ses nouvelles seulement (Intention et Gondole) ont été écrites après le 7 octobre. En attendant les extraterrestres, lisons cet écrivain, c’est ce que nous avons probablement de mieux à faire.
© Correction automatique, d’Etgar Keret, éd. de l’Olivier, 206 p., 22, 50€
Ensemble, c’est tout, Toi
Il y a ceux qui comprendront ce que confie Hélène Gestern à propos de son chat. Qui se reconnaîtront dans l’amour qu’elle voue à sa douce et intelligente Mimi, la complicité qui les lie, les souvenirs qui embrasent le cœur mais font craindre le pire quand l’animal adoré ne sera plus. Qui souriront lorsqu’elle confie que chacune a illuminé la vie de l’autre. Et puis il y a les autres. Qui jugeront que tout cela est excessif, ce n’est qu’un chat, il y a des limites tout de même. Ce sont deux mondes incompatibles, Hélène Gestern en a conscience et fait fi de ces derniers, bien souvent donneurs de leçons. Dommage, car ils ne savoureront pas à leur juste valeur les propos magnifiques de la romancière de 555 et de Cézembre qui raconte « dix ans d’amour fou » pour son chat, mais pas seulement. Il est aussi question d’abnégation, de sacrifice, de rapports détériorés, de culpabilité quand Mimi tombe gravement malade.
© Toi, d’Hélène Gestern, éd. Seuil, col. Le Bar de la sirène, 94 p., 14€
Une maison remarquable, La Villa
La villa dont hérite Brigitte Benkemoun à la mort de ses parents, tout près d’Arles, n’est pas n’importe quelle villa. Construite par l’architecte Émile Sala dans les années 70 à l’initiative de ses parents, elle est exceptionnelle de par ses volumes grandioses en béton incurvé, ses formes organiques et son modernisme. Le prestige de l’endroit est une première charge, non négligeable. La seconde est davantage un questionnement : pourquoi Pierre et Simone, ses parents, de modestes juifs d’Algérie, originaires de Sidi Bel Abbès, « deux jeunes quadras typiques des années Pompidou », choisissent-ils ce projet hors-norme et osé ? Brigitte Benkenoun remonte peu à peu le fil, avec interrogations, déceptions et enthousiasmes à la clé. En dressant le portrait réussi, tendre et sans concessions d’une famille, la sienne, et surtout d’un homme, son père, un optimiste d’une grande générosité, elle inscrit sa famille dans une époque, dans une intimité, et le mystère perd de son épaisseur. Il est alors possible pour elle d’envisager l’avenir de la Villa Benkemoun, avec davantage de sérénité.
© La Villa, de Brigitte Benkemoun, éd. Stock, 204 p., 19, 50€
Zzzzzz, Petite philosophie de la sieste
Quoi de mieux durant les vacances que de se plonger dans un ouvrage consacré aux bienfaits de la sieste, écrit par un homme doté d’une solide culture et, cela va de soi, grand amateur de sieste, cet « entre-deux subtil arraché à l’horloge » ? Cette invitation au pays des songes passe par bien des chemins : la peinture, le cinéma, la mythologie, la poésie, la médecine, le rêve, l’histoire, l’étymologie… La sieste a de nombreuses vertus mais hélas, mauvaise presse dans nos sociétés, et cela ne date pas d’hier. Pourtant, elle répare nos nuits, mais aussi notre âme, notre corps, et réveille notre inspiration.
© Petite philosophie de la sieste, de Sébastien Spitzer, éd. de la Martinière, 144 p., 14,90 €