Opinion
Livre –
Le Napolitain Erri De Luca nous parle de ses «saveurs familières»
L’ouvrage nous parle d’une Italie populaire en voie de disparition. Son auteur est certes un gourmet, mais il sait rester frugal.
Publié aujourd’hui à 18h33
Erri De Luca, qui est l’auteur d’une œuvre littéraire considérable.
RTS, Capture d’écran.
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Le titre met l’eau à la bouche. Normal! Il est supposé se révéler apéritif. Erri De Luca va nous faire ses «Récits de saveurs familières». Avec le Napolitain, on imagine tout de suite la cuisine généreuse du sud de l’Italie. Les pages devraient du coup dégouliner de sauces à la tomate, puis des restes fondants d’une «cassata» anciennement glacée. C’est oublier que l’écrivain, aujourd’hui âgé de 75 ans, reste un frugal et un austère. Ancien militant d’extrême gauche et aujourd’hui encore alpiniste chevronné, l’homme n’est pas poussé aux excès de table. Il suffit de regarder sa silhouette émaciée. N’est entré dans son corps que le minimum de nourritures terrestres bien choisies. La preuve, Erri (comme Harry à la suite des goûts anglophiles de ses parents) écrit cette fois à quatre mains avec Valerio Gallasso. Un nutritionniste. Or vous savez comment sont ces gens-là. A force de vous dire que tel mets est mauvais et tel autre pire encore, ils finiraient par vous faire croire que le seul choix raisonnable reste encore l’anorexie.
Un récit de vie
Paru chez Gallimard, comme la plupart des ouvrages de l’auteur, «Récits de saveurs familières» semble déraper dès les premières pages. De Erri nous déroule ici son parcours de vie, à partir de ses premières années dans une famille bourgeoise paupérisée par la guerre. Il nous raconte son engagement politique à Rome au tournant des années 1970, alors que les activistes italiens de Mai 68 se radicalisaient parfois jusqu’au terrorisme. Puis son engagement tout court dans les usines turinoises, qui fonctionnaient alors à plein régime. Un choix politique. Le fameux «retour à la base». Puis viendra le temps des désillusions. Les ouvriers, qui avaient obtenu quelques victoires, se voient licencier les uns après les autres vers 1980. L’Italie a cessé de s’axer sur le secondaire. Le tertiaire fait nettement plus chic et surtout moins syndicalisé.
Le temps des «piole»
Le lecteur naïf, dont je suis, se demande ce que la gastronomie vient faire là-dedans. Rien ici n’évoque «La grande bouffe» d’un autre Italien, le cinéaste Marco Ferreri, ni les restaurants étoilés des rues chics de Milan. Nous restons ici dans l’ambiance conviviale de «piole» (ou tavernes), qui ont depuis longtemps disparu. Ces lieux finissaient jadis par devenir des résidences secondaires. Une chose qui ravit Erri De Lucca. Pour lui, toute bonne cuisine doit demeurer d’essence populaire. Ce qui est d’ailleurs vrai en Italie, où les tables élégantes font vite chichiteux. D’où des pages savoureuses sur les châtaignes, la morue (devenue en 2025 un plat cher), la «parmigiana» d’aubergines, le café, la dinde à la «canzanese» ou la tarte aux fraises. On le constate. La gourmandise n’a pas perdu ses droits chez l’écrivain. Mais tout doit se manger avec modération, en se montrant reconnaissant à la nature d’avoir produit toutes ces bonnes choses. Nous sommes en compagnie d’Erri De Luca dans une Italie d’avant les supermarchés, où le froid et le film de plastique ont fini par tuer le goût.
Une obsession maladive
Aux envolées nostalgiques de l’auteur, qui nous parle ainsi d’un monde perdu, répond à chaque fois un texte médical de son acolyte. Ce dernier nous fait une leçon de morale diététique. On sait à quel point la santé est devenue de nos jours une obsession maladive. C’est pour notre bien, naturellement, mais le bien a souvent quelque chose de triste. Cela me fait penser à une vieille histoire drôle. Un patient âgé va chez son médecin avec une question: «Je ne fume pas, je ne bois pas, je dors régulièrement et je ne copule pas. Est-ce que je peux espérer vivre très longtemps»? Sur quoi le praticien lui répond: «Mais pour quoi faire?» Trop de sagesse finit par donner l’impression d’avoir passé à côté. Erri De Luca sera au moins révélé gourmet, à défaut de s’être montré gourmand et encore moins glouton… Il est ainsi «nouvelle cuisine» en version peuple.
Pratique
«Récits de saveurs familières», d’Erri De Lucca, traduit par Danièle Valin, aux Editions Gallimard, 253 pages. Le livre se termine avec un choix de recettes napolitaines à expérimenter.
Né en 1948, Etienne Dumont a fait à Genève des études qui lui ont été peu utiles. Latin, grec, droit. Juriste raté, il a bifurqué vers le journalisme. Le plus souvent aux rubriques culturelles, il a travaillé de mars 1974 à mai 2013 à la «Tribune de Genève», en commençant par parler de cinéma. Sont ensuite venus les beaux-arts et les livres. A part ça, comme vous pouvez le voir, rien à signaler.Plus d’infos
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