Dans un étonnant numéro d’équilibrisme politique, Johanna Rolland a fait savoir, dans un communiqué publié en son nom propre, son «opposition de principe» aux centres de rétention administrative, «prisons du désespoir où la dignité humaine est piétinée».

Sabre au clair, mais avec une lame émoussée. Pressée par sa gauche de clarifier sa position sur l’installation prochaine, à Nantes, d’un centre de rétention administrative (CRA), la maire socialiste de la cité des ducs, Johanna Rolland, s’est prononcée – après trois années de statu quo – contre ce dossier devenu un point de crispation entre les forces de gauche. «Au vu des conditions de détention, je dis ici mon opposition de principe, dans le pays, aux CRA», a annoncé l’édile, le 10 juillet, dans un communiqué diffusé en son nom propre. Une position qu’elle assume «comme responsable politique de gauche, comme femme» et «comme citoyenne» – mais qui est aussi une manière de claironner, tout en s’avouant pieds et poings liés. Car, précise-t-elle : «Comme maire, je n’ai pas de levier juridique pour m’y opposer».

Par ces explications, Johanna Rolland laisse entendre que l’annonce de l’installation du CRA, présentée en octobre 2022 par un communiqué commun de la ville de Nantes et du ministère de l’Intérieur, se serait faite au détriment de ses convictions. La mise en chantier était mentionnée à la fin d’une série de mesures prises «pour la sécurité des Nantaises et des Nantais», dont des renforts de CRS. L’ensemble avait été présenté, main dans la main, après la rencontre entre l’édile et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin. Depuis, alors que la gauche radicale nantaise s’indignait en tribune et dans la rue du chantier à venir, l’édile se contentait de faire profil bas au sujet de ce CRA, source de divergences parmi les barons socialistes locaux.


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Une parole sans action

Mais c’était sans compter sur l’ambition partagée, à gauche, de former une liste commune pour le premier tour des élections municipales, en mars 2026. Les paramètres de cette hypothétique alliance sont en cours de négociation. Délestée de sa cocarde d’élue, la maire de Nantes peut distribuer en toute liberté des gages idéologiques à ses partenaires. Coïncidant avec l’adoption, le 9 juillet, de l’élargissement de la durée de maintien en rétention administrative d’étrangers en instance d’expulsion, sa prise de position contre les CRA – assimilés à «des prisons du désespoir où la dignité humaine est piétinée» – a ainsi donné satisfaction à des écologistes nantais, heureux de voir Johanna Rolland montre patte blanche – ne serait-ce qu’à titre personnel.

Bien qu’englué dans une crise interne depuis quelques semaines, le mouvement insoumis nantais prend également acte de la déclaration du 10 juillet. Le numéro d’équilibriste de Johanna Rolland est cependant plus fraîchement accueilli par William Aucant, co-chef de file de La France insoumise dans la cité des ducs, partisan d’une ligne claire et sans ambiguïté. Et de l’action jointe à la parole. «La candidate s’exprime… mais la maire reste silencieuse. Et sur un sujet aussi grave que l’enfermement administratif, c’est bien la parole de la fonction de maire, la responsabilité politique, qui est attendue. Celle qui engage une ville face aux politiques d’État discriminatoires. Celle de Nantes qui refuse, haut et fort, ces lieux d’enfermement, d’opacité et d’indignité. Alors, après ce communiqué, en plein été… la maire de Nantes va-t-elle interpeller publiquement l’État ou Bruno Retailleau  ?».

«La sécurité ne se négocie pas»

Face à l’opportunisme patent d’une déclaration dégainée à huit mois des élections, les réactions de la droite nantaise ne se sont pas non plus fait attendre. «La candidate dit le contraire de la Maire. Madame Rolland est prête à tout pour un accord. La sécurité ne se négocie pas !», a réagi Julien Bainvel, l’un des deux candidats déclarés de la droite à Nantes. «Après trois ans d’un silence coupable sur ce sujet, la maire de Nantes cède aux écolos et à LFI, histoire de sceller l’alliance mortifère pour 2026», regrette également Foulques Chombart de Lauwe, le second candidat conservateur qui accuse l’intéressée de «renier sa parole de maire».

À Paris, la place Beauvau laisse couler. Le communiqué personnel de Johanna Rolland n’est pas jugé de nature à remettre en cause les engagements de la mairie de Nantes. «Elle met ce sujet dans l’atmosphère pour faire de la politique», glisse l’entourage du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Soit une manière pour Johanna Rolland de s’attirer les bonnes grâces des opposants au CRA sans faillir à la «coopération efficace» établie avec Beauvau en 2022, à l’époque où l’élue paraphait un communiqué dont les premiers mots s’ouvraient sur «la gravité de la situation de l’insécurité à Nantes».

Le chantier du CRA nantais devrait commencer courant 2026, pour une livraison vers la fin 2027. Doté de 140 places, il sera l’une des plus importantes structures du genre en France. Institués à la fin des années 1970, les CRA permettent l’enfermement des étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement, dans l’attente de leur renvoi forcé. Plus de 74% des personnes en séjour en CRA sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), indiquait le rapport 2023 de la Cimade sur ce type d’établissement. La même année, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté critiquait, dans un rapport transmis au gouvernement, les conditions de vie indignes des personnes retenues au sein d’une partie de ces centres.