Quand une simple affaire de quartier tourne à la lutte des classes. Depuis plusieurs jours, l’installation d’un Carrefour city dans le 6e arrondissement de Paris déchaîne les passions dans un feuilleton de l’été digne de « Dolmen » ou « Cœur Caraïbes » tant par son sujet que par l’identité des protagonistes.

Depuis plusieurs semaines, une rumeur agite le quartier de Notre-Dame-Des-Champs, dans le 6e arrondissement de Paris. A quelques encablures du jardin du Luxembourg, située entre la rue Bréa et la rue Vavin, la petite place pavée « Laurent Terzieff et Pascale de Boysson », pourrait changer de visage.

Un petit marché vu comme une « nuisance » par 3.000 signataires

Il se dit que le local commercial situé à l’angle des deux rues pourrait accueillir au courant de l’été (l’installation serait prévue le 21 août) un Carrefour City, là où, il y a quelques mois encore, trônait un magasin de jouets Oxybul. Une hérésie pour les habitants du quartier qui voient cette installation d’un très mauvais œil.

D’abord parce qu’elle jurerait avec les cafés, la fontaine Wallace et l’immeuble classé d’Henri Sauvage. Mais surtout parce que les riverains craignent pour « les nuisances », « les risques pour leur sécurité » ou « la peur de voir les déchets s’accumuler », citant pêle-mêle la mendicité, une nouvelle population tentée de venir se fournir en alcool le soir, etc.

Aussi, pour sauver leur quotidien en péril, nombre d’entre eux (environ 3.000 selon les différentes sources), ont signé la pétition lancée par l’ancien journaliste, devenu consultant, Bruno Segré qui expliquait en juin à nos confrères du Parisien qu’il existe « des familles qui s’inquiètent que les enfants désertent les cantines pour se retrouver sur la place à midi » ou que « si la vente d’alcool est encadrée, la tentation existe pour les mineurs ». Des craintes légitimes puisque la place est déjà le lieu de rendez-vous des pensionnaires d’établissements très huppés : Faculté de droit Assas, lycée Montaigne, Ecole alsacienne, groupe scolaire Notre-Dame de Sion, ou un peu plus loin, l’école Stanislas.

Qui a vraiment signé ? Et surtout pour quoi ?

Une pétition qui a pris une tournure médiatique (et dramatique) depuis un article publié par nos confrères du Monde et qui donne les noms de quelques riverains signataires prestigieux, confirmant des informations du média La Lettre. Jugez un peu : l’ancien ministre Jacques Toubon, le chanteur Alain Souchon et ses deux fils, l’essayiste Alain Finkielkraut, l’avocate Sylvie Topaloff, l’éditorialiste Ruth Elkrief, l’acteur Pierre Richard ou encore l’actrice Catherine Frot.

Plusieurs d’entre eux ont depuis réfuté, de manière partielle, comme Ruth Elkrief qui dit avoir attesté de son opposition au nouveau Carrefour, mais pas avoir signé, ou Pierre Richard, qui, à travers une vidéo, dément même habiter dans l’arrondissement (Il s’agissait en réalité de son homonyme, le banquier et fondateur de Dexia).

L’homme d’affaires Denis Olivennes avance que la pétition n’était pas très précise sur son objectif, quand d’autres affirment que leur signature aurait été « piratée » ou « imitée ».

Entre mépris et lutte des classes, les justifications agacent

Mais ce qui a surtout soulevé les commentaires, ce sont certaines justifications données à cet élan de voisinage : plaintes sur la fermeture des lieux culturels, multiplication des Airbnb, remplacement des petites enseignes par des grandes chaînes… ce que vit le reste de la capitale en somme.

Oui, mais ce quartier n’est pas le reste de la capitale comme le confie au Monde une riveraine qui garde l’anonymat : « C’est un quartier résidentiel, pas un quartier ouvrier. Il faut tenir compte du biotope, c’est de la sociologie ! » Des propos qui relèvent d’un entre-soi, vécu sur les réseaux sociaux comme une marque de mépris, de rejet même, de classes aisées envers le reste de la population.

Même la députée socialiste de la 11e circonscription, Céline Hervieu, est prise à partie pour ses mots rapportés dans l’article : « Dans le 6e, on est différent, on a envie de garder nos spécificités, l’aspect culturel de Montparnasse, l’accès au beau, une qualité de vie… Ne pas être dans cette marche forcée », explique-t-elle pour rejeter « une forme d’uniformisation ».

« Tout ce beau monde a survécu » aux logements sociaux

Si un grand nombre d’internautes a choisi la voie de la moquerie pour commenter l’affaire, beaucoup s’indignent d’une vision de classe des riverains : « Illustration de la cassure […] entre une élite engluée dans l’entre-soi satisfait et prétentieux, et une classe moyenne méprisée », « Ça fait la leçon aux Français qui ne veulent pas des centres pour migrants dans leur village… Mais ça soutient des bobos qui refusent un Carrefour City… », « La déconnexion totale des élites parisiennes qui considèrent qu’un Carrefour City va attirer des nuisances liées à une clientèle populaire… », disent même certains qui raillent le côté « populaire » relatif de l’enseigne dédiée au commerce de proximité de Carrefour.

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Même Ian Brossat, sénateur communiste de Paris, y va de sa raillerie en soulignant la création récente de logements sociaux dans le quartier à laquelle « tout ce beau monde a survécu ».

Le maire du 6e estime avoir sauvé les meubles

Accusé de trahison par les riverains qui attendaient de lui qu’il fasse front commun, le maire LR du 6e arrondissement, Jean-Pierre Lecoq répond et relativise. « D’abord, je dois encore préciser que je n’ai pas de pouvoir sur cette décision. Comme à Lyon ou Marseille, à Paris, le maire d’arrondissement ne peut qu’émettre un avis. La décision finale revient à la Mairie de Paris », précise-t-il à 20 Minutes. Cet avis, il l’a déclaré favorable, à la stupéfaction des habitants du quartier : « En 1996, je m’étais opposé à l’implantation d’un McDo, et c’est pour cette même raison que j’ai accordé mon avis ici. Pour éviter qu’une marque de Fast-food ne vienne, avec tous les désagréments qui vont avec. J’ai même obtenu de Carrefour qu’ils ferment à 22 heures, ce qui n’est pas une mince affaire. J’ai jugé que Carrefour était moins dangereux pour le secteur qu’un fast-food. »

« C’est le produit d’une évolution sociétale et économique. Des épiciers avec le béret et le tablier, ça n’existe plus. Des enseignes comme Oxybul ont fait le choix du tout Internet, ça non plus je n’y peux rien », justifie l’édile qui tient tout de même à positiver. « Oui, il y a une spécificité. Oui le 6e arrondissement est un endroit béni des dieux, et ses habitants paient 30.000 euros le m2 pour cela et veulent garder cette vie un peu spéciale. Mais il le reste, même avec un Carrefour City en bas de chez vous. »

« On a tous le droit de défendre l’endroit qu’on aime et où on vit »

Une idée également défendue par Céline Hervieu qui, auprès de 20 Minutes, regrette que ses propos aient été isolés (et parfois confondus avec ceux de la riveraine anonyme) et pointe un article « à charge » : « Mes propos ont en effet été sortis de leur contexte, mais sur le fond je suis et reste opposée à l’ouverture de ce nouveau supermarché dans un quartier qui en comprend déjà cinq dans les 200 m alentour. […]. C’est la défense de nos commerces de proximité qui est en jeu. Qu’on soit du 6e ou d’ailleurs, on a le droit de vouloir préserver un tissu économique de proximité, des immeubles spécifiques et leur urbanisme, j’aurais pu dire la même chose de n’importe quels villes ou villages de France. On a tous le droit de défendre l’endroit qu’on aime et où on vit, peu importe que ce soit en plein Paris ou ailleurs. »