Sur les terres agricoles d’Europe, les pesticides façonnent depuis des décennies une partie invisible mais décisive de la production alimentaire. Malgré des règlementations communes et des objectifs affichés de réduction, leur usage persiste à grande échelle, avec des écarts marqués entre les pays. Tandis que la France figure parmi les plus gros consommateurs en volume, d’autres États battent des records en densité par hectare. Loin de disparaître, les pesticides en Europe dessinent aujourd’hui une carte contrastée, révélatrice des tensions entre ambitions sanitaires, contraintes agricoles et inerties politiques. Au cœur de cette équation, des chiffres qui interrogent et une volonté encore incomplète de transformation.
usage des pesticides à travers une série de directives et de règlements. Le cadre législatif initial, mis en place en 1991 puis renforcé en 2009, impose une autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires basée sur une liste harmonisée de substances actives. Ces règles, précisées par le règlement européen 1107/2009, fixent également les conditions d’usage dans chaque État membre. Selon la Commission européenne, l’objectif reste d’harmoniser les pratiques tout en incitant à réduire l’impact de ces produits sur l’environnement et la santé humaine.
Pourtant, malgré ces dispositifs, la baisse globale de l’usage des pesticides reste modérée. Eurostat indique que les ventes sont passées de 360 000 tonnes en 2011 à 322 000 tonnes en 2022. Une évolution en apparence encourageante mais qui masque une stagnation quand on la rapporte à la surface cultivée. La moyenne européenne est passée de 3,07 kg par hectare en 2012 à seulement 2,89 kg en 2022.
Ce ralentissement s’explique en partie par la lenteur des changements agricoles, mais aussi par les tensions autour des produits les plus controversés. Le glyphosate, classé comme cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer en 2015, continue d’être autorisé dans l’Union. Malgré l’opposition d’une partie des États membres, la Commission a renouvelé son autorisation pour dix ans en novembre 2023.
Où en est l’usage des pesticides en Europe aujourd’hui
Le recours aux pesticides varie fortement d’un pays à l’autre. En 2022, Malte occupait la première place en termes de quantité par hectare, avec 11,59 kg de pesticides utilisés. Suivaient les Pays-Bas et Chypre avec respectivement 8,38 kg et 8,36 kg. À l’inverse, la Roumanie, la Suède ou encore l’Estonie affichaient une consommation inférieure à 1,1 kg par hectare. La moyenne de l’Union se situait alors autour de 2,89 kg, selon les données reprises par Toute l’Europe, un site de documentation de l’UE.
La France figure parmi les plus grands consommateurs en volume, avec près de 68 000 tonnes utilisées en 2022. Mais elle ne se situe que légèrement au-dessus de la moyenne lorsqu’on rapporte ces chiffres à la surface agricole, avec 3,77 kg par hectare. Public Sénat précise que l’Italie et l’Allemagne affichent des taux plus élevés, respectivement 4,69 et 4,06 kg par hectare.
En parallèle, les produits autorisés varient d’un pays à l’autre. La base de données européenne recensait 283 substances autorisées en France en 2024, ce qui place l’Hexagone au quatrième rang des pays les plus permissifs. Le Parlement européen souligne cependant que moins d’un tiers des États membres ont actualisé leurs plans d’action nationaux de réduction dans les délais requis.
Réduire la dépendance aux produits chimiques reste un défi
Face à ce constat, l’Union européenne s’est dotée de nouvelles ambitions dans le cadre du Pacte vert. La stratégie “de la ferme à la table” visait à réduire de 50% l’usage des pesticides chimiques d’ici 2030. Pour accompagner cette transition, une directive sur l’usage durable des produits phytosanitaires impose aux États membres de mettre en place des objectifs quantifiés, tout en promouvant des alternatives. Mais en novembre 2023, le Parlement a rejeté le projet de révision de cette directive, affaiblissant temporairement la dynamique réglementaire.
Le poids des lobbies agricoles, les différences de production entre États et le manque de solutions efficaces à grande échelle compliquent la mise en œuvre d’un modèle moins dépendant des intrants chimiques. Le Parlement européen, qui a joué un rôle moteur dans la réglementation REACH et l’interdiction des substances les plus dangereuses, appelle pourtant à une refonte globale des politiques chimiques, en particulier pour limiter les risques liés aux perturbateurs endocriniens ou aux polluants organiques persistants.
Les États membres conservent une marge de manœuvre importante, notamment via les autorisations d’urgence, qui permettent un contournement temporaire des règles européennes pour faire face à des menaces ponctuelles sur les cultures. La Commission reconnaît que ces dérogations, bien que strictement encadrées, fragilisent parfois les efforts collectifs. Si certains pays ont déjà amorcé une transformation profonde de leurs pratiques, l’harmonisation des usages et la réduction effective des volumes restent inabouties à l’échelle du continent.