Le chiffre n’en finit plus de grimper. La pétition contre la loi Duplomb a dépassé lundi soir la barre du 1,5 million de signataires. Ce texte, adopté le 8 juillet, autorise la réintroduction de manière dérogatoire d’un pesticide controversé, l’acétamipride, interdit en France depuis 2018 mais autorisé dans le reste de l’Union européenne.
Plus d’un millier de scientifiques, médecins et soignants ont adressé une lettre ouverte aux ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de la Transition écologique, dans laquelle ils alertent sur les dangers de ce néonicotinoïde. Mais que dit la Science sur la dangerosité de l’acétamipride sur notre santé ?
« Des incertitudes majeures »
L’agence sanitaire européenne (Efsa), qui autorise ou non la mise sur le marché d’un produit, a validé cette substance en 2013 et en 2018. Pour ce faire, elle doit se baser sur un dossier fourni par l’industriel lui-même. « Ce dossier doit reprendre toute la littérature scientifique, et l’industriel doit aussi fournir plusieurs tests qu’il paie, explique Pierre-Michel Périnaud, président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides. Il y a un conflit d’intérêts évident mais c’est comme ça pour l’immense majorité des études sur les substances chimiques au niveau réglementaire. »
En se basant sur ce dossier, l’Efsa a autorisé la mise sur le marché de l’insecticide tout en estimant, en mars 2024, que « des incertitudes majeures » demeuraient sur les effets neurodéveloppementaux de l’acétamipride. La spécificité des néonicotinoïdes étant de cibler le système nerveux des insectes afin de les tuer, ils suscitent par conséquent des interrogations sur leurs effets neurologiques. Son utilisation conduit-elle, à terme, à des troubles neurodéveloppementaux chez l’humain ?
Retard de croissance
Depuis plusieurs années, des travaux « in vitro », exposant une cellule en laboratoire à des néonicotinoïdes et des études sur des animaux, généralement des souris, ont été réalisés. Les premiers montrent notamment les effets délétères des néonicotinoïdes sur les neurones. Les seconds mettent en évidence leur action dans des troubles neurologiques.
Des études épidémiologiques ont également été faites. Dans l’une d’elles, nommée Ishikawa et réalisée en 2019, les scientifiques ont mesuré le taux de métabolite de l’acétamipride présent dans l’urine de nouveau-nés. « Les nourrissons ayant obtenu les taux les plus forts étaient ceux ayant eu un retard de croissance in utero », explique Pierre-Michel Périnaud.
Une autre étude publiée en 2017 dans la revue Environmental Health Perspectives a été effectuée sur des femmes enceintes en Californie, seul Etat dans lequel la population doit déclarer son utilisation de pesticides à la parcelle. « Plus la femme enceinte est exposée, plus les chercheurs constatent une diminution des points de QI, de la capacité de raisonnement et de la compréhension verbale de l’enfant », souligne le médecin.
Perturbateur endocrinien
« On sait aussi grâce à des études épidémiologiques que chez l’être humain, l’acétamipride traverse la barrière placentaire et peut donc atteindre le fœtus, ajoute le docteur Périnaud. De l’acétamipride a été retrouvé dans le liquide céphalorachidien d’enfants, d’après une étude suisse réalisée en 2022. »
Le risque neurodéveloppemental n’est pas le seul. La Commission européenne a engagé une procédure pour demander aux industriels des éléments sur les éventuelles propriétés de perturbation endocrinienne de l’acétamipride.
Des faisceaux d’indices
Le médecin l’admet : la littérature scientifique ne prouve pas de lien de causalité entre exposition à l’acétamipride et troubles du neurodéveloppement ou perturbation endocrinienne. « Mais les différents travaux donnent de nombreux faisceaux d’indices qui devraient emmener à un principe de précaution et pousser l’Efsa à faire davantage d’études », s’insurge le médecin.
C’est d’ailleurs ce que l’agence préconise. L’Efsa explique qu’il faudrait de « nouveaux éléments » pour pouvoir « évaluer de manière adéquate les risques et les dangers » de l’acétamipride. Compte tenu de ces incertitudes, elle a également appelé à abaisser nettement la dose journalière admissible. Des recommandations contradictoires, selon le docteur Périnaud.