Après plusieurs mois de flou autour de ce projet lancé par son prédécesseur Éric Dupond-Moretti, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a confirmé l’intention de l’État de construire une cité judiciaire dans un quartier peu fréquenté, aux portes de la ville.
Éric Dupond-Moretti était venu annoncer ce projet en grande pompe. En novembre 2023, le garde des Sceaux le clamait haut et fort : un big bang judiciaire allait se produire dans la cité phocéenne. Dans la deuxième ville de France, la justice est actuellement rendue dans sept lieux différents, dont deux sites loués, pour faire face au flux quotidien d’affaires. À l’image de ce qu’avait connu Paris quelques mois plus tôt, Marseille allait enfin bénéficier d’une cité judiciaire, regroupant toutes les juridictions de la ville dans une seule et même tour.
Sur ce point, le consensus était plutôt large. Les baux des deux sites loués par le ministère de la Justice arrivant bientôt à expiration, et ces lieux étant éloignés les uns des autres dans une ville deux fois plus étendue que Paris, avec un réseau de transports en commun insuffisant, la nécessité d’un regroupement se faisait sentir. «Même pour nos clients, ça devenait difficile», reconnaît la bâtonnière du barreau de Marseille, Me Marie-Dominique Poinso-Pourtal.
Mais le lieu retenu par le garde des Sceaux a fait jaser sur le Vieux-Port. Pour ce nouveau projet, Éric Dupond-Moretti avait annoncé la délocalisation de l’ensemble des sites, et notamment le principal, du cœur de ville vers le quartier d’Arenc, dans le 2e arrondissement. Aux portes du centre-ville, ce quartier encore peu développé compte plusieurs gratte-ciel récents, dont le siège de la CMA-CGM, et est desservi à son terminus par une ligne de tramway, à quelques encablures des quartiers nord.
Sur recommandation du préfet
Ce bouleversement a surpris les avocats, dont la grande majorité a ses bureaux dans le 6e arrondissement, près de l’actuel palais de justice et de ses nombreux commerces. L’enthousiasme n’était donc pas au rendez-vous au barreau de Marseille. D’autres pistes avaient été évoquées après cette annonce tonitruante, comme celle d’installer cette cité judiciaire à la place des Galeries Lafayette, qui doivent quitter leurs locaux près de la Canebière.
Mais la semaine dernière, après plusieurs mois d’incertitude, Gérald Darmanin a tranché. Selon des informations de La Provence, confirmées par plusieurs sources concordantes au Figaro, le ministre de la Justice a annoncé, lors d’une réunion avec différentes parties prenantes, son intention de poursuivre le projet initié par son prédécesseur Éric Dupond-Moretti, et dans le quartier désigné. Il a suivi les recommandations du préfet nouvellement installé Georges-François Leclerc, qui avait rendu son avis sur le sujet il y a déjà plusieurs mois, à l’issue d’une concertation. Les participants à cette réunion n’auraient formulé aucune opposition à ce projet hier controversé.
«C’est plus un choix de raison que de cœur, soupire Me Marie-Dominique Poinso-Pourtal. On a l’impression que la décision était déjà prise. Il n’y avait pas d’autres choix, puisque aucune collectivité locale n’a proposé du foncier dans le centre pour accueillir une cité judiciaire. » «Nous préférions un maintien dans le centre-ville, mais c’est l’État qui a la main et nous ne sommes pas décideurs», estime-t-on dans l’entourage du maire de Marseille Benoît Payan. Le ministre aurait demandé que les études sur ce projet soient lancées le plus rapidement possible, afin, selon un participant à cette réunion, «d’appuyer rapidement sur le bouton.»
Mais avec quels moyens ? Le projet a été évalué à 360 millions d’euros, dans une période où la disette budgétaire est de mise. «Il reste un suspens sur le schéma de financement qui devrait être donné à la fin de l’été», croit-on savoir dans l’entourage de Benoît Payan. «On espère que la possible instabilité économique ne remette pas le projet en cause», s’alarme-t-on dans l’entourage de Renaud Muselier, le président du conseil régional. Selon plusieurs sources concordantes, l’État aurait obtenu des collectivités qu’elles participent à parts égales aux études.
La décision suscite l’incompréhension du monde économique marseillais. «Darmanin est un Parisien et il dit ce qu’il veut, mais nous, on connaît Marseille, et construire cette cité judiciaire est une idiotie, tempête Bernard Marty, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) dans les Bouches-du-Rhône. Pourquoi faire quitter le tribunal du centre-ville ? À moins de vouloir faire du centre-ville un no man’s land ? C’est une perte énorme pour les commerçants. J’aimerais que les Parisiens fassent leurs choix pour chez eux ! » «Dans l’étude que nous avions réalisée sur le sujet, nous avions estimé que le personnel du ministère de la Justice consommait chaque année dans le centre-ville pour 18,3 millions d’euros, rappelle Jean-Luc Chauvin, le président de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille. Je partage l’inquiétude des commerçants du centre-ville qui se sentent menacés. On leur enlève une locomotive économique. Il faut vraiment qu’on se mette autour de la table pour mettre des moyens, y compris l’État, pour sauver le centre-ville. » Selon cette même étude de la CCI, 300 commerces se trouvent à dix minutes à pied de l’actuel palais Monthyon, site historique du palais de justice de Marseille.