L’affaire débute par un coup de fil dans le 14e arrondissement de Marseille début décembre 2024, lorsqu’une femme de 78 ans reçoit un appel d’une jeune femme se présentant comme sa conseillère financière. Au prétexte d’un piratage, la « banquière » parvient à mettre la septuagénaire en confiance au point de se faire communiquer les numéros et code de sa carte bleue, qu’elle accepte même de remettre à un coursier. Ainsi, c’est une autre jeune femme qui se présente à son domicile un peu plus tard dans la soirée. Et dans la foulée, des retraits et des achats frauduleux sont effectués à partir du compte de la victime, jusqu’au blocage de la carte.

Trois jours plus tard, dans le 9e arrondissement de Marseille, une deuxième victime dépose plainte. Cette fois, c’est une personne de 65 ans qui a fait les frais des escrocs selon un scénario tout à fait identique. À la division nord, les enquêteurs du groupe « atteintes aux biens » récupèrent les deux affaires, qui semblent l’œuvre d’une seule et même équipe.

Trahis par de caisse un ticket de caisse oublié

Les policiers lancent des réquisitions bancaires, examinent la téléphonie, mais surtout, passent en revue les images de vidéosurveillance des distributeurs de billets utilisés par les escrocs, et des magasins où les achats frauduleux ont été effectués, notamment Apple ou encore Dyson. Ils remontent aussi le fil de la mystérieuse coursière venue chercher les cartes bancaires. Ils repèrent sa voiture, une Polo louée en région parisienne, dont le signalement est transmis aux unités qui patrouillent sur la voie publique.

Quelques jours plus tard, leurs collègues du service de sécurisation des transports en commun (SISTC) croisent la petite Volkswagen et interpellent les deux jeunes femmes à son bord, dont une Vitrollaise de 26 ans.

Dans l’habitacle, des puces de téléphone et des objets de valeur fraîchement achetés sont retrouvés par l’identité judiciaire, ainsi que des cartes-cadeaux mais aussi un ticket de caisse. Grâce aux informations qui figurent dessus, les policiers remontent jusqu’au magasin et visionnent les images de la vidéosurveillance, sur lesquelles apparaît un homme manifestement de mèche. Ils tirent encore le fil de l’enquête jusqu’à une villa de location à Carry-le-Rouet, que la jeune femme partageait avec deux hommes, dont celui qui a été aperçu dans le magasin. Ces derniers déménagent prestement pour une autre location luxueuse à Sausset-les-Pins, mais les enquêteurs sont sur leurs traces.

Le 17 décembre, au petit matin, ils interpellent les deux nouveaux suspects, un Parisien et un Marseillais âgés de 29 et 20 ans. L’appartement, loué près de 500 € la nuit, regorge de produits de luxe. Quelque 7 000 € en liquide sont également saisis lors de la perquisition. Mais il y a aussi cinq téléphones portables, que les suspects ont jetés par la fenêtre avant d’être arrêtés. Leur exploitation permettra de découvrir pas moins de 28 autres victimes dans toute la France et de dénombrer quelque 120 transactions frauduleuses et tentatives pour un préjudice estimé à plus de 130 000 €.

« Recherche shooter région du Sud »

Si la plupart des victimes sont plutôt âgées, les malfaiteurs n’ont pas simplement joué avec leur crédulité. Pour appuyer leur scénario et les convaincre, ils étaient en possession d’éléments personnels très précis. Des informations issues de fichiers achetés sur le Darknet et issues de fuites de données, notamment bancaires, qui permettaient aux escrocs de se faire passer pour le gestionnaire du compte. Les deux « cerveaux » de l’affaire, désormais en détention provisoire, pouvaient débourser jusqu’à 15 000 € pour des listings de données volées, qu’ils exploitaient ensuite au téléphone. « Les mecs passaient leur journée au téléphone, ils pouvaient tenir leur victime pendant 5 ou 6 heures en se faisant passer pour le banquier », souffle un proche du dossier. L’un d’eux finira par reconnaître son implication, expliquant qu’il se livrait à ce type d’activité depuis près de deux ans.

Pour parfaire leur arnaque, les deux hommes avaient recruté des complices en passant des annonces sur les réseaux sociaux et les messageries chiffrées, à la manière du narcobanditisme, dont ils empruntent même le vocabulaire : « Recherche shooter région du Sud », avaient-ils ainsi lancé sur un fil de discussion sur la messagerie chiffrée Telegram. « Il y a le Spoofer, celui qui se fait passer pour le conseiller bancaire, et le Shooter, celui qui va récupérer la carte bancaire auprès de la victime », résume un policier. En l’occasion, le duo d’escrocs avait recruté deux jeunes femmes, de 26 et 21 ans.

La quatrième suspecte localisée à Asnières-sur-Seine, a finalement été interpellée le 9 juillet dernier. Tous ont depuis été mis en examen et incarcérés dans l’attente de la fin de l’instruction.