Depuis la blessure de Scott Barrett, c’est Ardie Savea qui porte le brassard des All Blacks. Et ce retour au premier plan a probablement changé bien des choses, chez les Kiwis…
Depuis que Scott Barrett a quitté le terrain de Dunedin sur blessure, le brassard a retrouvé un biceps familier : celui d’Ardie Savea. Le flanker des All Blacks, jamais aussi fort que lorsqu’il porte plus que ses 105 kilos, incarne une autre idée du capitanat. Moins rugueux, plus incandescent. Moins imposant, plus inspirant. Un leader qui ne crie pas forcément plus fort que les autres, mais dont chaque mot semble venir de plus loin. Il disait récemment à nos confrères de Newstalk : « Devenir capitaine, ce fut au départ un choc. Je n’avais jamais envisagé ça. Quand on me l’a annoncé, j’ai tremblé. J’ai prié. J’ai laissé mon esprit me guider. » Et puis, il a compris : il ne portait pas qu’un maillot noir. Il portait un héritage. Celui de ses parents, Lina et Masina, qui ont quitté les îles Samoa pour construire un avenir, en Nouvelle-Zélande. Son père, boulanger de nuit, « façonnait des pains jusqu’à l’aube. Le four était son domaine, la farine son quotidien. » Chez les Savea, les matins sentaient la croûte chaude et la simplicité. « On mangeait des tartes gratuites au petit-déjeuner, au déjeuner, au dîner… Ça n’avait rien de luxueux mais on ne manquait de rien. […] Mes parents ont quitté leur terre pour nous offrir une chance. Et quand j’ai été nommé capitaine des All Blacks, je me suis souvenu d’eux. De leurs sacrifices. De leurs nuits blanches. Et j’ai compris, en quelque sorte, que je portais leur rêve. » C’est peut-être là, dans cette mémoire familiale, que se cache le feu qui brûle en Ardie. Pas dans les muscles, la gloriole ou les statistiques. Mais dans les origines. Le nom « Savea », autrefois « Saveatama », charrie les histoires des villages de Luatuanu’u et Si’umu. Son prénom, lui, vient d’un parrain maori, Arthur Reihana – dit Ardie lui aussi- qui fut le coéquipier de son père dans un modeste club de Wellington. « Il était petit mais papa a toujours dit que c’était le mec le plus costaud du terrain. Comme lui, je ne suis pas très grand (1, 88m) pour un flanker international. Mais je pense avoir du cœur ».
Le capitaine des « brown brothers »
Ardie Savea, élu meilleur joueur du dernier Super Rugby malgré le fait d’avoir évolué toute la saison chez les modestes Moana Pasifika, est de cette génération qui parle rugby mais aussi inclusion, représentativité, culture. Il défend surtout l’idée que les All Blacks doivent désormais évoluer, s’ouvrir au monde, cesser de bouder leurs soldats d’outre mer. « Il y a un pays qui a prouvé que cela fonctionne, c’est l’Afrique du Sud. La majorité de leur équipe joue en Europe ou au Japon mais lorsque les Springboks se rassemblent, ils gagnent la Coupe du Monde. » Il rêve d’un rugby qui s’adapte. Qui ose. « Les choses doivent évidemment évoluer, appuie-t-il. Je ne dis pas qu’il faut tout bouleverser du jour au lendemain mais il est temps de grandir, de s’adapter à un monde qui bouge. » Ce monde, Savea le regarde aussi depuis le Japon, où il a joué et rejouera bientôt pour le club de Kobe. Là-bas, dit-il, l’amour des supporters est inconditionnel. « Même si le club perd trois matchs, les fans sont là, fidèles, le sourire aux lèvres, brandissant leurs pancartes. En Nouvelle-Zélande, perdez-en un seul et on réclame déjà votre tête. »
Hors rugby, Ardie est aussi designer, entrepreneur, amoureux des nouvelles technologies. Le rugby de demain ? Il l’imagine connecté, immersif. « Avec le métavers, conclut-il au micro de nos confrères kiwis, on pourra bientôt être au stade sans y être, ressentir chaque impact, voir chaque goutte de sueur tomber sur la pelouse, tout en restant à l’autre bout du monde. Ce serait incroyable, franchement. » Certains riront, d’autres grinceront. Mais lui trace sa voie. Une voie à contre-courant, nourrie d’histoire et d’espoir. Il est le capitaine des All Blacks, celui qui emmène avec lui les brown brothers (les îliens) qui ont tant de mal à prendre la roue du taiseux Scott Barrett, celui qui parle à ceux qu’on n’a pas toujours écoutés, celui qui montre qu’il n’est pas nécessaire d’être le plus grand pour voir plus loin.