Le 3 juillet, Jeanne Barseghian déclarait sa candidature pour les municipales 2026. La première maire écologiste de la capitale alsacienne défendra ainsi son bilan face à une opposition encore dispersée mais déjà prête à prendre sa place. Avant les vacances et surtout avant la rentrée politique, on a rencontré la maire de Strasbourg pour faire le bilan après 5 ans de mandat.
Le 28 juin 2020, une vague verte déferlait sur Strasbourg : avec Place Publique, Génération.s et le PCF, Jeanne Barseghian et EELV remportaient la victoire politique avec 41,71 % des voix, devenant ainsi la première maire écologiste de l’histoire de la ville.
Cinq ans plus tard, Jeanne Barseghian est candidate à sa réélection. Et pendant toutes ces années, la ville a connu une succession de crises, de nombreuses transformations et aurait presque mérité un nouveau label de Capitale des polémiques.
Il y avait donc assez de matière pour un entretien avec la maire de Strasbourg, entre bilan, perspectives, violence en politique et future campagne.
© Anthony Jilli / Pokaa
Partie 1 : échecs et réussites, quel bilan pour le mandat ?
Lorsqu’on lui demande si son mandat a été une réussite, Jeanne Barseghian répond par l’affirmative. Elle mentionne ensuite un « programme ambitieux pour répondre aux besoins du quotidien et investir pour l’avenir », avec une attention particulière pour les domaines de l’enfance, de l’éducation et des familles.
Comme nous l’expliquaient en juin dernier Benjamin Soulet et Floriane Varieras, co-chef(fe)s du groupe écologiste au conseil municipal, Jeanne Barseghian insiste sur l’enfance : « On a presque doublé le niveau d’investissement pour l’éducation. » Dans les exemples concrets, la maire évoque la végétalisation des cours d’école, la création de deux nouveaux groupes scolaires, le recrutement de 90 ATSEM, l’ordonnance verte pour les femmes enceintes ou la gratuité des transports pour les mineur(e)s.
On a rempli la très grande majorité des engagements pris en 2020.
Jeanne Barseghian
Durant ce mandat, Jeanne Barseghian et son équipe ont également mené un travail d’état des lieux sur la vétusté du patrimoine municipal, en réalisant d’abord un inventaire complet. Un « énorme boulot pas forcément visible, mais qui nous a permis de voir l’état très dégradé de certains bâtiments », qui a ensuite permis de lancer des travaux d’ampleur. La Laiterie, le Musée alsacien, la Librairie Kléber, le cinéma Star Saint-Ex, le Palais des Fêtes ou plus tard l’Opéra et le Palais Rohan…
Côté écologie, la maire se félicite « d’adapter la ville aux changements climatiques », avec la rénovation thermique des bâtiments, la création de l’Agence du climat et en désimperméabilisant les sols, en ville et en forêt, « pour faire baisser les températures en période de canicule et prévenir les risques d’inondation ».
Jeanne Barseghian se réjouit aussi d’avoir « renforcé le statut européen de Strasbourg », avec l’occupation du bâtiment Osmose par le Parlement européen et le développement du nouveau quartier Archipel 2. De quoi faire parler certaines têtes d’affiche de l’opposition, qui dénoncent une attractivité strasbourgeoise rabougrie.
Sur le tram Nord, on peut dire de manière assez factuelle qu’il y a eu beaucoup d’instrumentalisation politique.
Jeanne Barseghian
Quand il s’agit d’évoquer les échecs, les exemples sont moins nombreux dans la bouche de la maire. Mais elle ne peut pas passer à côté de « la grosse déception » qu’a été l’avis défavorable du tram Nord. Un raté qu’elle explique d’abord par le manque d’adhésion autour du projet (une faute venant de leur part selon la maire), mais également par une « instrumentalisation politique » qu’elle dénonce : « Certains responsables politiques ont plutôt soufflé sur les braises, ont alimenté les inquiétudes et ont parfois diffusé de fausses informations. »
Désormais, c’est la convention citoyenne qui planche sur le sujet du tram Nord avec 100 personnes tirées au sort. « Un changement de méthode qui met les élu(e)s à distance », selon la maire, qui a hâte de voir les résultats. Si le procédé est critiqué par toute l’opposition strasbourgeoise, Jeanne Barseghian conclut : « Après, à chacune et chacun de s’en emparer dans le contexte des prochaines échéances électorales et du prochain mandat. » À coup sûr l’un des sujets les plus chauds des futures municipales.
© Dossier d’enquête publique / Capture d’écran
Partie 2 : polémiques et politiques, l’apprentissage en tant que maire
Pour son premier mandat en tant que maire, Jeanne Barseghian n’est pas forcément arrivée au meilleur des moments : « Il y avait le Covid, c’était très dur, il a donc fallu pour beaucoup d’élu(e)s apprendre très vite sur le tas en situation de gestion de crise. » La guerre en Ukraine et la crise énergétique, qui ont suivi, font dire à la maire : « On peut dire qu’on n’a pas été épargnés. »
Mais pour elle, cette succession de problématiques a conforté le fait que le cap choisi par elle et son équipe était le bon : « On se disait même qu’il fallait peut-être qu’on accélère encore plus dans l’adaptation de notre ville pour permettre de faire face à ces urgences climatiques et sociales. »
Je pense que le cap qu’on s’est fixé est juste, pas parce que je suis sectaire ou idéologique, mais parce que je vois des inquiétudes se confirmer. On a une telle responsabilité et il ne faut pas perdre de temps sur ces enjeux, donc parfois je me demande comment on peut encore tergiverser sur la nécessité d’une transition écologique.
Jeanne Barseghian
© Nicolas Kaspar / Pokaa
En plus de l’apprentissage du pouvoir, il a fallu apprendre à composer avec les polémiques, qui ont émaillé le mandat de Jeanne Barseghian. Si elle reconnaît « des maladresses » de leur part, la maire regrette « d’avoir passé beaucoup de temps à répondre à des polémiques souvent montées de toutes pièces au niveau national ou local, sur la base de fake news ».
Pêle-mêle : la mosquée Eyyûb Sultan, la rue Mélanie, l’extinction de la cathédrale, le pont tournant de la Petite France, les produits autorisés au marché de Noël, la Foire Saint-Jean…
Des polémiques qui peuvent être lues selon Jeanne Barseghian dans un contexte plus global « d’écolo-bashing », après la vague de 2020 où plusieurs grandes villes sont passées sous giron écologiste.
« Ça a été une surprise car certains imaginaient les écologistes comme étant minoritaires et pas comme une force pouvant être aux responsabilités. Et ça a été vu comme étant une menace politique par le président de la République, par la droite et l’extrême droite, qui ont réagi en disant : « Il faut qu’on montre qu’ils ne sont pas capables de gérer en mettant des bâtons dans les roues. » »
Les responsables nationaux qui sont dans cette dialectique, parfois même climatosceptiques, ils sont irresponsables ; ce sont eux qui sont dans une idéologie complètement dépassée qui ne correspond plus à notre siècle.
Jeanne Barseghian
Un mécanisme « très organisé » selon la maire, et « relayé par un certain nombre de médias », particulièrement sur le sujet de la mosquée Eyyûb Sultan, un moment « très violent » pour elle et son équipe. Sauf que selon elle, l’effort a été vain : « Les projets qu’on mène sont plutôt plébiscités, ils peuvent faire débat, il y a même un débat sociétal sur les questions écologiques [on le voit en ce moment avec la loi Duplomb, ndlr]. Mais ce qui leur pose problème, c’est que les villes qu’on dirige ne se sont pas écroulées. »
La maire poursuit : « Globalement on a tenu les finances, on a des chiffres satisfaisants en matière de sécurité, en matière économique. Toutes les peurs et les inquiétudes qui s’étaient exprimées pour dire que les écologistes ne sauraient pas gérer sont finalement tombées à l’eau. On a lancé une dynamique qui doit pouvoir se poursuivre dans les prochains mandats. »
Pas sûr que ce discours ne fasse pas tousser l’opposition strasbourgeoise, elle qui n’a cessé de communiquer sur ses inquiétudes quant au creusement de la dette ou du manque de sécurité dans certains quartiers.
1. et 2. © Nicolas Kaspar / Pokaa ; 3. © Weber Keiling associes / Document remis ; 4. © DRLW Architectes / Document remis
Partie 3 : la maire et son image
Au-delà de l’apprentissage du pouvoir, ces 5 années de politiques et de polémiques ont cristallisé sur les réseaux un rejet assez fort de la personne de Jeanne Barseghian. Une donnée que la maire explique par « une violence qui s’exprime sans filtre, de manière souvent anonyme, symbolique de l’époque actuelle ».
Elle affirme d’ailleurs sa volonté de régulation des réseaux : « J’estime qu’il faut pouvoir réguler des commentaires qui contreviennent à la loi en étant sexistes, racistes, discriminatoires ou incitant à la haine et à la violence. »
De la même manière que moi je transforme la ville, la ville elle me transforme.
Jeanne Barseghian
Jeanne Barseghian évoque aussi la « crise de confiance des citoyens envers les institutions et envers les politiques en général ». Pour elle, la meilleure arme pour lutter contre ça, « c’est tout simplement le dialogue avec les gens au quotidien ». D’où l’idée de mettre en place à mi-mandat des cafés avec la maire, qui permettent de montrer aux habitant(e)s qu’elle n’est pas l’image qu’on peut lui donner sur les réseaux.
Elle détaille son rôle de maire comme une « vraie leçon d’humilité quotidienne, puisqu’on n’a pas la science infuse, parce que les dossiers sont complexes ». Ce qui l’oblige également à représenter l’ensemble des Strasbourgeois(es) et à ne pas « affirmer [ses] convictions telles que je les imaginais quand j’étais co-présidente du groupe écologiste sous l’ancien mandat ».
Mais dans la lignée de tout l’entretien, elle termine toujours par une réponse positive : « Ce poste, c’est beaucoup de travail, mais c’est aussi un immense plaisir au quotidien. »
© Nicolas Kaspar / Pokaa
Partie 4 : quelle future campagne pour les prochaines municipales et pourquoi y retourner ?
Ce plaisir est sans doute une des explications derrière l’annonce de la candidature de Jeanne Barseghian le 3 juillet dernier. Parce qu’après avoir pris autant de coups, après avoir été menacée de mort et même de viols, finalement, pourquoi y retourner ? Pour la maire, « il y a une forme d’évidence à poursuivre des projets qui ont été enclenchés et la certitude que ce cap de transition écologique et sociale, il fait encore plus sens en 2025 qu’en 2020 ».
Elle mentionne évidemment le tram Nord, mais également la gare à 360°, des projets avec une vision sur les 10/20 prochaines années, ou encore le travail sur les Halles, le Ring Vélo, la Colmarienne et Archipel 2. Une volonté de « changer la vie des gens et changer la ville », que la maire trouve « absolument passionnante ».
Avec cette candidature, la maire voulait aussi clarifier les choses : « Récemment, on me posait la question à peu près 25 fois par jour et à un moment, je me suis dit, puisque pour moi c’est évident, autant le clarifier et le dire. »
Je suis convaincue qu’un large rassemblement est nécessaire et pertinent pour Strasbourg.
Jeanne Barseghian
Néanmoins, il n’est pas encore l’heure de rentrer en campagne pour Jeanne Barseghian : « J’ai encore beaucoup à faire donc je rentrerai en campagne le plus tard possible. » Pour elle, cela devrait être aux alentours du début de l’année 2026. En attendant, l’heure est à l’élaboration du programme à partir de la rentrée de septembre ; une étape importante, qui « permettra de voir les nuances qui peuvent s’exprimer dans les différentes sensibilités de gauche, les points d’accord et les points de désaccord et ça permettra de clarifier le périmètre de la future majorité ».
En effet, alors que la droite et le centre parlent tous les jours d’union sans que les têtes d’affiche donnent pour l’instant l’impression d’être prêtes à s’effacer, les écologistes devront probablement eux aussi travailler à l’union à gauche. Il faudra sans doute négocier avec les communistes, qui ont désigné Hülliya Turan comme cheffe des futures discussions d’alliance, mais peut-être aussi LFI, qui n’a pour l’instant pas été tendre en local en réaction à la candidature de Jeanne Barseghian. Une chose est sûre, pour la maire : « Je souhaite que ce soit un rassemblement des forces de gauche, écologistes et citoyennes. »
La suite à partir de la rentrée.